« Honteux de ce qu’il voit la journée, le soleil se couche en rougissant ». On a beaucoup rabâché ce proverbe venu d’Arménie. Il est lumineux et sombre en même temps. C’est pour son côté obscur d’ailleurs qu’on le convoque. Le dicton sied comme un gant à ce Sénégal déchiré et méconnaissable qui s’automutile. Avec les violences de haute intensité de ce début de mois, le pays a chuté dans la bestialité jusqu’à ressembler à cet animal muni d’un corps de sanglier sur une tête de porc. La situation est en effet méphistophélique. Ce qui arrive ne tombe pourtant pas du ciel. Tout s’explique. On croit en comprendre les racines profondes. Le climat d’anarchie dans lequel on nage mène directement dans les eaux troubles, dégradantes et nauséabondes de la déshumanisation.
Le Président Senghor a pu dire autrefois que la haine n’était pas conforme au génie sénégalais. Sa perspicacité n’était pas contestée. Mais sur ce point précis, il l’a été moins du seul fait que la pureté n’existe chez aucun peuple. Il est vrai qu’on a été un îlot de raffinement, d’élégance racée et d’urbanité exquise. C’est aujourd’hui un vieux passé et un ancien monde qui ne reviendront pas. On est en pleine relégation en division inférieure sur fond d’image écornée et de standing dévasté. Le Sénégal est la risée d’un monde en rupture d’équilibre. La remarque du Général de Gaulle remplie de causticité n’en était pas moins une prémonition de la débandade générale qui allait subvenir. « Vous les Sénégalais, disait-il, vous êtes incommodes ». Apostrophe blessante dont le but n’était pas de blesser. Avoir pleine conscience de ses rides et défauts permet de s’améliorer et d’être la meilleure version de soi-même.
L’ignominie et la pyromanie
Il y a bel et bien du démon et de la bassesse vulgaire qu’il faut exorciser. Les catastrophes globales ont engendré des catastrophes individuelles et vice-versa. Il s’avère que dans nos murs, une grave crise d’autorité s’est propagée dans villes et bourgades. L’ignominie et la pyromanie ont également élu domicile. De science certaine, on sait que là où ce triumvirat démoniaque passe, plus aucune herbe ne pousse. Bonjour tristesse. On est allés beaucoup trop loin jusqu’à faire trembler la bonne terre du Sénégal. Le sol ne fait plus que se dérober sous nos pieds. Les oracles ont vu venir l’orage sur le miracle sénégalais. Il s’abîme au travers des cortèges malodorants et autres personnages tragiques constitués de politiciens sans envergure ni entregent. Il n’y a jamais eu de messie et il n’y en aura pas. Le cas échéant, ils n’accomplissent aucun miracle. Ce qui arrive, c’est qu’on prend des vessies pour des lanternes.
« Là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes »
L’université de Dakar va dégringoler encore plus dans les classements. On savait que son univers est un trop-plein assez glauque. Des étudiants, des vrais, y étudient sérieusement. Des mercenaires et des bandes de voyous éméchés y font aussi leur propre loi. Ils ont fini par cramer le bijou de famille. Le temple du savoir mêlé d’ignorance est désormais sans mémoire. L’un des pires autodafés que le Sénégal a connus vient de s’y produire. Quand les émeutes littéraires et la passion des idées ne sont plus les facteurs d’émulation et que le bon goût est altéré, c’est ce qui arrive fatalement. La destruction des trésors et données universitaires est un crime contre l’humanité. Un poète allemand de Düsseldorf a été fort lucide en soulignant que « là où l’on brûle des livres, on finit par brûler des hommes ».
Homme, rien d’humain ne m’est étranger. L’inversion des priorités a fait des dégâts irréparables. Les ponts et viaducs plantés ici ou là sont invisibilisés. C’est le bout du tunnel que la jeunesse veut voir. Les coupes d’Afrique gagnées sur les terrains de football procurent une fierté évanescente mais ne se mangent pas. Elles finissent dans les décors des salons. Tout dialogue doit donc privilégier la jeunesse avant la gérontocratie.
Plus globalement, le pays est appelé à faire son introspection sur un noble divan. Quand on a épuisé ses deux mandats, il faut opérer un repli de sagesse. Lorsque l’on a fait le choix de l’opposition républicaine, il faut porter en bandoulière la belle formule de Ibrahima Seydou Ndao, premier maire de Kaolack après indépendance opposé à l’époque à Valdiodio Ndiaye. « Il ne répugne d’accéder au pouvoir en me servant d’un escalier de cadavres et tremper ma plume dans un encrier de sang humain pour signer ma victoire ». C’est beau, c’est fort et grand. Grandeur hier. Décadence aujourd’hui. Le soleil couchant et safran finit chaque jour son odyssée choqué et meurtri de la laideur qu’il observe.