A quelque quatre mois d’élections cruciales pour le pays, l’incertitude plane sur la participation des personnalités longtemps présentées comme des figures majeures de la politique du Sénégal. Les candidatures d’Ousmane Sonko, de Karim Wade, de Khalifa Sall ne sont pas encore officielles. Elles butent encore sur des questions d’ordre administratif et judiciaire.
Cette incertitude met en ébullition la marmite politique du pays. Macky Sall, ayant renoncé à une nouvelle candidature, a choisi en sa qualité de président de l’APR le Premier ministre Amadou Ba comme candidat à l’élection présidentielle de février 2024, choix entériné par la coalition Benno Bokk Yaakaar.
Au regard de la longue réflexion sur le profil à retenir, il est permis de penser que la marge de manœuvre de Macky Sall est très étroite
Quels critères devait bien remplir le candidat pour être retenu ? Quelles cases devait-il cocher ?
Avait-il en tête de continuer à « diriger » à l’image des duos « Poutine/Medvedev » ou « Issoufou/Bazoum » comme certains l’ont subodoré ? Ahidjo avait tenté le coup en s’accrochant au parti après avoir installé Paul Biya comme successeur. Il a fini exilé et enterré au Sénégal.
Senghor avait, semble-t-il, la même idée de conservation de son rôle dans le PS et, selon la presse de l’époque, il aurait conseillé au Président Abdou Diouf de prendre Moustapha Niasse comme Premier ministre. Son successeur avait non seulement choisit Habib Thiam comme chef du gouvernement mais encore avait entrepris ce qu’on appela à l’époque la « désenghorisation » caractérisée par l’effacement de toute trace dans les médiats du premier président de la République du Sénégal.
En toutes hypothèses, et pour en revenir au Sénégal de cette fin 2023, ce parrainage d’Amadou Ba par Macky Sall a, pour le candidat de Benno qu’il est désormais, des effets contrastés. En effet, avoir l’onction du chef est un élément important de rassemblement de la coalition au pouvoir. En revanche, cette onction constitue un lest du fait qu’elle contraint le candidat à être solidaire du bilan des 12 années d’exercice du pouvoir du président Macky Sall, ce qui n’est pas forcément productif lorsqu’on veut se présenter comme un homme porteur d’espoir pour une jeunesse déboussolée
Le candidat Macky Sall avait pris le soin de « larguer les amarres » en quittant le bateau PDS pour créer son propre parti en 2008, autrement dit il avait disposé de quatre ans pour arriver à incarner le changement face à Abdoulaye Wade.
Cette façon de faire le rendit moins comptable du bilan de son ancien parti où il avait gravi tous les échelons ministériels pour culminer à la tête de l’Assemblée nationale.
Tel n’est pas le cas d’Amadou BA qui sera bien obligé d’assumer les points faibles de la gouvernance de son mentor durant la campagne
Par conséquent, le thème du changement de campagne sera difficile à mettre en avant dans son discours de campagne électorale
Une campagne qui ne sera donc pas exempte de contorsions et de défis. En effet, comment haranguer les jeunes sur le thème du changement sans égratigner le bilan du président Macky Sall en matière d’emplois ?
Comment parler de paix tout en gardant en prison près d’un millier de jeunes arrêtés durant les manifestations de 2021 et 2023 ? Comment faire la promotion la démocratie sénégalaise, dont l’image la plus forte est l’organisation d’élections inclusives, si Ousmane Sonko, l’incontestable leader de la jeunesse, est interdit de participation et de surcroît privé de liberté ?
Comment parler de liberté politique et de transparence démocratique lorsque les opposants rencontrent d’énormes difficultés de la part de l’administration territoriale pour se mouvoir à travers le pays ? (Par exemple, tournée de Malick Gackou parsemée d’interdictions).
