Une réflexion sur la situation politique au Sénégal
Dans la mythologie grecque, Pandore est la première femme créée à la demande de Zeus pour punir les hommes après que Prométhée eut volé le feu des dieux de l’Olympe pour le donner aux hommes. Zeus décide de passer par Epiméthée, frère de Prométhée, et dont le nom signifie celui « qui réfléchit après coup », afin d’atteindre les humains. Parmi les dons faits par les dieux et déesses de l’Olympe à cette belle créature qu’est Pandore, figure la curio- sité (donnée par Hermès, le messager des dieux). Zeus confie à la femme, au moment où il l’envoie comme épouse- cadeau à Epiméthée, une boîte (une jarre en réalité). Pandore avait pour consigne de ne point ouvrir cette boîte. Or, une fois chez Epiméthée, dans la nuit, Pandore ne résista pas au désir de voir ce que contient la boîte. Elle va tout discrètement l’ouvrir et alors s’échappent de là tous les mal- heurs du monde. Surprise, elle tente de refermer la boîte, mais trop tard, il ne reste que l’espoir (elpis). C’est donc ainsi que la mythologie grecque explique l’origine des maux dont souff- rent les humains. J’ai pensé à ce mythe dans le contexte de la condamnation d’Ousmane Sonko par la justice sénégalaise dans le procès qui l’oppose à Adji Sarr, et tous les incidents qui s’en sont suivis. Il me semble bien que dans cette affaire, après plusieurs tentatives, il a été décidé d’ouvrir la boîte de Pandore.
Qui a ouvert la boîte de Pandore
Personnellement je pense que c’est Macky Sall et son régime. Cette affaire occupe l’actualité depuis trois ans. Et depuis trois ans, ils en ont fait la principale affaire politico-judiciaire. Pendant ce temps d’autres affaires de malversations par exemple, indexées pas des institutions de l’Etat, peinent à trouver la clarification qui sied. Il y a, par ailleurs, la mystérieuse disparition de deux éléments des forces de défense et de sécurité, Didier Badji et Fulbert Sambou de Niomoune. Certains reprochent à l’oppo- sant Ousmane Sonko de s’être laissé prendre au piège en fréquentant ce Salon de massage, soit ! Il aurait sans doute pu éviter que ce soit dans ce contexte. Mais, en quoi la fréquentation d’un salon de mas- sage est-elle un empêchement pour une prétention présidentielle ? l’impression que cela laisse, c’est celle d’une mauvaise copie-collée de l’affaire Dominique Strauss Kahn, qui a éloigné, il y a quelques années, de la présidentielle française un acteur politique important. En plus, ce modus operandi, consistant à mettre aux trousses d’un opposant la justice, était bien connu.
Pourtant des signes étaient là pour inviter à la prudence dans cette affaire. En mars 2021, dans un contexte électrique créé par un an d’enferment et de brutalisation des populations dans le cadre des mesures anti-covid, l’on agite ce dossier. Il n’y avait pas meilleure occasion d’enflammer des Sénégalais qui en avait marre d’être enfermés chez eux et qui avaient soupçonné que les mesures barrières n’étaient pas que sanitaires mais également stratégiques pour maitriser les foules. La soudaineté et la vio- lence des manifestations avaient pris des proportions inquiétantes pour la stabilité du pays et des institutions. Ces manifestations étaient déjà le signe qu’il fallait éviter d’ouvrir cette boîte de Pandore de l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko. Pourtant, au lieu d’apprécier à sa juste valeur cette menace sociale de troubles graves, le régime bande les muscles avec des formules du genre « force restera à la loi » ou encore « ça ne se reproduira pas ».
Et en plus, dans les parades du pouvoir, notamment à l’occasion de la fête nationale le 4 avril 2023, de lourds moyens de répression sont présentés avec fierté ! Une telle mise en scène augurait-elle un affrontement inévitable ou une simple volonté de dissuasion ? Je penche plus pour la première lecture, puisque chaque fois que cette affaire était agitée, tout ce dispositif de véhicules anti-émeute était bien visible aux points stratégiques de nos villes.
