Dans ce pays « chacun ici est un héros avant de naître »
Tant qu’il y a le ciel
il y a toujours l’espoir qu’un oiseau y passe….
C’est ce matin que je l’ai appris depuis Rabat la ville printanière…
Rabat est ensoleillé Dakar en deuil
et mon cœur est en larmes comme un glauque ciel d’hivernage…
Pourtant mon pays n’est pas un baobab nocturne
une herbe noire une fleur froide
un fruit anémique une terre agenouillée
Mon pays n’est pas une route coupée
une chaussée pourrie au ciel boueux
Mon pays n’est pas dans l’urgence des vautours
il est dans la foulée des tigres et le lion a encore la mâchoire qui brûle
et le ventre en flammes
Mon pays n’est pas un pays mort
mais elle est pourtant morte la mémoire jadis souriante
mort le sang dans la case des hommes venimeux
et le rêve de ceux qui ont cru dompter l’alphabet court nu dans les rues
et les enfants ne jettent même plus des pierres à ce lambeau de rêve…
Mon pays n’est mort que dans la hâte de ceux qui marchent avides
sur les chemins de mirages les yeux embués et l’horizon cupide…
Mon pays n’est mort que chez les fils de l’impatience
les fils malicieux de la politique
les sidéens du pouvoir dans
la malaria et le paludisme des urnes les fils arqués et maudits de la politique fétide
les bergers à venir mais si fatigués déjà comme
de vielles peugeot des années de jazz
Mon pays n’est mort que dans les rois asséchés et
les princes des oracles qui mûrissent le trône avant le maïs et l’arachide
les terrasses d’or avant la paille de chaume des toits du Sine des baraques et taudis des banlieux
la chaise de satin avant le tabouret de termitière…
Mon pays n’est mort que dans les fils surdoués des feux de
brousse qui dévorent jusqu’aux refuges des lépreux aux portails fastes
des banques…
Ce pays mon pays n’est mort que chez les morts d’avant les lampes
car elles arrivent elles arrivent les grandes lampes
arrivent les fauteuils de soie les canapés de laine dans les taudis de Pikine Guédiawaye Ganaw-Rail
arrivent les rideaux rouges et pourpres
arrivent les bronzes rares les toiles des enfants d’Oussouye
les livres des enfants du Fouta
arrivent les sourates les chants grégoriens les libations de Tivaoune Touba Yoff-Layène Médina-Baye Ndiassane…
arrivent les femmes les hommes d’un siècle nouveau
d’un temps d’espérance…
Mon pays n’est pas un pays mort
malgré les fourmis et les fatigues les cafards les sommeils lents les réveils taraudés
les souliers usés
les chaussettes frelatées soumises aux faims des rats les orteils au vent…
Mon pays n’est pas mort malgré les
journaux aux manchettes de fin du monde…
Mon pays n’est pas un pays mort
malgré les cuisines vides dans la solitude d’un oignon
d’une pomme de terre verdâtre comme d’un méchant quolibet…
Mon pays n’est pas un pays mort
une cargaison puante…
Mon pays est une marée haute d’épices et d’encens
il vit ce pays se tourne et se retourne et danse et pleure et chante
dans l’angoisse pourtant infinie que dorlote une foi infinie
que consolent une cloche un minaret le regard velouté d’une maman infinie…
Mon pays n’est pas un pays défunt
il ne porte comme la vie que les pas lourds d’un soldat endeuillé
d’un policier blessé
d’un enfant amputé
Mon pays comme la vie ne porte que
le sourire au gingembre
d’une femme que la beauté honore…
Il est bien debout mon pays grave beau et fort…
Mais il est vrai que les fleurs quoique belles meurent toujours un soir
ou est-ce un matin je ne sais plus…
mais reste toujours le parfum qu’elles ont laissé et puisse ce parfum habiter
la nostalgie des cœurs
irriguer le vertige
être le remontoir de nos vies
nourrir l’avenir sinon…
sinon elles seront vraiment mortes
pour toujours les fleurs que
l’on croyait immortelles
mortes pour rien
mort aussi le triomphe du jour de gloire et l’oubli monstrueux alors se lève tragique comme une tendresse décapitée
une malédiction brutale dressée comme une lance…
Mon pays n’est pas un pays mort
mon pays n’est pas un murmure
son peuple au front d’étoiles et à la bouche de sel
est un océan qui ne s’annonce plus
