« 70% de la population sénégalaise ont moins de 35 ans », la fameuse phrase que l’on entend partout et tout le temps. Il est connu de tous, que le Sénégal a une population jeune. Cette jeunesse représente le présent et le futur du Sénégal. Elle a ses aspirations, sa vision, ses craintes et ses tares mais elle est surtout consciente de sa force et veut pleinement jouer son rôle pour aider le Sénégal à continuer sa marche vers le progrès social.
Dans une ambiance politique et sociale très tendue depuis au moins deux ans, la jeunesse pleure ses morts, ceux qu’elle appelle dorénavant « martyrs ».
Au moins 30 sont morts durant les manifestations de mars 2021 et celles de juin 2023, motivés par leur désir de justice, d’équité sociale et un meilleur présent et futur pour leur pays, ils rencontreront la grande faucheuse alors qu’ils étaient sortis pour exprimer leur citoyenneté à travers leurs droit constitutionnel : le droit à la manifestation.
Aucune enquête n’a livré de coupable pour le moment laissant les familles des victimes dans un grand désarroi en plus d’avoir un sentiment d’injustice. Quelle tristesse pour un parent d’enterrer son fils de moins de 18 ans, tué par balle alors qu’il était juste sorti exercer son droit constitutionnel.
Si elle ne perd pas la vie durant des manifestations, elle la perd en haute mer. À la recherche d’un bien-être, elle a pris la pirogue, Barça ou Barsakh comme slogan d’espoir afin de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, elle ne rentrera pas. Le Sénégal pleure ses 480 jeunes qui sont morts en prenant la pirogue, nous prions le créateur, le miséricordieux de leur offrir son pardon et un repos éternel.
Une jeunesse caricaturée, marginalisée et livrée à elle-même
« Allez vous inscrire massivement et voter » ou « Sortez manifester, mortal Kombat » ou « Nous faisons appel à la jeunesse pour qu’elle prenne ses responsabilités pour protéger leur quartier ou dénoncer les forces occultes »; Voici les missions pour un jeune au Sénégal.
En dehors de ces trois missions, le jeune au Sénégal est livré à lui-même, son éducation n’est pas une priorité, sa santé est fragilisée notamment à travers les infrastructures et le coût pour ses soins, son insertion professionnelle et son employabilité sont incertains voire précaires et son ascension et bien-être sociales restent un mirage tant toutes ces questions restent sans réponse. Certains pourront dire qu’il y a le programme Xeeyu Ndaw yi, d’autres parleront de l’existence d’instruments publics comme la DER, ANPEJ, FONGIP, 3FPT, CNJS etc… alors que nous savons tous que ces instruments, s’ils ne sont pas politisés sont élitistes, limite claniques.
Ah cette pauvre jeunesse, elle est caricaturée et marginalisée, elle est traitée d’indiscipliné, de vandale, de bandit, etc. Cependant, la jeunesse est un reflet des aînés. Elle voit ses aînés, ses représentants et ses élus être les premiers ambassadeurs de la violence verbale et physique.
Quelle leçon doit tirer un jeune quand des députés du peuple se donnent à des actes de violences verbales et physiques devant tous les Sénégalais. Quelle leçon doit tirer un jeune quand il est témoin des violentes invectives entre acteurs de la classe politique. Quelle leçon doit tirer un jeune quand des « insulteurs certifiés du web et cyberespace » sont reçus par le président de la République. Il est facile de ne pas assumer ses responsabilités et tirer sur les jeunes au lieu de les accompagner dans leur parcours d’apprentissage. Oui, la jeunesse est un chemin d’apprentissage qui mène vers la maturité et la sagesse : « On ne récite pas ce que l’on n’a pas appris » (Proverbe Wolof)
Une jeunesse emprisonnée, censurée et muselée…
Après les récents événements tragiques de la semaine dernière, des experts, politiques et représentants de la société civile ont occupé les plateaux de télévisions/radios pour parler de la jeunesse et de ce qu’elle est devenue. Une jeunesse terriblement critiquée et marginalisée à qui on a ôté le droit de parler pour elle-même car absente des médias traditionnels. Aucun jeune manifestant n’a été invité dans les médias traditionnels pour parler pour lui-même, d’autres personnes parlent pour lui. Très peu d’organisations dirigées par des jeunes et dont la mission sert les jeunes n’ont eu un temps de parole conséquent pour parler de la situation actuelle des jeunes et Dieu sait que organisations de jeunes qui passent beaucoup de temps avec les jeunes, il y en a pléthore.
Les médias préfèrent donner la parole aux politiques ou à des personnes dont la maîtrise des aspirations de la jeunesse se limitent à la perception personnelle qu’elles ont de la question sans pour autant maîtriser le contexte ou avoir des données factuelles.
