Alors qu’un semblant de décrispation se profilait il y a quelques semaines encore à la suite de la visite du président Sall au Khalife Général des mourides, l’heure est plus que jamais à l’angoisse et le Sénégal retient son souffle à la veille d’un discours de tous les dangers prévu ce 25 juin. En effet, ce qui semble en être les prémisses, apparues au cours de la rencontre que le président Sall a organisée avec ses militants cette semaine à Paris, ne sont pas des plus rassurantes. Et pourtant le Sénégal a plus que jamais besoin de trouver une solution définitive et apaisée à la situation de graves tensions politiques qu’il traverse depuis plus de deux ans et qui a connu ces derniers jours un regain par suite de la condamnation ahurissante de l’opposant Ousmane Sonko, le principal et plus farouche adversaire du régime en place par un tribunal de Dakar le 1er juin 2023.
Nous le savons tous, et cela s’est renforcé davantage au cours des derniers évènements de ce début juin, que ce qui se trame au Sénégal, si l’on y prend garde, débouchera inéluctablement sur un chaos dont on n’ose imaginer les conséquences incalculables. Elles ne laisseront personne indemne, ni Macky Sall et son régime, ni l’opposition politique, ni hélas le pauvre sénégalais lambda !
À huit mois de l’élection présidentielle, les Sénégalais qui devaient être actuellement occupés à examiner et à comparer les offres politiques des différents candidats à la présidentielle, à écouter les principaux prétendants aux destinées du pays rivaliser d’ardeur en explicitant leurs programmes et leur engagement à apporter des réponses à leurs préoccupations en sont hélas réduit à la plus totale des incertitudes. Personne ne sait qui sera candidat et qui ne le sera pas, ni même si les élections se tiendront à date échue ! Leur pays, jadis « vitrine de la démocratie » en Afrique francophone et modèle de stabilité symbolisant l’espoir pour tant d’Africains en général et de l’Ouest en particulier, est empêtré depuis plusieurs années dans un feuilleton ubuesque dont l’épilogue pourrait, si l’on y prend garde, entraîner le seul pays d’Afrique francophone qui a jusque-là échappé aux démons de l’aventure à basculer, devenant ainsi, comme me le disait récemment un ami et grand frère, un « État africain ordinaire.
Nous nous étions pris à rêver, à espérer, à la suite de sa rencontre avec le Khalife général des Mourides que le président Sall souhaitait effectivement trouver une issue paisible à la situation dans laquelle le pays se trouve et pour laquelle il est, si ce n’est l’unique, en tout cas le plus important acteur qui peut mettre un terme immédiat à la crise. De lui dépend aujourd’hui la solution et tout le monde sait qu’il lui suffit de prononcer ces deux phrases simples qu’il se refuse de faire depuis fort longtemps pour que tout s’arrête : « Je ne suis pas candidat à un troisième mandat. Je tiens à organiser des élections transparentes, libres et démocratiques auxquelles prendront part tous ceux qui le souhaitent et qui remplissent les critères, y compris Ousmane Sonko ». Rien que par cela, il mettra définitivement un terme à toute cette tension et à ces actes d’une rare barbarie jamais imaginée dans ce pays. Il ferait également cesser du même coup, toute les manifestations et saccages, conséquences d’un sentiment d’injustice et de la violence qu’exerce son régime sur le peuple depuis un bon moment.
Viendra évidemment le temps de la concertation, du dialogue (le vrai) pour trouver des solutions à certaines questions et pour s’accorder sur l’essentiel qui permettra, tout en faisant preuve de justice, d’agir avec intelligence pour préserver le Sénégal car, au finish c’est le Sénégal qui doit être placé au-dessus de toutes autres considérations, et sa paix et notre survie collective valent tous les sacrifices, voire certains compromis parfois indispensables pour préserver l’avenir et l’essentiel, sans pour autant tomber dans aucune compromission.
En ce moment critique de l’histoire de notre pays, il y a des équilibres à trouver, des solutions consensuelles à adopter afin de sortir indemne de ce cauchemar (déjà un lourd tribut de plusieurs dizaines de vies humaines a déjà été payé depuis deux 2021).
Si l’espoir est toujours permis, (tant qu’il ne se sera pas prononcé), il faut prier que le président Sall revienne à la raison et fasse honneur à sa parole, à sa promesse, à ses écrits, à la loi fondamentale qu’il connait parfaitement et qui ne lui donne aucune possibilité de prétendre à une troisième candidature. Il est évident que ce qui se passe dans ce pays depuis quelques années résulte de sa volonté morbide de se maintenir au pouvoir à tout prix.
