Plus que tout autre sujet d’actualité, celui sur le gros péril que constitue l’émigration de jeunes sénégalais vers d’autres cieux supposés plus cléments, surtout vers l’Europe, nous interpelle aujourd’hui plus qu’avant, sur notre lourde responsabilité partagée, tout en nous mettant en demeure de chercher et trouver, ici et maintenant, de nouvelles pistes de solutions face cette hécatombe qui se déroule devant nos yeux.
Il faut le dire, toutes les stratégies, conçues et mises en œuvre jusque-là, ont échoué ! Pardi…
Et pour cause ! Les Sénégalais, essentiellement des jeunes, mais aussi des femmes et des enfants, tentent encore et encore de partir de plus belle, par tous les moyens qu’offrent des passeurs sans foi ni loi, escrocs et criminels de leur état, bénéficiant certainement de complicités à détecter, leur permettant de déverser leur clientèle entre les mains de tortionnaires présents sur des rivages sinistres ou en plein désert, si une partie ou toute la cargaison humaine n’a pas péri dans les eaux ou par manque de nourriture.
Au Sénégal, où coexistent divers points de départ anciens et nouveaux (dont la Casamance), il n’y a plus un jour où l’on n’enregistre pas des cas de jeunes compatriotes déposés et perdus dans des endroits inconnus et invivables, appelant au secours, ou des pirogues de fortune remplies de dizaines de candidats à l’émigration dite clandestine ou irrégulière, c’est selon, échouant quelque part, avec des morts atroces par noyade, à côté de rescapés hagards, physiquement et mentalement atteints.
Assurément, face à ces phénomènes qui perdurent et s’amplifient de jour en jour, à l’échec retentissant des alternatives proclamées mais aussi à suivre et analyser tant soit peu les propos des survivants, il est clair que la situation nous impose de nouveaux paradigmes.
En effet, pour comprendre la situation de référence, il ne nous est plus permis de ne considérer que les difficultés des jeunes à trouver un emploi décent, source de revenu ou d’évoquer ce mimétisme ambiant face à des cas de « réussite sociale » par l’émigration irrégulière. Il existe beaucoup d’exemples de jeunes qui ont réussi à embrasser un métier, à créer une entreprise, à gagner leur autonomie financière, à fonder une petite famille tout en soutenant leurs parents mais qui, un certain jour, décident de tout quitter pour aller à l’aventure, utilisant des économies ou cédant leur patrimoine pour payer le prix de la traversée à un coût qui aurait pu développer leur activité première. Oui, cela existe !
Il y a lieu de trembler face à des jeunes qui disent « préférer aller mourir dans les océans que de continuer à vivre dans un environnement où ils s’exposent quotidiennement à la risée de leur propre famille qui les stigmatise, ne leur accordant aucun égard ».
En vérité, les situations qui semblent expliquer les motivations sont nombreuses, diverses et très différentes. Nous passons encore notre temps à discuter de ces motivations, autour de vidéos choquantes, sans aller plus loin pour bien comprendre ce qui fait partir les jeunes à tout prix, dans n’importe quelles conditions, sachant les dangers permanents du « voyage » et les chances trop minimes pour arriver dans un endroit tant soit peu sécurisé, où existent de réelles possibilités de travailler, de gagner sa vie.
En plus des gaps notoires dans la prise en charge des besoins en éducation, formation, emploi, santé…, nous devons admettre que le premier facteur explicatif de notre échec est notre manière superficielle voire simpliste d’adresser le phénomène qui nous empêche de bien le comprendre.
Présentement, nous sommes dans l’obligation de revoir notre posture commune, en optant pour : (i) une étude fine et approfondie, menée par une équipe pluridisciplinaire et permettant de capitaliser sur ce qui est fait jusqu’à nos jours, donc identifier les forces et faiblesses, relever les bonnes pratiques, tirer les leçons apprises, puis formuler des recommandations stratégiques, (ii) un plan de mise en œuvre qui distinguerait, au-delà de la responsabilité centrale de l’Etat, celles de toutes les autres familles d’acteurs institutionnelles, socio communautaires, du mouvement associatif de jeunes et de femmes, de la recherche, du secteur privé, des partenaires techniques et financiers…
A son terme, cette étude devrait être soumise à un mécanisme de validation qui va consacrer un engagement national volontaire dont l’opérationnalisation ferait l’objet d’un suivi systématique et de moments d’évaluation pouvant favoriser des décisions de réajustement et de correction.
En tout état de cause, le dispositif multi acteurs chargé de conduire les nouvelles alternatives choisies gagnerait à être gouverné résolument de façon participative, inclusive et transparente. Et, d’ores et déjà, l’alerte devrait être sonnée, en allant au-delà des simples reportages pour transformer l’indignation collective actuelle en une volonté d’agir dans l’intérêt de notre jeunesse, donc de notre pays.