La jeunesse est emprisonnée, elle est emprisonnée pour avoir posté des émojis sur Facebook, elle est emprisonnée pour avoir fait un commentaire sur un post Facebook qui parlait du conflit en Palestine, elle est emprisonnée pour diffusion de fausses nouvelles etc. La question que nous devons nous poser en tant que nation et peuple est : « Est-ce normal d’emprisonner un jeune pour un post sur les réseaux sociaux aussi diffamatoire qu’il soit? » – un jeune ne doit pas être familier avec l’incarcération à moins que le délit soit un crime extrêmement grave. Il existe d’autres moyens dissuasifs et d’autres sanctions comme une amende ou des travaux d’intérêt général.
Maintenant, la jeunesse est même censurée, réseaux sociaux et internet mobile restreints sous couvert de sécurité intérieure, pénalisant les jeunes entrepreneurs mais aussi privant la jeunesse du seul espace d’expression de leur voix et opinion que leur offre le cyberespace.
Légitimité ? De quelle légitimité parle-t-on ?
En tant que jeunes acteurs de développement qui travaillent sur les questions de développement local et progrès social, la première question à laquelle nous sommes confrontés quand nous demandons d’être audibles sur le sujet de la jeunesse au niveau des médias traditionnels et des espaces d’expression en dehors du cyberespace est celle de notre légitimité. « Vous êtes qui ? » – « Qu’est-ce que vous avez fait » – « Envoyez-nous ce que vous avez fait » – ces types de questions montrent que au Sénégal, certains ne s’intéressent à la jeunesse que quand elle sort manifester sinon comment peut-on expliquer que des médias, des experts ou le gouvernement ne sachent pas qu’il y a des organisations dont la mission sert les jeunes et qui sont 365 jours sur 365 en train d’implémenter des projets pour les jeunes dans leur autonomisation et développement. Pour parler de la jeunesse en mal, il y aura pléthore de candidats mais pour aller sourcer et parler des activités faites par la jeunesse et pour la jeunesse, il n’y a personne. Notre légitimité est questionnée, oubliant par la même occasion que nous sommes des jeunes et aussi nous sommes des Sénégalais et cela nous confère une légitimité pour parler de nos aspirations en tant que jeune citoyen sénégalais, svp, arrêter de parler pour nous et nous laisser parler nous-mêmes.
Yaakaar (espoir)… pour ce que ça vaudra…
Aujourd’hui, le monde est en pleine mutation, une mutation accélérée par la crise du Covid-19, le conflit Russie/Ukraine, l’inflation, la montée du populisme et la crise démocratique mondiale.
Il est également important de noter la baisse de l’influence sur un plan empirique de la civilisation occidentale, la montée en puissance du bloc BRICS et l’affirmation du réseau « Global South » font qu’il y ait une redistribution des cartes sur le plan géostratégique.
L’Afrique aussi fait sa mutation, la jeunesse africaine symbolise cette nouvelle dynamique. Cette jeunesse africaine, interconnectée au monde à travers le cyberespace, est complètement décomplexée et affirme ses aspirations. C’est le cas au Sénégal où notre jeunesse est et sera l’élément essentiel de notre développement à condition de créer les éléments et les instruments pour l’accompagner dans notre quête du progrès social (Éducation, formation, inclusion, insertion professionnelle, employabilité, décentralisation des opportunités, équité territoriale, interconnexion des peuples et des territoires, santé et bien-être).
À toute la classe politique, commençant par le président de la République qui est le père de la nation, en passant par l’opposition et pour finir par la société civile, il est de votre responsabilité et devoir d’accompagner la jeunesse, d’arrêter de la percevoir juste comme étant des électeurs.
La jeunesse ne doit plus mourir en exerçant son droit constitutionnel, de toutes les possibilités qui s’offrent à elle, la mort dans une manifestation ne devrait pas en faire partie.
Oui, elle n’est pas parfaite mais qui de nous l’est ?
Posons les fondations d’un dialogue et d’une transmission intergénérationnelle, écoutez les aspirations de la jeunesse, échangez sur les priorités de développement mais surtout arrêtez de la caricaturer et de parler pour elle sans elle.
« L’imaginaire des possibles et le narratif des possibilités pour une autonomie et autodétermination, en route vers l’émancipation sociale et l’affirmation de notre identité à travers l’esthétique et la transmission, oui nous sommes la jeunesse et nous avons droit au chapitre ».
Les mots énoncés dans l’article représentent le point de vue de l’auteur mais en aucun cas une vérité générale.
Un grand merci à mon ami Paap Sene pour la publication…
Seydina Mouhamadou Ndiaye est co-fondateur du Consortium Jeunesse Sénégal & Collectif Des Volontaires du Sénégal.