Le taux de réussite des coups d’Etat en Afrique dans la dernière décennie est très élevé (plus de 75 % de réussite contre 59% entre 1950 et 1960) . Sous ce regard, certains observateurs n’ont pas hésité à parler « d’âge d’or » pour les putschs dans ce continent.
L’objet de cette contribution est de démontrer qu’il faut plutôt parler de crépuscule d’une forme de gouvernance de la sécurité que la crainte des putschs a poussé les chefs d’Etat africains à adopter et dans laquelle le critère de « proximité » joue un rôle prépondérant.
La compréhension du concept de critère de « proximité », une analyse des récents coups survenus depuis 2020 et les enseignements à en tirer confirment cette hypothèse.
Le critère de « proximité »
Dans les choix stratégiques et opérationnels, la proximité est un critère incontournable.
Dans les pays sujets à des coups d’Etat, nous remarquons que pour se prémunir des coups d’Etat, ce critère est soit exclusif, soit prépondérant. Dans cette optique, l’opérationnalisation de ce concept est indissociable, d’une stratégie de concentration des pouvoirs en matière de sécurité entre les mains du chef de l’Etat, pour lui permettre de faire des choix discrétionnaires, généralement sous le prétexte du caractère sensible et régalien du domaine de la sécurité. Cette stratégie a pour conséquence un fonctionnement bancal des Forces de Défense et de Sécurité, caractérisé par un déséquilibre dans la distribution des ressources matérielles et immatérielles (équipements, avantages), au profit des hommes de confiance du Président et des unités qu’ils dirigent.
Nous remarquons que cette stratégie s’accommode mal des crises (politique, sécuritaire). Les hommes de confiance ont généralement tendance à profiter de leur position pour prendre le pouvoir.
Il en a été ainsi, de manière constante, dans la plupart des coups d’Etat observés en Afrique. Nous appuyons sur des coups survenus récemment depuis 2020 pour le démontrer. Il s’agit des coups observés au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et plus récemment du Gabon.
Le cas du Mali
Dans un contexte de quasi-faillite sécuritaire, les Forces spéciales ont joué un rôle déterminant dans les deux coups d’Etat intervenus en août 2020 et en mai 2021 au Mali et qui ont porté au pouvoir leur chef : le colonel Assimi Goita .
Le cas de la Guinée
Dans un contexte d’une crise politique liée à un troisième mandat contestée, la décision du Président Condé de créer en 2018 le groupement des forces spéciales (GFS) et de nommer le colonel Mamady Doumbouya a sa tête a joué un rôle important dans le coup d’Etat du 5 septembre 2021.
Le cas du Burkina
Dans un contexte de quasi-faillite sécuritaire, le capitaine Traoré, un « proche » du lieutenant-colonel Damiba avec lequel il avait fait le coup d’Etat de janvier 2022, a pu en Septembre de la même année, déchoir son ami et prendre le pouvoir.
Le cas du Niger
Dans un contexte politique calme, mais d’une précarité sécuritaire et économique avérée, la Garde présidentielle, avec à sa tête son chef, le Général Tchani a pris le pouvoir à l’insu des autres franges de l’Armée avec lesquelles il a négocié pour obtenir leur ralliement.
Le coup d’État au Gabon
Dans un contexte de crise post-électorale, le 30 aout dernier, le Général Brice Oligui Nguéma, le Chef de la Garde présidentielle, auparavant Aide de Camp du père du président déchu et directeur des services de renseignement de la garde présidentielle a également pris le pouvoir.
Les implications managériales
Sur le plan théorique et empirique, des enseignements pouvant servir d’implications managériales peuvent être tirés.
Sur le plan théorique, la récurrence des coups d’Etat, du fait de la gestion basée sur le critère de proximité s’explique par l’influence du leadership autocratique, du leadership relationnel et de la théorie de l’agent rationnel.
Le leadership autocratique, du fait de sa tendance à favoriser les pouvoirs étendus du chef sur le groupe par le contrôle des collaborateurs et l’absence de contrôle du chef justifie de manière idéale la stratégie basée sur la concentration des pouvoirs entre les mains du chef. Cependant, il est davantage adapté aux petites unités où le chef connait tous ses collaborateurs et peut les contrôler. Aussi, il s’accommode mal aux organisations complexes comme les institutions de sécurité, du fait de leur structuration organique et fonctionnelle à l’échelle nationale.
Le leadership relationnel est un courant du leadership contingent. Il préconise de tisser des relations différentes avec les collaborateurs en choisissant ceux avec qui nous pouvons entretenir des relations de proximité (familières) et ceux avec qui nous devons entretenir des relations plus neutres. Sous ce rapport, l’influence de cette théorie permet de comprendre les privilèges matérielles et immatériels dont peuvent bénéficier les « hommes de confiance » et leurs unités.
La théorie de l’agent rationnel soutient que les individus, dans des situations d’incertitude ou de conflit, ont tendance à effectuer l’action dont le résultat est optimal pour eux-mêmes. Sur ce plan, en cas de crise, les chefs d’Etats sont exposés. Leurs hommes de confiances, agissant comme des « agents rationnels » en profitent pour devenir leurs successeurs.
Sur le plan empirique, le critère de proximité pour freiner les coups d’Etat a montré ses limites. Les États africains ne peuvent plus faire l’économie de la modernisation du fonctionnement de leurs FDS. Celle-ci devrait passer par une plus grande place aux critères de mérite, d’équité et de compétence et de transparence dans le management des organisations de sécurité. À ce titre, le renforcement des droits et obligations de résultats dans ces organisations est un chantier sur lequel la réflexion doit être engagée. Dans les pays où les coups d’Etat n’existent plus, les critères de transparence, de mérite et d’équité sont prépondérants sur le critère de proximité.
Pour conclure cette contribution, nous pouvons dire que la crainte des coups d’Etat sont à l’origine de leur récurrence. Cependant, les coups d’Etat ne doivent pas être une fatalité pour l’Afrique. La modernisation du fonctionnement de ses institutions de sécurité mais également l’acceptation d’une remise en cause des styles de leadership dans ses institutions sont une voie incontournable. Cependant, si le culte du secret et la résistance au changement pour tout ce qui concerne l’organisation de la sécurité ne sont pas questionnés, il est fort à parier que les coups d’Etat en Afrique ont de beaux jours devant eux.