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À Gaza, 2006 Explique 2023

Ariel Sharon présentait Yasser Arafat comme l’obstacle principal à la paix. Depuis la mort d’Arafat, le 11 novembre 2004 à Clamart (France), Israël poursuit la colonisation. De retour d’une visite en Israël et dans les territoires palestiniens occupés par l’Etat hébreux, l’ancien Premier ministre français, le socialiste Laurent Fabius – aujourd’hui président du Conseil constitutionnel français – répond, le dimanche 29 janvier 2006, au cours de l’émission Le grand rendez-vous, aux questions de TV5 Monde. Son commentaire sans détour sur la pauvreté à Gaza et en Cisjordanie et sur l’état désastreux des services publics était on ne peut plus révélateur d’une forte demande palestinienne de mieux-être auquel le mouvement de résistance islamique (Hamas) a su, avec des fortunes diverses, répondre pendant de longues années d’isolement de Yasser Arafat et de son mouvement, le Fatah.

Après de nombreuses victoires sur le terrain du bras caritatif du mouvement de résistance à l’occupation et à l’oppression, le bras politique du Hamas obtint, le 26 janvier 2006, une très large majorité au Conseil législatif palestinien qui lui valut 76 des 132 sièges que compte le Parlement. Preuve de la grande vitalité de la démocratie palestinienne en proie, dès l’annonce des résultats par la commission électorale, aux censeurs occidentaux, principaux obstacles à la paix dans cette partie du monde.

La démocratie palestinienne

A l’issue des législatives du 26 janvier 2006, la démocratie palestinienne administra à Israël et au reste du monde la preuve de sa vitalité. Il y eut un précédent. Lors des élections municipales partielles qui se sont déroulées le 5 mai 2005 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, les observateurs firent état de la bonne tenue qui imposa, avec 33 % des suffrages, le Hamas comme un acteur majeur du jeu politique face au Fatah (56 % des voix). « Pour l’équilibre, laissait entendre un électeur du nord de la bande de Gaza, je préfère que deux partis soient aux affaires plutôt qu’un seul. Les gens veulent que la nouvelle mairie mette fin à la corruption et au népotisme (Haaretz, 6 mai 2005). » Entré en fonction quatre mois plus tôt, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, « [promettait] d’entreprendre des réformes, de se débarrasser des fonctionnaires incompétents et irresponsables, et de rétablir la loi et l’ordre ». Dans une démocratie représentative, les promesses, non tenues ou passablement tenues, expliquent les changements de majorité. C’est exactement ce qui s’est passé en Palestine. « Si je vois que le monde extérieur refuse de nous aider, puis qualifie le Hamas de terroristes, alors j’ai le droit de choisir le Hamas, parce qu’ils font tout cela pour moi », commentait, à l’occasion des élections municipales palestiniennes partielles de mai 2005, un électeur de Bethléem, zone à forte population chrétienne. Colporté par le quotidien israélien Haaretz, ce commentaire est particulièrement approprié après la ruée dans les brancards des censeurs occidentaux – Bush en tête- qui dénient aux électeurs palestiniens le droit d’« essayer le Hamas, après ce qu’ils considèrent comme l’échec du Fatah ». Un peu plus de deux mois après les municipales palestiniennes partielles, le président français, Jacques Chirac, interrogé par Haaretz, déclare que « le Hamas est une organisation terroriste qui ne peut être un interlocuteur de la communauté internationale tant qu’il ne renonce pas à la violence et ne reconnaît pas le droit à l’existence d’Israël. C’est la position de l’Union européenne ; elle est sans ambiguïté et ne changera pas ». Une position caduque après la proclamation des résultats des législatives palestiniennes.

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La démission, dans la matinée du 26 janvier 2006, du gouvernement palestinien, dirigé jusqu’alors par Ahmad Qoreï, et l’acceptation du verdict des urnes par le président de l’Autorité palestinienne sont deux autres signes forts de vitalité démocratique suffisamment persuasifs pour engager la communauté internationale dans une voie autre que celles des erreurs du passé fatales à la paix dans cette partie trop longtemps éprouvée du monde.