une mer haute féconde navigable
pour toutes les fraternités du monde…
Pourtant des enfants sont tombés sous des balles aux yeux clairs sans lunette des officiers sont tombés surpris par des balles traîtresses
c’etait en mai
c’était en juin
il faut vite en oublier l’année maudite…
Des femmes et des hommes sont rentrés à la maison et ont mis leur mémoire dans des tiroirs qu’ils n’ouvriront plus jamais…
Je voulais crier
mais ne pouvais pas crier…
je cherchais la Vérité parmi mille vérités et ne pouvais la trouver…
l’odeur de la bête pourrie était tenace
le vent de son chemin sûr
la boussole facile
mais pas une trace de la bête…
je cherchais où ranger ma colère
mais je n’avais plus en moi d’armoires vides…
J’ai prié alors Dieu de me parler pour trouver la juste voie entre le prince haletant le peuple en colère et les autres tous les autres ivres du trône infect…
Dieu m’a répondu qu’Il n’avait pas le temps qu’IL était en Ukraine
qu’IL ne trouvait pas d’hôtel
que la nuit tombait que des villes brûlaient qu’il était déjà minuit…
Je voulais crier
mais un poète ne crie pas il chante il chante… mais comment chanter la mort le sang…
Mon pays n’a pas autant pleuré depuis Jésus depuis Mohamed…
Je voulais crier
la démocratie me faisait signe d’une main amputée des quatre doigts
derrière une porte défoncée et des murs brûlés
elle avait les fesses dénudées le corps tremblant le visage démaquillé
mais les seins debout et ardents
chauds comme un bon pain un matin de froid glacial…
Elle me demandait un vêtement pour se couvrir
elle avait les pieds nus et gercés
elle m’empruntait des chaussures et moi il y a bien longtemps que
je ne portais même plus de chaussures
c’est la faim qui me préoccupait
le courage des ouvriers le cri des paysans et mon beau pays qui brûlait…
Des amis me suppliaient de dire à la démocratie
derrière cette porte défoncée que je ne pouvais rien pour elle
qu’il fallait plutôt attendre les juges
et les juges repassaient leur toges avec des feuilles d’or
et les rayons des lambris de leur palais leur servaient de fer à repasser…
Je voulais crier
mais je ne pouvais pas crier
alors pour crier j’ai fait ma valise
j’y ai rangé précieusement avec un gros rat noir et affamé
le livre de la Constitution
la liste des juges
la photo du bâtiment de la Cour Constitutionnelle
la photo du palais présidentiel et celle de l’Assemblée Nationale…
Quand j’arriverai je lirai ce qu’il en reste de la Constitution
de la liste des juges
de la photo du bâtiment de la Cour
du Palais
de l’Assemblée
peut-être alors je pourrais secourir la démocratie
cette femme nue
appelant au secours
derrière la porte défoncée aux murs soudain pailleté de pourpre…
Pourtant
puisse la pirogue rester la pirogue
le fleuve le fleuve
puisse le phare fidéliser le sommet des Mamelles
que la patrie dise la patrie le khalam le khalam
puisse ce peuple à tête de sourates et de psaumes ce peuple de foi glaneur de paix
renaître en fleurs
puisse-t’il ne pas fêler nos rêves
raréfier le pain le sel
retarder les aurores
Pour un jour
le Sénégal peut avoir peur
pour un jour
le Sénégal peut avoir honte
mais jamais ce pays ne périra
tant qu’il restera
quelque part un
bout de ciel
un lambeau de minaret le mirage d’une croix…
Et je suis parti
habiter le pays de la prière et du silence
ce pays des prophètes que j’aime…
Là-bas m’a-t-on dit il n’existe point de drapeaux rouges ni de chars ni de fusils ni de prisons rien que des jardins de Dieu…
Là-bas je pourrais crier sans que personne ne me fasse taire
brûler ma modeste
chaumière
faire mal à mes enfants chéris
couper le signal des libertés faire croire que la mort est un « ours qui danse »avec une jeunesse éméchée…
Pourtant
malgré les mots les cris les peurs la mort la douleur l’interrogation chacun sait ici pour quoi nous serons toujours vivants et
le Sénégal toujours vainqueur…
Demain
bien vite
reviendra le Soleil
il reviendra pour
avoir signé un
pacte sacré avec les ancêtres
pour que jamais le cercle de feu ne cerne la montagne