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Lettre À Monsieur Mbaye

Monsieur Mbaye, Voilà trois ans que tu es absent. Physiquement. Après le déni puis l’acceptation, le compte à rebours a commencé et chaque évènement nous fait parler de toi. « Eh si Babacar était là ! » Chacun y allant de sa théorie, de ses développements, de ses délires, de ses digressions, dans de grands éclats de fous rires. Chacun te mettant sur le dos, des défis à relever

On entend souvent dire, en parlant du contenu d’un verre, qu’il est à la fois, à moitié vide et à moitié plein, selon le point de vue de l’observateur, de son degré de soif, de ses états d’âme.

Disons alors que, face à la situation actuelle du pays, le verre semble hélas, deux fois à moitié vide. Parce que depuis trois ans, la politique, ou plutôt la politicaillerie bat son plein. Les élections s’enchaînent et les résultats fragilisent l’édifice qu’est la coalition au pouvoir. Les élections locales de janvier 2022 furent un coup de semonce. Sonko et Dias trônent dans les municipalités de Ziguinchor et Dakar. Diouf Sarr, candidat de la majorité à la ville de Dakar, perd même sa commune de Yoff.

Aux législatives de juillet, l’inter coalition Yewwi – Wallu a secoué le pays. Pour la première fois, la majorité parlementaire est à un député de basculer. La majorité jadis écrasante de BBY n’a tenu que grâce au secours de l’unique député de Pape Diop. Cette assemblée nouvelle, de l’équilibre des forces dès le 12 septembre jour de son installation, est transformée en arène de gladiateurs. On s’y tabasse, on s’y insulte, sans gêne aucune. D’autres ont démonté les chaises et certains, toujours plus loin dans la barbarie, montent sur les tables ou subtilisent l’urne censée recueillir les bulletins de vote des parlementaires. Clou final de ce spectacle de mauvais goût : la gendarmerie a dû fouler le sol de l’hémicycle, comme une profanation de ce lieu phare de la démocratie représentative, pour permettre la poursuite des travaux.

Les électeurs sénégalais, en inventant une sorte de cohabitation parlementaire et en l’accompagnant par une très forte et constante liberté d’expression sur les réseaux sociaux, ont peu à peu gommé la traditionnelle lecture présidentialiste de nos institutions. Ils ont bousculé les habitudes qui avaient rigidifié les comportements. En trois ans, la richesse et l’ampleur de la vie virtuelle dans ce nouveau territoire engage à concevoir une e-démocratie, une e–participation, un “e-droit” qui ne peuvent plus se penser qu’à partir du territoire national : la e-citoyenneté n’est pas limitée intra-muros. Le cyberespace et le droit qui le gère sont en construction. La mondialisation inhérente à l’hyper modernité dématérialise et délocalise les débats, les délibérations et les décisions, construisant ainsi un nouveau visage de la participation politique ou citoyenne dans le virtuel.

Le revers de la médaille se trouve également dans cette hyper modernité, qui sert quelques fois d’alibi à l’étalage d’une certaine vulgarité intellectuelle et morale. Histrions en tous genres, dont la médisance est le fonds de commerce, caquètent sottement dans un espace médiatique dont la médiocrité n’a d’égale que l’artificialité. A l’abri d’un humour qui sent parfois le caniveau et cache mal leurs partis-pris, ces petits-maîtres pénétrés de leur « droit » à dire le bien et le mal se comportent en occultes directeurs de conscience. Cette citoyenneté est-elle dissipée ou dissidente dans ces liaisons numériques ?

La gestion douteuse par l’État de la crise sanitaire née du Covid qui t’a emporté, les querelles politiciennes sur fond de pandémie et la parade des conspirationnistes dans les médias ne sont que la face de l’iceberg du danger qui sévit dans le pays.

Ces irresponsabilités ne sont que l’écume d’un affaissement du pays notable ces 20 dernières années. Entre politiciens sans envergure, intellectuels alimentaires, activistes peu scrupuleux et journalistes encagoulés, c’est le pays qui s’engouffre dans une brèche de la médiocrité dont les manifestations inondent au quotidien les médias et les réseaux sociaux.

L’image qu’offre le Sénégal fait tache au regard de son glorieux passé ; et elle consacre une nouvelle forme de faire-société dont les attributs relèvent d’un spectacle de mauvais goût. Le Sénégal manque d’une exigence qui vise à replacer au cœur de chaque échelon de nos gouvernants, le principe de la responsabilité et de reddition des comptes.

Le sabordage de l’école et des lieux de sacralisation de l’intelligence comme la bibliothèque, le théâtre ou le cinéma, a gommé la culture du champ lexical du politique pour pousser les citoyens dans les bras de l’ignorance et du vulgaire.

L’abandon de la culture est un crime contre une nation, car c’est elle qui tisse les liens entre les particularismes d’une société pour bâtir ce que Senghor appelait «  un peuple sans couture ». L’élite n’a jamais été aussi médiocre secrétant ainsi un danger pour la survie même de notre pays. Le tout avec une sérénité qui interpelle sur leur sens de l’histoire.

On ne peut quand on dirige le Sénégal laisser prospérer l’ignorance et promulguer un modèle de société où la vulgarité, l’outrage sont érigés au rang de valeurs. Les enfants du Sénégal sont malchanceux au regard de ce que cette époque va leur léguer.