Il faut également rajouter l’apparition de forces centrifuges en APR, qui portent atteinte à la cohésion du camp du pouvoir derrière le candidat choisi. Afin que nul n’en ignore, Mohamed Boun Abdallah Dionne vient de « republier » sa déclaration de candidature. « Oui je suis candidat à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Oui je m’engage » a-t-il répété, comme pour rassurer que sa dernière entrevue avec le Président Macky Sall n’avait entamé en rien sa détermination à se présenter. Globalement, la déclaration donne le sentiment que le candidat Dionne n’assume pas l’héritage de son mentor sur plusieurs aspects. Mohamed Dionne parle de “refondation” et de “réajustement” dans les termes suivants : « Je m’engage pour une refondation et un réajustement des règles de la vie économique, politique et sociale sénégalaise sur des standards élevés à définir, à partir d’une vision commune de l’avenir ». Est-ce à dire qu’il faut tout revoir, tout rebâtir à partir de standards de qualité supérieure ? Des standards cette fois partagés par les forces vives du pays, contrairement au PSE dont l’élaboration a relevé du seul bon vouloir du Président Macky Sall ? “Je m’engage parce que la situation de tensions politique et sociale que nous vivons présentement au Sénégal exige un processus sincère d’apaisement et de réconciliation nationale” poursuit-il. Tout est dit. Pas besoin de s’appesantir outre mesure ! S’adressant à la jeunesse, il lui dit ceci : “Je m’engage pour un pacte nouveau qui réconcilie la République avec sa jeunesse, dont le malaise nécessite l’adoption urgente d’une nouvelle politique nationale de jeunesse. Désormais, donner un métier à chaque jeune Sénégalais et l’accompagner dans son aspiration légitime d’une vie meilleure dans le pays qui est le sien, doit être la sur-priorité des pouvoirs publics sénégalais. Notre ambition pour le Sénégal s’exprimera à travers une série de réformes et de projets nouveaux qui se déclineront en marqueurs forts dans le programme du Gouvernement que je mettrais en place au lendemain de notre victoire, en février 2024 », fin de citation. On peut donc conclure, au vu de cette déclaration, que le candidat Dionne annonce une rupture avec la politique de Macky Sall une fois élu
Venant de la part d’un vieux compagnon de Macky Sall (il fut son directeur de cabinet à la Primature), certains ont émis l’idée qu’une certaine connivence le liait à son ancien patron dans cette affaire.
D’autres attribuent cette sortie à l’ambition personnelle de Dionne qui ne se sent plus lié dès lors que Macky Sall a fait acte de non-candidature. L’avenir proche nous édifiera sur les non-dits d’une déclaration aussi tonitruante. La déclaration du candidat Amadou Ba est donc attendue, notamment pour ce qui concerne les changements qu’il compte apporter. Sa situation est plus délicate que celle de Mohamed Dionne bien que ce dernier n’ait jamais déclaré être encarté à l’APR, ce qui d’ailleurs lui confère une certaine virginité politique.
Amadou Ba a besoin du soutien de Macky Sall, secrétaire général de l’APR, pour rassembler au maximum son camp derrière sa candidature, même si être le représentant de la coalition au pouvoir BBY, donc un comptable du bilan global, devient un handicap au-delà.
En effet, on est contraint d’assumer un passif bilantiel mêlant usure du pouvoir, mal gouvernance, répression politique tous azimuts, pouvoir exécutif hypertrophié, utilisation inefficiente des ressources publiques etc.
De plus, si l’on se fie à la régression progressive des suffrages engrangés par la coalition au pouvoir au fil des consultations électorales, il est plus que probable que le rassemblement du camp tout entier derrière un candidat unique ne saurait suffire pour garantir la victoire en février 2024.
De plus, d’autres défections de ténors de l’APR sont notées ça et là.