Et pourtant, voici un homme au destin incroyablement fabuleux, qui aurait pu finir son règne avec tous les honneurs et des perspectives d’un avenir radieux pour lui et les siens, qu’aucun de ses prédécesseurs n’aura eu. Il aurait pu en effet être celui-là qui, pour la première fois organiserait des élections libres, transparentes et démocratiques contribuant ainsi à consolider la trajectoire démocratique de son pays et rentrer dans l’histoire par la grande porte, rejoignant par la même occasion la liste restreinte de quelques hautes personnalités africaines à la tête desquels le président Mandela. C’est tout le mal que nous lui souhaitons. Mais pour ce faire, il est peut-être encore temps de l’aider à nous aider en espérant que la fenêtre de tir qui s’offre encore à lui, si étroite soit-elle, est encore exploitable.
Il faut saluer les appels venus de tous bords, des amis et voisins du Sénégal et de l’Afrique en général, des institutions internationales et notamment onusiennes et leur demander de maintenir la pression et d’agir de façon encore plus claire, plus explicite et sans ambages pour demander au président Sall de revenir en arrière pendant qu’il est encore temps. Il faut qu’il entende le message de ses compatriotes de tous bords et de toutes catégories à l’intérieur comme à l’extérieur qui en appellent à la retenue et au respect strict des principes de démocratie et de la règle de droit, à l’instar du Conseil des Droits de l’Homme réuni la semaine dernière à Genève.
Le Sénégal se passerait bien d’un médecin après la mort, c’est à dire d’une MINUSEN (Mission des Nations Unies au Sénégal) qui consacrerait, il faut le dire, l’échec de la communauté internationale qui aura assisté, impuissante, au basculement du Sénégal dans une aventure aux conséquences incalculables. C’est donc maintenant, pendant que le président Sall ne s’est encore explicitement prononcé sur ses intentions qu’il faut agir et avec diligence et toute la fermeté que requiert la situation actuelle pour lui faire entendre raison. Toute autre option serait lourde de conséquences.
Les Africains retiennent leur souffle ! En effet, si rien ne change dans ce qui semble être les plans du régime de Macky Sall, le pire est à craindre dans les semaines à venir. C’est pourquoi, il est temps pour les amis du Sénégal et tous les démocrates du monde épris de justice sociale et de paix, d’élever encore plus la voix avant qu’il ne soit trop tard.
Face à ce qui se passe dans ce pays, les Sénégalais dans leur grande majorité sont pétrifiés d’angoisse. Et, comme anesthésiés par une situation qu’ils pensaient impossible dans leur pays au regard de sa trajectoire politique et des avancées significatives réalisées en matière de démocratie depuis notre accession à l’indépendance, les plus âgés se demandent à quel Saint se vouer, tandis que les plus jeunes, ouverts au monde et tirant les leçons des pratiques de Macky Sall depuis son arrivée au pouvoir, consistant à trouver des subterfuges pour éliminer ses adversaires, ont vite que leur salut, et par conséquent celui du Sénégal tout entier réside désormais dans la résistance qui, au demeurant, est consacré par la Constitution du pays. Les Sénégalais n’ayant jamais voulu que leur pays bascule dans une certaine aventure ont toujours privilégié le dialogue et la concertation pour arriver à des solutions consensuelles qui permettent de préserver l’essentiel, mais un dialogue sincère et sans compromission impliquant tous les concernés, et notamment les plus représentatifs.
Or, faute d’autres alternatives, une importante frange de Sénégalais, notamment les plus jeunes, ont été progressivement poussés vers la seule option à leur portée, se battre dans la rue contre l’arbitraire, l’injustice et la discrimination exercés avec une telle arrogance et un tel mépris pour les populations qu’on se pose encore la question de savoir ce qu’il s’est passé chez l’homme de la gouvernance sobre et vertueuse qui promettait de placer la patrie avant le parti et que sais-je encore ?
Le président Sall a promis de s’adresser à son peuple ce dimanche 25 juin au terme de son dialogue avec certains acteurs de la société (de loin les moins représentatifs) et qui, pour beaucoup, n’y sont allés que pour leurs propres intérêts. Malgré tout, espérons et prions pour qu’il soit habité, en cette occasion historique, par la sagesse, la lucidité, le courage ou tout simplement l’amour pour son pays pour prononcer enfin les mots magiques et salvateurs que le peuple attend depuis si longtemps, et, ce faisant, nous préserver d’une aventure aussi dangereuse qu’inutile qui ne lui fera pas honneur et qui n’épargnera personne. Le prix payé est déjà lourd, mais il est encore temps pour sauver l’essentiel : préserver le pays et lui assurer un avenir apaisé permettant de mettre en valeur l’immense potentiel de développement qu’il recèle au bénéfice de sa population et particulièrement de cette formidable jeunesse que nous ne souhaitons plus voir périr par millier au fonds de l’Atlantique et dans le Sahara.
Le président Sall doit et peut encore surprendre son monde en prenant le contre-pied de ceux qui, dans son entourage, le poussent au suicide. Le ferait-il que ses concitoyens, l’Afrique et le monde lui en sauraient gré. C’est tout le bonheur que nous lui souhaitons. Le monde est à son écoute, le Sénégal retient son souffle.
Sakoura Waly est fonctionnaire des Nations Unies.