Cette fois, le président a, en définitive, dit à la sentinelle postée devant la porte de l’Histoire qu’elle était faite pour lui et elle l’a laissé entrer.[1]
Cette crise a eu un point d’arrêt grâce à son discours audacieux et fédérateur. Le président a fait un discours digne. On a même noté un brin de modestie dans son attitude : il n’y va pas, car le Sénégal est plus grand que lui.
Si l’enseignement des évènements de mars 2021 l’avait plutôt incité à s’équiper davantage en matériel de répression et à exhiber ses biceps au défilé des 4 avril dernier, force est de reconnaitre que les émeutes de juin 2023, le portèrent à plus de prudence et à admettre que la partie ne serait pas aussi accessible qu’il l’aurait pensé. La pression internationale a fait le reste.
Telle donc l’Inquisition qui contraignit Galilée d’abjurer ses thèses, c’est le peuple du Sénégal et la communauté internationale qui imposèrent au résident Sall d’abjurer son troisième mandat.
Personne n’a cru à la reconversion soudaine du président aux règles de la loyauté et au respect de la parole donnée. Il les aura souvent bafoués auparavant quand ses intérêts étaient en jeu.
Pour l’heure, nous nous félicitons de cette raison retrouvée. Si nous apprécions de nous être épargnés ces futurs morts qu’aurait causés un acte de candidature à un troisième mandat, nous déplorons et continuons de pleurer ces milliers de morts emportés dans le néant, parce que le président ne voulait pas que ses ouailles refusent de travailler, si lui-même avait déclaré plus tôt qu’il n’était pas candidat.
C’est tout de même un prix à payer fort élevé pour cette incurie du prince. Là encore, on constate l’aveu qu’il nous délivre : mes hommes travaillent pour moi parce que j’ai le pouvoir du décret, qui me permet de disposer d’eux comme bon me semble. On est dans le niveau de base du leadership, celui de l’autorité : les gens vous suivent parce qu’ils le doivent, non parce qu’ils le veulent !
Le temps propice, c’est son temps à lui, pas celui des autres. Peu lui chaut ce qu’il en coute, seule une vérité compte : sa vérité. Il le martelait à suffisance d’ailleurs : « Je n’ai nullement tenu à être l’otage de cette injonction permanente à parler avant l’heure. »
En regardant et en écoutant Macky l’autre soir, bien peu de personnes pouvait, après 15 minutes de discours, quelle était la décision du président. Lui-même a évoqué la situation épineuse du pays, il a agité des terroristes fantômes que, seuls ceux de son camp évoquent et semblent voir, il a couvert d’ombre les nervis que tout le monde a vu tirer sur la foule, et dont nous nous demandons de quels bords ils appartiennent ; le président a menacé lourdement ceux qui menacent le pays. Il a évoqué des enquêtes en cours dont on se demande quand elles aboutiront tant, elles paraissent être l’Arlésienne de la justice. C’est, pour ainsi dire, au moment où on commençait à cesser de l’écouter, que Macky a, en définitive, abordé le sujet qui justifiait notre présence devant la télé. « Ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024 », dira-t-il. Il s’est efforcé d’habiter la phrase, mais rien n’y fit : la chute ne correspondit pas avec les prémisses du discours. Il eut raison. Cette conclusion aura surpris plus d’un.
Nous ne bouderons pas notre plaisir. Il se sera résolu à revenir à la raison. C’était l’essentiel.
À présent, que le « punching-ball » n’est plus là, les hommes politiques, les analystes (moi y compris) sommes tous groggy. Il y a décidément des pièges dans toutes les formes de connaissances faites à partir d’observations. L’évènement « cygne noir » [2] (impact d’un évènement hautement improbable) a atteint tout le monde. Pour l’opposition, l’élément fédérateur de leur mobilisation contre le pouvoir en place, le troisième mandat, se dérobe sous leur pied. Il va falloir très vite se réorganiser. Elle devra (enfin) parler de ses programmes, de ce qu’elle fera après Macky Sall.
Les affidés du président ont eu le destin de leur mouton de Tabaski. Cette pauvre bête qui croyait avant le jour fatidique que le propriétaire était son fidèle ami qui le nourrissait de bonne paille et prenait soin de lui. L’évènement imprévu pour le mouton fut son immolation. Pour la majorité, les faits et actes du maitre depuis 2019, concouraient à confirmer qu’il serait candidat et puis vint le jour fatidique, le 5 juillet à 20 h 16 minutes, patatras le président n’est plus candidat.
La non-candidature du président tombe dans ce créneau d’évènement cygne noir. Que dire de ceux qui, le weekend dernier encore, louait et encourageait le président Sall à être candidat et qui aujourd’hui, salue la grandeur du chef de l’État de ne pas se représenter ? Il va falloir trouver un candidat unique d’ici peu. Ce ne sera pas une chose aisée.
Un destin de Fouché guette tous ces satrapes et autres pleureuses du soir du camp de Benno. Avec l’abdication du président, ils redeviendront ce qu’ils furent naguère, c’est à dire des gens de rien, des ombres misérables qui auront besoin de l’ombre pour se protéger. La messe est dite. Après la crise de Yewwi, la crise dans Benno n’est pas loin.
Il reste au président à compléter sa bonne oeuvre en organisant les élections avec la participation de tous. Son destin et celui de Sonko sont liés. Ne se doivent-ils pas l’un et l’autre une mutuelle reconnaissance ?
Le président Sall devrait remercier Sonko de lui avoir évité une fin tragique et de le faire rentrer par la grande porte de l’Histoire. Le président du Pastef devrait remercier Macky de l’avoir viré de la fonction publique, lui offrant cette trajectoire inédite et le propulsant au firmament.
Quant aux autres prétendants à la présidentielle, à y regarder de près, les gens se demandent comment ces derniers peuvent prétendre être le chef de l’État du Sénégal, tant ils n’en présentent pas le port, ni l’expérience, ni la distance qui prévalent pour cette position.
Qu’on leur chercherait une ambition noble, une haute idée, un projet qui les dépasserait, on aurait du mal à le trouver. Très peu d’entre eux incarnent la face noble et policée de la Politique avec un grand P. C’est là où réside l’échec le plus patent de nos politiciens, celui de ne point préparer la relève du leadership. Ce dernier se prépare, il n’est pas inné.
Les temps à venir seront donc incertains pour nos hommes politiques. Pour paraphraser Saint-Paul : » Les hommes politiques sont comme des avions, on ne parle d’eux que lorsqu’ils tombent, mais il y en a beaucoup qui volent. »
Intéressons-nous dans les mois à venir à ceux qui volent et qui volent haut!
Dr C. Tidiane Sow est coach en communication politique.
Notes :
1 :Tidiane Sow : SenePlus, Sept 2022 : Lettre ouverte au PR
2 : Nassim N. Taleb : The Black Swan