La mobilisation de mars 2021, la percée extraordinaire de l’opposition aux différentes élections, étaient autant d’indicateurs qui ont été volontaire- ment mal lus (dans une logique d’obstination) ou minimisés (ce qui serait grave pour notre République). En effet l’entêtement des gens du pouvoir à penser qu’il ne s’agit là que d’une affaire entre un opposant et une masseuse, montrait un refus méprisant de prendre en compte les cris de souffrance de tant de personnes, je ne dirai pas de jeunes puisqu’il n’y a pas que des jeunes dans cette lutte (c’est aussi de la stratégie de communication politique que de présenter cette lutte comme étant celle des jeunes. L’on a fait le choix d’un thème mobilisateur). On a vite oublié l’épisode covid et la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui ont fortement fra- gilisé nos économies, avec la hausse du prix de nombre de produits (le carburant par exemple a pratiquement doublé), et une plus grande précarisation de nos foyers.
Il a souvent été question durant cette période, où M. Ousmane Sonko se disait victime d’un complot, du silence des autorités religieuses. Mais en même temps, il était malaisé d’intervenir dans une affaire en justice où le vrai et le faux semblaient inextricablement liés. Se mettre du côté de Sonko avant le verdict de la justice serait minimiser la plainte de cette jeune dame qui se dit être victime de viol. Et l’on sait combien cette question des violences sexuelles et sexistes est sensible. Il n’est donc pas trop tard pour le religieux que je suis de dire mon mot.
Aujourd’hui que le verdict est tombé, l’on peut s’exprimer avec plus d’aise pour déplorer : Le fait d’avoir utilisé, vraisemblablement à des fins poli- tiques, une question aussi sensible que celle du viol. Cette stratégie inique va fragiliser davantage la voix de ces pauvres femmes victimes de viol dans notre pays.
Le fait d’avoir caché ce mensonge pendant tout ce temps, tout en sachant la vacuité du dossier.
Le fait d’avoir laissé mourir autant de monde pour finir par une condamnation pour « corruption de la jeunesse », la montagne a vraiment accouché d’une souris.
Après trois années violentes, l’impression d’un coup poli- tique mal monté reste au tra- vers de la gorge d’un bon nombre. Nous avons l’impression d’avoir été abusé ! Le plus choquant, c’est que même lorsqu’on s’est rendu que l’affaire était mal ficelée, l’on s’est entêté à aller jusqu’au bout, c’est-à- dire jusqu’à ouvrir la « boîte de Pandore »
Que contenait la boîte de Pandore ?
Dans le mythe grec, elle contenait tous les maux que Zeus avait destiné aux hom- mes. La « boîte » ouverte par la tournure de l’affaire Sonko-Adji Sarr renfermait elle aussi une série de maux. J’en énumère quelques-uns tellement la liste est longue. Le saccage des écoles. Nous avons vu avec effroi les images de certaines facultés de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar avec tout le lot d’objets détruits. Et le plus déplorable, ce sont les archives détruites à jamais. Une partie de la mémoire de cette grande université africaine est allée en fumé. Et que dire de nos écoles ici à Ziguinchor ? L’UFR Santé, les lycées et CEM, écoles primaires et même maternelles. Dans presque tous les cas, ce sont les directions qui ont été visées avec une violence insupportable sur les documents administratifs ou matériel didactique. Par endroit des tables-bancs ont été rassemblés et brulés. Quelle violence symbolique ! Et comme au mois de mars 2021, des commerces et stations saccagés, pillés et brulés.
Le plus troublant à Ziguinchor, c’est le saccage de l’Ipres (Institution de prévoyance retraite du Sénégal, et qui gère le régime national obligatoire d’assurance vieillesse) ; là où nos aînés, après des années de lourd labeur, vont prendre des miettes pour se soigner, finir leurs vieux jours et partager avec leurs enfants et petits- enfants. J’arrête là cette liste qui est bien plus longue. On a l’impression en regardant tout ça, qu’il est question d’une violence aveugle ! Mais que non à mon avis ! Cette violence n’est pas aveugle, elle a une logique !