Depuis deux ans, toujours la même affaire qui tient en haleine le pays, celle du Sweet beauté, banale affaire de massage thérapeutique pour les uns et havre de volupté pour les autres. Cette affaire privée qui a connu son épilogue avec le verdict du 1er juin n’a néanmoins pas fini de charrier des morts, des blessés et des pertes matérielles.

Dans la foulée du verdict, la rue a à nouveau flambé comme ce fut le cas en mars 2021. Résultat  : une vingtaine de morts et un pays divisé alors que le dialogue national censé panser les fractures du passé battait son plein. Cet épisode n’est pas glorieux pour ce pays qu’on a qualifié « d’exception » en Afrique. Mais n’est-il pas un peu dans les gênes de notre démocratie ? Latine, sanguine.

De ce dialogue d’ailleurs, des acquis pour Karim Wade et Khalifa Sall qui reviennent dans le jeu électoral après leur exclusion du fichier en 2019. Ils auront, par le biais de la modification du code électoral, le droit d’être candidats pour le scrutin de février 2024. Ousmane Sonko lui, empêtré dans deux affaires judiciaires attend la prochaine élection ou l’issue d’un deuxième dialogue que certains parmi ses soutiens réclament. Il y a des passions tristes qui nous enfoncent dans nos problèmes, il y a des admirations qui paralysent la pensée, il y a des joies qui addictent l’esprit à des facilités mutilantes, il y a des haines qui expulsent d’autres au nom de la sécurité et de la stabilité du pays.

En juin 2023, l’affaire de viol est jugée après plus de deux ans de procédure. Le principal accusé est absent, retranché chez lui à Ziguinchor. Il a déclaré la désobéissance civile (ou civique) et a avoué ne plus reconnaître les institutions judiciaires du Sénégal considérées comme parties prenantes à un complot d’État contre sa personne. Les débats furent gênants à la barre, entre les divers types de massage, les pratiques dans l’enceinte close du Sweet beauté et les récits des femmes qui se sont succédé à la barre. Verdict : corruption de jeunesse et la rue s’embrase. Une vingtaine de morts, des biens pillés et saccagés et surtout l’université de Dakar profanée, avec des facultés, dont le Cesti, incendiées. Le Cesti incendié. Cela a dû t’émouvoir.

C’est dans cette période de tensions multiples que le discours de Macky Sall du 3 juillet a été considéré par les uns comme une lumière dans la sombre nuit sénégalaise ou comme un recul face à la pression de l’opposition politique pour d’autres. « Je renonce à ma candidature au nom du respect à la parole donnée ».

Tout est pardonné ou du moins, beaucoup. Il rentre dans l’histoire et se couvre de gloire. Une élection se tiendra pour la première fois dans le pays sans un candidat sortant. La démocratie sénégalaise en sort renforcée. Les débats sur le troisième mandat s’éteignent d’un coup. Et vivement les débats programmatiques en attendant le sort de Sonko qui voit les barrières qui bouchaient la devanture de son domicile, levées.

Macky Sall a renoncé à se présenter pour un troisième mandat ou un deuxième quinquennat (c’est selon), conscient des risques qu’une telle candidature aurait pu faire courir au pays. Au Sénégal, l’idée même de quitter un poste (qu’il soit de responsabilité ou pas), n’est pas chose courante. Macky Sall victorieux de Abdoulaye Wade en 2012 sur sa volonté de rupture et d’être le président de tous les Sénégalais s’est transformé au cours de ses mandats.

Sa décision de ne pas mener la campagne présidentielle prévue en début d’année prochaine, est donc dès lors une rupture. Logique non  ?. On pourra donc, à partir de maintenant, discuter valablement du bilan de ses mandats dont lui-même et ses partisans affirment que ces douze années ont permis au Sénégal d’être émergent et son modèle démocratique préservé.

Macky Sall ignorait-il les risques ? S’il se présentait, il serait apparu comme le fossoyeur de la Nation, de la République, des institutions. Sa fine analyse et son «  réalisme » ont été de respecter l’esprit de la République. Par son renoncement, Macky Sall se hisse dans cette catégorie des hommes d’Etat que beaucoup de commentateurs, hommes et femmes politiques, lui ont dénié depuis son accession à la Présidence de la République. Les trois dernières années de sa présidence à la tête du Sénégal ont été ardues, difficiles, mais le pire des nuages, celui de la trahison de la parole donnée dans un pays bavard est maintenant écarté. Plus présidentiel qu’il ne l’a jamais été, il est aujourd’hui l’arbitre au-dessus de la mêlée de la prochaine présidentielle. Du coup, quelques ambitions se sont révélées  : des tontons flambeurs, quelque fou ou folle de grandeur, des intermédiaires. Peut-être et c’est la formidable ironie de l’annonce du 3juillet. Plus présidentiel qu’il ne l’a jamais été. En attendant, les corps inertes de jeunes migrants entassés dans des pirogues, en quête d’Europe pour une vie meilleure, qui échouent sur nos plages, disent de façon cruelle nos échecs.

GOURMETTE

*Monsieur Mbaye pour Bababar Touré, ainsi l’affublait Mme Henriette Kandé







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