Pour faire simple, nous désignons par pseudonautes, les traqueurs d’auteurs de posts sur Internet dont le seul objectif, toujours atteint, est d’asséner auxdits auteurs les coups prémédités pour une raison autre que celle qui s’attache aux vrais contenus des contributions écrites. Ces dernières ne sont d’ailleurs pas lues pour la plupart par les pseudonautes de service – presque toujours les mêmes – bien contents d’avoir copieusement insulté les proies sans défense et rendues faciles par leur naïveté qui fait qu’elles pensent pouvoir tirer d’un anonyme le supplément d’âme qui leur manque parfois dans la recherche de la vérité. Deux emprunts – le premier au philosophe français Régis Debray et le second au théologien sénégalais Cheikh Ahmed Tidiane Sy – nous permettent de trouver une explication au pseudo univers des pseudonautes qui dissimulent lâchement leur véritable identité derrière des pseudonymes comme Thiers et Khalil. Dans notre exercice, l’intérêt de la théologie est de nous soulager définitivement du pseudo fardeau rien qu’en regardant à l’ombre du manguier aux fruits mûrs ou a travers le feuillage du bel arbre le massacre impuni, la veille au soir, des chauves-souris.
Aux quais des gares du numérique
Le philosophe français Régis Debray a balisé une voie grâce à laquelle il est possible de cerner le pseudo monde des pseudonautes depuis qu’il a suggéré et théorisé le concept novateur de « médiologie ».
La médiologie n’est pas une doctrine ; elle n’est pas non plus une morale. Elle n’est même pas une nouvelle science. Elle est une méthode d’analyse pour comprendre la transmission dans la durée de l’information. On se conduit en médiologue lorsque l’on tire au clair les relations entre les fonctions sociales supérieures (religion, art, politique, etc.) et un système technique de communication comme la saisie, l’archivage, etc. Mais de tout ce que propose Debray avec rigueur, nous nous contentons ici des trois âges de l’histoire qu’il a circonscrits en insistant sur les sources principales des messages, les destinataires, les modes de transmission et les sujets ou objets valorisés à travers les liens qui se nouent entre les messagers et leurs cibles privilégiées. Le premier âge – la logosphère – est celui de la transmission orale des textes par le clergé en direction du sujet à commander dont la particularité est de ne jamais contester le dogme. La forme de transmission – la prédication – valorise un saint. Le second âge – la graphosphère – est celui de l’écriture imprimée dont use l’intelligentsia pour atteindre le citoyen à convaincre par le truchement de la publication valorisant un héros ou une idée. Le troisième âge enfin – la vidéosphère – est celui de l’audiovisuel, canal par lequel les médias se disputent le consommateur à séduire pour valoriser, à titre d’exemple, la star politique bien obligée d’apparaître. Depuis que les connexions à l’Internet se chiffrent en centaines de millions à travers le monde, les internautes – indépendamment des cursus bons et moins bons des uns et des autres – ont investi un nouvel espace – la blogosphère -, imposant du coup un nouvel âge d’or de l’information où les modes de transmission piochent dans ceux des trois premiers âges et brouillent les pistes de la valorisation. Tout part de l’internaute ; tout revient à l’internaute souverain. L’auteur de La Révolte du Pronétariat (transversales Fayard, 2006), Joël de Rosnay, se dit même convaincu qu’« une nouvelle démocratie est [née], inventée grâce aux nouvelles technologies ou médias des masses (Internet, blogs, SMS, chats…) par les citoyens du monde». « Or ni les médias traditionnels, ni les politiques n’en comprennent vraiment les enjeux… », renchérit-il.
L’extraordinaire explosion des sphères, démultipliées sur le Net, donne l’embarras du choix aux citoyens qui entrent en dissidence contre toutes les formes de contrôle social et politique. Mais pas tous ! S’adonnant au contrôle politique dont ils sont les inconditionnels relais, bon nombre d’internautes, restés sur les quais des gares du numérique, se refusent à prendre un train, cherchant même à faire descendre des trains en partance les passagers déjà installés dans les wagons. Ceux-là sont les pseudonautes qui veulent un monde dans lequel les quatre sphères passent la main au pseudosphère où la pensée en noir et blanc ne s’accommode d’aucune nuance de gris.