Aly Ngouye Ndiaye et Mame Boye Diao ont décidé ouvertement de ne pas soutenir la candidature de l’actuel Premier ministre. On peut penser la même chose d’Abdoulaye Daouda Diallo, dont le soutien a été plus qu’inaudible, au point qu’il lui soit demandé plus de clarté dans le propos
Dès lors, faute de pouvoir mobiliser tout l’électorat, comment la coalition au pouvoir compte-t-elle gagner au 1er tour de la présidentielle de février prochain ? Imagine-t-on que l’élimination de Sonko du scrutin, voire de Karim et Khalifa Sall, pourrait-être une condition suffisante pour être victorieux ? À notre avis, croire en l’hypothèse selon laquelle les électeurs se rabattraient sur le candidat du régime actuel, faute d’adversaires crédibles dans le camp adverse, serait une erreur de jugement
L’aspiration au changement est telle que les combinaisons les plus savantes peuvent être trouvées dans l’opposition pour vaincre le régime actuel.
On a en souvenance les rocambolesques élections législatives de 2022 tant dans la formation des listes que dans le choix de participer au scrutin malgré l’élimination de la liste des titulaires de YEWWI ASKAN W
Notre conviction est que des élections présidentielles régulières en février 2024 auraient de grandes chances d’ouvrir une nouvelle alternance politique au Sénégal.
Il serait souhaitable qu’elles se tiennent sans violence ni manipulations pour ne pas avoir à revivre les évènements douloureux de mars 2021 et juin 2023
Ce qui s’est passé lors de ces évènements est une abomination. Ça a dérapé de partout. Le mot dérapage, utilisé à souhait, reflète candidement l’espoir qu’il ne saurait y avoir eu une intention réelle d’ôter la vie par balles à de jeunes manifestants.
Il faut déplorer à ce propos qu’il n’y ait pas eu d’explications officielles, pas de justification, ni de contrition et de regrets de la part de ceux-là qui ont fait usage d’armes léthales pour « neutraliser » des manifestants armés de pierres. Il n’y a pas eu non plus de drapeaux en berne, le tout étant mis au passif de ces mêmes manifestants.
Nous finirons en invoquant le très chahuté passage de Macky Sall à la 78ème Assemblée générale de l’ONU dont il faut tirer les leçons, tant elles sont dévastatrices pour l’image du président de la République et du Sénégal qui, jusque-là, passait pour un modèle de démocratie apaisée.
La mobilisation de la diaspora sénégalaise en Amérique a établi une réalité qu’il était bien difficile de cerner auparavant. Il est clairement apparu que le Sénégal, comme d’autres pays du monde d’ailleurs, est en réalité un quartier d’un village planétaire mondial, scruté dans ses moindres activités par des réseaux sociaux et autres outils de communication en perpétuelle évolution technologique, permettant de saisir et de traiter et de fournir en temps réel les informations écrites, sonores et visuelles aidant à appréhender les réalités les plus enfouies
En définitive, l’enjeu du scrutin de février 2024 va bien au-delà du choix d’un homme aux habits taillés par des dispositions constitutionnelles hyper présidentialistes pour diriger le pays.
Le peuple a sonné l’heure de la rupture. Excédé par la malgouvernance, il a décidé d’en finir avec la corruption sous toutes ses formes, les détournements de l’argent public ainsi que le gaspillage des ressources du pays par des ministres et autres dirigeants de sociétés publiques. Certains d’entre eux ayant été épinglés par les organes de contrôle ont échappé aux sanctions grâce au magnanime coude présidentiel.
La volonté de changement du peuple est d’autant plus ferme que les services de base essentiels se sont fortement dégradés (santé, éducation, factures eau électricité pesant sur les revenus et budgets alimentaires broyés par l’inflation).
Nul doute que le choix pour une rupture radicale dans l’art de gérer les biens de la cité sera fortement exprimé par des citoyens déterminés à en finir avec le régime actuel. Cela se fera selon le génie propre des Sénégalais qui sont maîtres dans l’art de « dégager » les régimes politiques qui ne correspondent plus à leurs attentes.