Au Sénégal, beaucoup de politiques et de spécialistes en sécurité parlent de « ceinture de feu » pour montrer à quel point le pays est sous la menace terroriste extérieure. C’est sur la base de ce point de vue que le gouvernement a pris la décision d’installer une base militaire dans le département de Goudiri, pour anticiper l’arrivée du terrorisme dans les régions de Kédougou et de Tambacounda. C’est aussi la nécessité de faire face aux menaces extérieures qui pèsent sur le Sénégal que le gouvernement justifie une troisième candidature du Président Macky Sall, laissant croire qu’il est le seul Sénégalais capable de garantir la sécurité. Cependant, la manière dont la menace est présentée et la stratégie visant à la prévenir peuvent susciter de sérieux doutes et questionnements.
La menace extérieure
Le terme « ceinture de feu » ou « cercle de feu » a été utilisé pour désigner la zone qui borde l’océan Pacifique et qui concentre 70 % des volcans et plus de 90 % des tremblements de terre qui surviennent dans le monde. À l’instar des pays situés près de cette zone et qui sont en danger permanent de tremblements de terre et d’éruptions volcaniques, le Sénégal serait exposé à la menace terroriste qui opère au Mali et au Burkina Faso.
L’Afrique de l’Ouest est confrontée à de nombreux défis sécuritaires qui s’enchevêtrent : terrorisme, conflits intercommunautaires, crime organisé, crises politiques, etc. Le terrorisme est sans doute l’une des menaces les plus inquiétantes. Les organisations terroristes opèrent davantage comme des groupes criminels, en exploitant les déficits des États en matière de gouvernance et de politique publique.
Le Sénégal demeure vulnérable aux organisations terroristes qui opèrent en Afrique de l’Ouest, pour plusieurs raisons. Premièrement, ces organisations ne sont pas loin du territoire sénégalais. Elles pourraient donc tenter d’étendre leur champ d’action au Sénégal dès qu’elles en auront l’opportunité. Et le sud-est du pays, pauvre, éloigné et frontalier du Mali, et où des ressources minières sont exploitées au détriment des populations locales, pourrait être la porte d’entrée.
Deuxièmement, en raison de l’exploitation du pétrole et du gaz, l’intérêt des groupes terroristes de faire du Sénégal une cible privilégiée va sûrement augmenter. Les groupes terroristes seraient tentés de mener des activités illicites ou des attaques pour affecter les intérêts du Sénégal et ceux des pays occidentaux qui ont des entreprises et des ressortissants impliqués dans l’exploitation et la commercialisation de ces ressources.
Troisièmement, le Sénégal se trouve au cœur du golfe de Guinée, une sous-région confrontée au crime organisé. D’ailleurs, Dakar est devenu une plaque tournante du trafic de drogue en provenance d’Amérique latine. Le Sénégal devient ainsi attractif pour les organisations terroristes qui se nourrissent de ce type d’activités illégales.
Cependant, c’est mal connaitre la menace terroriste que de penser que celle-ci viendra forcément des autres pays d’Afrique de l’Ouest.
Le danger interne
Tous les facteurs ayant favorisé le terrorisme dans les autres pays d’Afrique de l’Ouest sont répandus au Sénégal : inégalités, injustices, répression, manque de confiance dans le gouvernement et les pouvoirs publics, corruption endémique, absence de services publics dignes dans les endroits reculés du pays. Par conséquent, il est plus probable que la menace se développe à l’intérieur du Sénégal. Même si les organisations terroristes qui sévissent dans la région parvenaient à atteindre le Sénégal, elles seront très vite transformées en organisations locales, car toutes les conditions sont réunies à cet effet.
Avec l’exploitation des réserves de pétrole et de gaz dans les eaux maritimes sénégalaises, de nombreux jeunes pêcheurs seront privés de sources de revenus. Beaucoup d’entre eux se plaignent déjà de la pêche illégale et des centaines de licences de pêche accordées par le gouvernement du Sénégal en complicité avec des compagnies étrangères. Les jeunes privés d’emploi peuvent se tourner non seulement vers l’immigration clandestine, mais aussi vers le crime organisé ou les groupes armés pour réclamer justice, comme c’est le cas au Nigeria.
Dans le sud-est du Sénégal où l’exploitation des ressources minières a commencé, de nombreuses personnes ont perdu leurs terres et leur bétail à cause de l’exploitation minière. Dans certains villages de la région de Kédougou qui abritent des zones aurifères, des jeunes manifestent souvent pour réclamer des services sociaux et des emplois. Les tensions intercommunautaires sont également récurrentes dans plusieurs villages d’orpailleurs, notamment dans le département de Saraya, toujours dans la région de Kédougou.
Les recherches menées en Afrique de l’Ouest ont montré que la violence et les injustices que perpétue l’État sont des facteurs déterminants qui poussent des individus à rejoindre les groupes terroristes. La situation politique du Sénégal demeure alarmante. La démocratie et les libertés n’ont jamais été aussi menacées : répressions des forces de sécurité au cours des manifestations, harcèlement des activistes, journalistes, militants et sympathisants des partis d’opposition, instrumentalisation du système judiciaire à des fins politiques. Dans le même temps, la corruption reste répandue, de même que l’impunité, et particulièrement pour les membres du gouvernement, leurs partisans et les forces de sécurité. Ce qui entretient un profond sentiment d’injustice.
Toutes ces conditions font que lorsque des cellules terroristes émergeront, elles n’auront aucun problème pour recruter des combattants et collaborateurs. Beaucoup de jeunes seraient tentés de rejoindre ces organisations, ne serait-ce que pour se venger de l’État et de ses institutions ou trouver des moyens de survie et de protection.
Prévenir la menace autrement
Le gouvernement du Sénégal distille un discours sécuritaire articulé autour de la menace extérieure pour cultiver la peur, justifier une troisième candidature du président Macky Sall, solliciter l’aide extérieure et détourner l’attention sur les tares du régime qui constituent un terreau fertile au terrorisme.
L’État du Sénégal devrait-il jouer uniquement la carte de la dissuasion militaire avec les organisations terroristes ? Il s’est développé l’opinion assez répandue que l’armée sénégalaise est prête pour contrer l’extrémisme violent. Les forces armées sénégalaises sont souvent sollicitées dans le domaine du maintien de la paix, mais on ignore complètement si elles sont prêtes et bien équipées pour lutter contre des groupes terroristes armés.
Au lieu de considérer le terrorisme comme une menace de défense qu’il faut prévenir par la stratégie du tout sécuritaire qui demande beaucoup de moyens sans garantie de résultat, le gouvernement devrait plutôt admettre que le Sénégal fait partie intégrante de la ceinture de feu dont il parle. Et pour prévenir ce danger interne, il n’y a rien de mieux que de renforcer l’État de droit et l’indépendance de la justice pour une application équitable de la loi; lutter contre la corruption et l’impunité; criminaliser le recrutement de milices, construire des services publics dignes dans les zones frontalières et éloignées des centres urbains; mettre en œuvre des politiques de développement et de prévention au sein des communautés.