En décembre dernier, j’ai été très surpris, lors d’un débat avec mes étudiants à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, de remarquer qu’ils considéraient que notre système scolaire nous était imposé par la France et que tout ce qui est étudié était du système français. J’étais davantage choqué par le consensus des étudiants sur cette idée. Je leur avais dit mon effarement de voir toute une classe d’étudiants s’accorder aussi unanimement sur un point de vue et que c’était dangereux dans un espace qui est censé être le lieu du débat contradictoire.
Mais en réalité, ce point de vue de mes étudiants est très répandu chez nos jeunes aujourd’hui. Il faut dire que le discours d’une partie d’intellectuels et d’hommes politiques aujourd’hui va dans ce sens. Notre jeunesse est très politisée grâce au réseaux sociaux et passe des heures à écouter des hommes politiques plutôt qu’à apprendre leurs leçons. Il s’agit d’un discours qui discrédite l’école sans proposer d’alternative. Le plus fâcheux, c’est que ceux qui tiennent ce discours ont été formés dans ce système et leurs enfants continuent de l’être ici ou à l’extérieur, notamment en France. Notre système scolaire est-il vraiment une copie du système français ? personnellement je ne le pense pas. Je pense plutôt qu’il est fortement marqué par les Pères fondateurs de notre Nation, qui avait l’ambition de faire de l’homo senegalensis un homme ouvert sur le monde avec une culture générale conséquente. Mais là est un autre débat qu’il faudra peut- être affronter aussi pour rassurer notre jeunesse.
Pour les aînés, il est intéressant de regarder de près le discours qui est porté sur eux depuis quelques années. En réalité, pour légitimer une alternance générationnelle dans les instances politiques ou étatiques, on a tendu à une généralisation et à faire des « vieux » des éléments dangereux pour notre société et qui seraient à l’origine de tous nos malheurs. Paradoxal pour des sociétés africaines où la place de l’aîné est toujours rassurante. En Jóola on dit « anahaan ajakut agay li butoŋ » c’est-à-dire : il n’est pas bon de manquer d’ancien dans une famille.
Des discours politiques ont donné l’impression aux jeunes que leur avenir ne doit se construire que par eux et pour eux. Or, on bâtit toujours sur quelque chose. Ce pays tel qu’il est aujourd’hui est un héritage. Et l’on n’hérite pas de soi, on hérite de ses aînés. La liberté de parole que nous avons au Sénégal est un héritage que beaucoup n’ont pas et qui reste évidemment à améliorer.
Ce qui pourrait être reproché aujourd’hui à des hommes poli- tiques comme Ousmane Sonko ou Guy Marius Sagna et autres, c’est d’avoir mis dans des mains et des cerveaux inexperts des idées qui relèvent de la stratégie de communication politique dans le contexte d’une compétition pour le pourvoir. Il est donc tout à fait logique que dans ce contexte, l’on s’en prenne à des symboles comme l’école qualifiée de néocoloniale, et de tout ce qui peut être lié aux personnes âgées, c’est le cas de l’Ipres. On a donné aux jeunes l’impression qu’ils sont les maîtres du pays, ils l’ont fait à leur manière, sans recule parce qu’il n’y en a pas. Que de per- sonnes âgées humiliées par des gamins dans les barrages de la circulation ces temps-ci ! Un vrai carnaval dramatique ! Mais alors, il appartenait au pouvoir de ne pas ouvrir cette boîte de Pandore, et ces idées distillées habilement dans la tête de nos jeunes n’auraient jamais été actées. Toutefois, dans la boîte de pandore il est resté l’espoir ! osons espérer que nous avons encore la chance de faire ce qu’il faut pour calmer l’incendie et que chacun prenne sa part de responsabilité.
Que Dieu bénisse notre pays ! Brin le 07 juin 2023