La crise politique actuelle au Sénégal démontre, s’il en était encore besoin, la nécessité d’avoir des institutions crédibles. Malheureusement, les institutions du Sénégal ont été fortement affaiblies durant ces vingt dernières années. Au passage du président Abdoulaye Wade, elles l’étaient déjà. L’espoir était permis d’une refondation de ces institutions avec l’avènement du nouveau président Macky Sall qui avait eu la chance de bénéficier de la dynamique des Assises nationales et avait lui-même enclenché un processus visant la refondation avec les travaux de la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI). Malheureusement pour le Sénégal, les calculs politiciens de maintien du pouvoir ont prévalu et les conclusions de la CNRI ont été mises dans les tiroirs pour être remplacées par un toilettage cosmétique porté par un référendum qui n’a pas réformé grand-chose. La décrédibilisation des institutions entamée sous l’ère de l’ancien président s’est ainsi poursuivie.
Le nouvel élu a commencé par l’institution présidentielle entachée par l’affaire du pétrole et du gaz sénégalais au cœur duquel se trouvait son frère qui bénéficiait de sa signature de contrat malgré les recommandations contraires de l’Inspection Générale d’Etat (IGE). Puis vint le tour de l’Assemblée nationale où les députés de la liste de la majorité furent choisis par le président de la République, pour une institution censée contrôler l’Exécutif. Puis la Justice, devenue bras armé pour la liquidation d’adversaires politiques dont un se retrouvait exilé et un autre condamné dans la ligne droite de la course à la Présidentielle de 2019. Utilisant l’immense étendue de son pouvoir financier et de nomination, le nouveau président avait détruit au passage toutes les forces politiques et sociales qui pouvaient constituer une menace pour son pouvoir absolu, et, la nature ayant horreur du vide, il ouvrait la voie à l’émergence de forces politiques et sociales d’un nouveau type.
Toutefois, encouragé par l’acceptation de l’injustice par une frange de la population et sa réélection, le président maintint son cap pour poursuivre son entreprise de liquidation des forces adverses, avec toujours les mêmes méthodes.
Pendant qu’une partie de l’opinion vantait son génie politique, nous avons toujours pensé que cet apprentissage de la sorcellerie mènerait un jour le pays au chaos. Malheureusement, l’histoire nous a donné raison. Aujourd’hui, notre pays est au creux de la vague, avec une crise politique profonde, doublée d’une crise économique et sociale, avec son lot de violences, de morts et de destructions, à quelques mois d’une élection présidentielle où les principaux candidats de l’opposition ont été rendus inéligibles et le président sortant maintenant le flou sur une 3e candidature que la Constitution du pays n’autorise pas.
En définitive, l’apprenti-sorcier a piégé la démocratie sénégalaise, mais aujourd’hui le piège se referme sui lui-même, et in-fine sur un peuple sénégalais meurtri et désemparé. Et comme avec tous les apprentis-sorciers, il nous faut nous attendre à ce qu’il ne s’arrête pas jusqu’à la catastrophe : quand il forcera sa 3e candidature ? quand il perdra les élections et refusera de céder le pouvoir ?
Les enseignements ?
- Les institutions d’un pays sont trop sérieuses pour qu’on joue avec, qu’on en use et en abuse ;
- Un citoyen doit rejeter toute injustice même quand cette injustice s’abat sur des personnes ou des organisations qu’il n’aime pas, car à terme cette injustice ne touche pas seulement ceux qui en sont victimes mais tout le monde peut en subir les conséquences ;
- Le peuple sénégalais doit être plus exigeant avec ses dirigeants, et, concernant le Président de la République, dès le début de son 1er mandat, en particulier sur la question de la refondation de nos institutions. En effet, une fois que le Président est encouragé dans l’apprentissage de la sorcellerie, il ne connait plus les limites et c’est la voie vers les dérives qui mènent au chaos. Cette exigence du peuple devra s’appliquer à tous nos futurs Présidents, car, malheureusement pour les peuples, les apprentis-sorciers ne sont pas une espèce rare ;
- Si le peuple perd le combat en cours, les prochains combats – quand le président sortant forcera sa 3e candidature ou quand il perdra les élections et refusera de céder le pouvoir – seront sans nul doute plus désastreux et sanglants, car les limousines des apprentis-sorciers ragaillardis n’ont malheureusement pas de freins.