L’âme révérencieuse
L’âme est un mystère dont l’invocation se heurte au mur infranchissable derrière lequel elle est enveloppée d’un épais brouillard dont Dieu récuse la dissipation dans le Coran : « Et ils t’interrogent au sujet de l’âme, – Dis : “L’âme relève de l’Ordre de mon Seigneur”.. Et on ne vous a donné que peu de connaissance »(17:85).
Le grand conférencier Cheikh Ahmed Tidiane Sy, dissuada les honnêtes citoyens tentés de répondre aux très nombreuses voix qui s’élèvent à la suite des leurs. L’effort de dissuasion n’est d’ailleurs pas nécessaire si l’âme révérencieuse du sujet valorisé par l’une des sphères joue sa partition au contact du monde extérieur. Cela veut simplement dire que la parole est aux autres après que les auteurs informés de posts ont fini de s’exprimer par les canaux appropriés. Il est en fin de compte erroné de vouloir répondre au nombre considérable de commentateurs de réflexions dont les chances de récolter une seule approbation n’existe pas dans le milieu fermé des pseudonautes longtemps restés à l’affût. Qu’attendre des pseudonautes Thiers et Khalil croisés sur Seneplus quand l’un voit partout « l’intellectuel faussaire » et l’autre « le vieux parasite de la République » ? Vraiment rien !
De l’avis de l’interprète monumental Al Maktoum, l’âme révérencieuse est celle à qui s’adresse Dieu dans les versets 7, 8 et 9 de la sourate Ar-Rahman (Le Tout Miséricordieux) et dont voici les déclinaisons complètes :
«Et quant au ciel, Il l’a élevé bien haut. Et Il a établi la balance (55:7)
afin que vous ne transgressiez pas dans la pesée (55:8)
Donnez [toujours] le poids exact et ne faussez pas la pesée (55:9) ».
Bien sûr, écrit Max Weber dans Le savant et le politique (1919), « la théologie – “étude critique de la pensée et du culte en relation avec Dieu” – se heurte à la question : comment peut-on comprendre, en fonction de notre représentation totale du monde, [les] présuppositions que nous ne pouvons guère qu’accepter ? [La théologie] nous répond qu’elles appartiennent à une sphère qui se situe au-delà des limites de la “science”. Elles ne constituent donc pas un “savoir“ au sens habituel du mot, mais un “avoir“ [Haben], en ce sens qu’aucune théologie ne peut suppléer à la foi et aux autres éléments de sainteté chez celui qui ne les “possède“ pas ».
Les pseudonautes, tous restés aux quais des gares du numérique, renvoient au spectacle bien connu des mangues mûres qui n’arrivent pas à la natte ou à la table à manger du cueilleur domestique qui a la chance de voir pousser un manguier dans sa cour pendant de longues années. Les fruits mûrs à moitié dévorés se trouvant au sol ont subi le même sort que ceux restés là-haut mais presque totalement dépouillés de leur juteuse substance nourricière. L’arbre fruitier avait été flamboyant et altier jusqu’au passage des chauves-souris venues se servir comme bon leur semble quand l’occupant des lieux ronfle le soir. Dieu leur octroya leur part sans grabuge. C’est la loi de la nature. Mais un tout autre spectacle immortalisé sur la pellicule de notre smartphone et auquel nous n’avons pas assisté est celui de l’image de la mangue pas mûre (voir image au début du texte) au pied de l’arbre et qu’une bête, dont la visite inopinée nous échappa, abandonna là, nous rappelant la désobligeance des pseudonautes Thiers et Khalil, deux ignobles perturbateurs comme les appelle Al Maktoum instruit, bien avant les profanes que nous sommes, par la dernière sourate, la 114 ème, An-Nas (Les hommes), du Livre des versets pleins de sagesse.
Abdoul Aziz Diop ambitionne, dans le cadre de ses recherches, d’établir l’antériorité coranique de la démocratie libérale dont l’exclusivité occidentale est généralement admise. Pour les besoins de la tribune sous vos yeux, M. Diop a créé le néologisme pseudonautes.