C’était annoncé : Ousmane Sonko ne doit participer à aucun prix à l’élection présidentielle de février 2024. Mais ni le « complot de la masseuse » avec son calamiteux verdict de « corruption de la jeunesse » ni l’ignominieux « complot du ministre » renvoyé en appel n’y ont suffi.
A sept mois de l’élection présidentielle, Macky Sall ayant été contraint de renoncer à un troisième mandat, la guerre des candidats à la candidature faisant déjà rage au sein de Benno Bokk Yakar, il fallait en finir avec Ousmane Sonko
On a donc monté ce nouveau complot par gendarmes et procureurs interposés. Des accusations lourdes et nombreuses ont été portées contre Sonko, notamment de « vol de portable », avant d’être élargies à la suite d’une enquête expéditive, à « vol commis en réunion », « attentat à la destruction du régime constitutionnel » et « commission d’actes terroristes ».
En sus, la dissolution du Pastef, son parti politique, a été décrétée. Est-ce la fin pour Sonko ?
Ousmane Sonko a réussi à devenir une personnalité charismatique unique au Sénégal, une icône adorée par la jeunesse, à l’instar des « Saints » des tarikhas. Le Pastef est devenu le principal parti d’opposition du pays. Au cours des élections législatives de juillet 2022, la coalition de partis qu’il dirigeait a mis en difficulté Benno Bokk Yakar, arrivant à une voix près de l’égalité. Du jamais vu au Sénégal !
La jeunesse s’est emparée du projet du Pastef, dédié au Sénégal et à l’Afrique, basé sur la souveraineté nationale, l’unité africaine et la refonte de l’État sénégalais pour une meilleure gouvernance. Malgré l’assassinat d’au moins 40 personnes lors des manifestations de mars 2021 et juin 2023 et l’emprisonnement de plus de 700 membres du Pastef, la jeunesse reste fidèle à ce projet. Cela est clairement démontré par les soulèvements à travers le pays suite à l’annonce de l’emprisonnement de Sonko et de la dissolution de Pastef.
Une autocratie autoritaire
Face à Ousmane Sonko et à son parti, une autocratie autoritaire s’est installée progressivement. Déjà les libertés individuelles et collectives sont allégrement bafouées.
Le droit à l’information est perverti avec la caporalisation de l’audiovisuel public, la prolifération brusque de médias « marron-beige » aux couleurs du parti au pouvoir spécialisés dans l’intox, la manipulation et la désinformation.
La traque sans relâche des journalistes jaloux de leur liberté et respectueux de l’éthique de leur profession et la coupure du signal des télévisions indépendantes deviennent courant.
Les opinions de citoyens ordinaires exprimées sur les médias sociaux leur valent régulièrement convocation à la sinistre DIC (Division des Investigation Criminelles) et garde-à-vue.
Le droit de manifester est ignoré systématiquement, les demandes de manifestations et de réunions publiques pacifiques des partis politiques comme des organisations de la société civile étant régulièrement rejetées.
Quand elles se tiennent quand même, les manifestations font face à des forces de police et de gendarmerie suréquipées et encadrées par des « nervis » qui font usage d’armes létales ainsi que Le Monde l’a documenté.
L’internet est suspendu en ce moment pour la deuxième fois cette année et les médias sociaux sont étroitement surveillés.
Les sièges de plusieurs partis politiques d’opposition sont présentement barricadés par la gendarmerie, c’est le cas outre Pastef, du Parti Républicain pour le Progrès/DISSO AK ASKAN WI et du Parti de l’Unité et du Rassemblement (PUR) e du Grand Parti.
La stratégie du chaos
Une stratégie du chaos semble être mise en place pour favoriser à tout prix la victoire du candidat du président Sall à l’élection présidentielle de 2024.
C’est la stratégie que Léopold Senghor et Mamadou Dia avaient mises en œuvre avec les dissolutions du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) en 1960 puis du Bloc des Masses Sénégalaises (BMS) de Cheikh Anta Diop en 1962.
On sait ce qui s’en est suivi : le Sénégal en a perdu sa souveraineté à peine entrevue.
C’est ce qui a mené à la situation désastreuse dans laquelle notre pays se débat encore aujourd’hui 62 ans après.
En Algérie, c’est la dissolution du Front Islamique de Salut (FIS) en 1992 qui a précipité le pays dans l’horrible guerre civile de dix ans.
Il est essentiel par conséquent que les démocrates et les patriotes sénégalais continuent à exiger le respect de l’Etat de droit et la restauration des libertés individuelles et politiques.
Ils doivent exiger la libération d’Ousmane Sonko et de tous les prisonniers politiques, ainsi que la réhabilitation de la légalité de Pastef.
La question demeure cependant : est-il encore possible de faire entendre raison au président de la République et de le faire renoncer à son vieux rêve de « réduire l’opposition à sa plus simple expression » ?