Définition : Le « privilège du préalable » désigne la faculté qu’a l’administration d’imposer sa volonté à des personnes sans avoir obtenu leur consentement préalable (et sans avoir recours à l’autorisation préalable d’un juge)
Concrètement, le ou les destinataires d’une décision administrative doivent s’y conformer. Ils peuvent la contester devant un juge, mais un tel recours n’a pas d’effet suspensif : la décision est applicable tant que le juge n’en a pas décidé autrement. C’est pourquoi Maurice Hauriou disait que «l’administration est en partie son propre juge, en ce sens qu’elle remplace par des décisions exécutoires les jugements qu’un particulier serait obligé de demander»
Pourquoi l’administration bénéficie-t-elle du privilège du préalable ?
Selon le Conseil d’Etat, le privilège du préalable est une «règle fondamentale du droit public» (CE, Ass., 2 juill. 1982, Huglo). L’idée est de donner à l’administration les moyens nécessaires pour accomplir sa mission, qui est la satisfaction de l’intérêt général. Cela implique qu’aucun intérêt particulier ne puisse venir entraver les décisions prises par l’administration à cette fin. Par ailleurs, les autorités administratives ne peuvent pas renoncer au privilège du préalable et demander au juge de prendre une décision à leur place (CE 30 mai 1913, Préfet de l’Eure). L’utilisation du privilège du préalable est pour elles une obligation.
Les effets du privilège du préalable
En vertu du privilège du préalable, tous les actes pris par l’administration sont présumés légaux. L’administration n’a pas à démontrer, préalablement à l’entrée en vigueur de ses décisions, leur conformité au droit. Les actes administratifs ont donc une force exécutoire immédiate dès que les mesures de publicité nécessaires ont été effectuées. Autrement dit, les administrés doivent obéir immédiatement aux décisions administratives. Peu importe qu’elles soient légales ou non, elles ont à leur égard la même autorité. En outre, comme expliqué ci-dessus, les recours formés à leur encontre devant le juge n’ont pas d’effet suspensif ; tant que le juge n’a pas décidé de leur illégalité, elles continuent à s’appliquer (même si elles apparaissent illégales).
Cette absence d’effet suspensif est consacrée à l’article L4 du Code de justice administrative, qui dispose que «sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n’ont pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par la juridiction». Ainsi, le juge n’est pas saisi, comme dans les relations entre particuliers, préalablement à la production des effets de droit, mais a posteriori, lorsque les effets de droit se produisent déjà. Il ne confère pas l’autorité normative aux décisions de l’administration, mais ne peut que faire obstacle à une autorité qu’elles ont déjà par elles-mêmes.
Au final, on comprend bien que le seul moyen pour un administré de ne plus être tenu d’appliquer un acte administratif déterminé, est de faire établir son illégalité devant le juge. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’administré sera libéré de son obligation de se conformer à l’acte administratif. Dans un litige de ce type, l’administration occupera la position de défendeur et l’administré, celle de demandeur. Ainsi, l’administré devra assumer la charge de la preuve, en application du principe selon lequel la charge de la preuve incombe à la partie demanderesse. Ce ne sera donc pas à l’administration de démontrer la légalité de sa décision mais plutôt à l’administré de prouver son illégalité.
Les tempéraments au principe de l’effet non suspensif des recours
L’exécution immédiate de certaines décisions administratives illégales peut avoir des conséquences irréversibles pour certaines personnes qu’une déclaration d’illégalité a posteriori ne réparera jamais (notamment à cause de la longueur des délais de jugement). Dès lors, on peut considérer que tout administré doit pouvoir demander au juge administratif la suspension d’une décision contestée. A ce titre, le Conseil constitutionnel a considéré que la possibilité d’obtenir la suspension d’une décision administrative visée par un recours en annulation, est un principe à valeur constitutionnelle (Cons. const. 8 janv. 1987, n° 86-224 DC).
C’est pourquoi le référé suspension a été créé par la loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives, et est entré en vigueur le 1er janvier 2001. Il figure à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, qui dispose en son premier alinéa que : «quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision». On voit donc que la suspension de la décision administrative est soumise à certaines conditions :
– le référé-suspension doit être précédé ou accompagné d’un recours en annulation ou en réformation de la décision administrative, lui-même recevable – il faut une situation d’urgence
– l’un des moyens de la requête doit susciter un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Si ces conditions sont réunies, le juge des référés pourra rendre une ordonnance de suspension de la décision attaquée. Il faut donc bien comprendre que ce n’est pas le recours qui est suspensif ; seule l’ordonnance du juge des référés peut suspendre la décision attaquée. Une fois la suspension prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision (article L. 521-1 alinéa 2 du Code de justice administrative). Ainsi, en permettant la suspension de l’exécution de la décision administrative dans l’attente de la décision au principal, le référé-suspension constitue un tempérament nécessaire au principe de l‘effet non suspensif des recours devant le juge administratif, et donc au privilège du préalable. Voilà sur quoi se fonde l’administration pour refuser de remettre Ousmane Sonko sur les listes électorales. C’est abordé en 2e année de droit.
Maxime BIZEAU
Avocat de formation Diplômé de l’Ecole d’avocats du Barreau de Paris