Les erreurs du passé

Lorsque l’ingénieur Yasser Arafat s’installa en 1959 au Koweït, il y créa sa propre société et le Mouvement de libération de la Palestine, qui devint rapidement al Fatah (la victoire). Le but premier de la nouvelle organisation était la destruction de l’Etat d’Israël et l’établissement d’un Etat palestinien de la Méditerranée au Jourdain. Lorsqu’en 1988 éclata l’Intifada, la « révolte des pierres », à Gaza et en Cisjordanie, Yasser Arafat reformula sa pensée à travers la Déclaration d’indépendance de l’État de Palestine. Les Accords d’Oslo ou Accord de Jéricho-Gaza du 13 septembre 1993 prévoient alors un passage entre les deux zones et le transfert aux Palestiniens des secteurs de la santé, de l’éducation, des affaires sociales, de la taxation, du tourisme et de la culture. A la suite de ces accords, la communauté internationale salua le discours de paix de Yasser Arafat lorsqu’on lui décerna en 1994 le prix Nobel de la paix. Il renonça officiellement à la lutte armée contre Israël en même temps qu’il reconnut cet État comme légitime sans pour autant obtenir la paix. Assigné à résidence par le gouvernement israélien, Yasser Arafat vécut dans son QG de Ramallah, séparé de son peuple, les trois dernières années de sa vie. Il décède officiellement à Clamart (France) le 11 novembre 2004 sans avoir vu la création d’un État palestinien. Dans la brèche laissée par le Fatah, sans Arafat, s’engouffre le bras politique du Hamas avec l’assentiment démocratique des Palestiniens contre lequel s’insurgent les nouveaux censeurs, tous héritiers des anciens. Ces derniers choisirent de soutenir Israël au détriment des Palestiniens, rééditant le soutient, en 1920, du « sionisme » plutôt que de l’« arabisme » par la Grande-Bretagne, bien déterminée à imposer son contrôle sur la Palestine.

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L’issue paritaire

A la recherche d’un allié objectif pour provoquer la chute de Yasser Arafat, Israël laissa naître, dans les années 1980, le Hamas et reconnut officiellement le bras politique et caritatif du mouvement. L’interdiction du Hamas par Israël ne survint qu’en 1989 lorsque son chef spirituel, Cheikh Ahmed Yassine, « reconnu coupable d’avoir ordonné l’enlèvement et le meurtre de deux soldats israéliens », est arrêté et condamné à la prison à vie par une cour israélienne. Libéré de la prison israélienne, en 1997, en échange des membres du Mossad emprisonnés en Jordanie par suite de la tentative d’assassinat avortée d’un autre dirigeant du Hamas, Khaled Mashal, le Cheikh Ahmed Yassine multiplie les appels à la résistance à l’occupation israélienne. Il est assassiné le 22 mars 2004, sur ordre d’Ariel Sharon, lors d’une attaque ciblée de l’armée israélienne. Pour bon nombre d’observateurs, le changement de direction à la tête du Hamas explique le changement de stratégie du mouvement et son implication accrue dans la vie politique. Ce changement de cap n’échappe qu’aux censeurs de Washington, Londres, Paris et Berlin. « [Les Israéliens, pour leur part], se bercent d’illusions s’ils croient que leurs visées se réaliseront dans l’après-Arafat », soutenait le chef du gouvernement palestinien démissionnaire, Ahmad Qoreï. « Un jour, ils regretteront Arafat », disait-il. Nous y sommes en 2006 après le succès électoral du Hamas, devenu l’interlocuteur incontournable dans tout processus de paix ultérieur.

Interrogée par la Télévision suisse romande (TSR), l’ancienne déléguée palestinienne auprès de l’Union européenne, Leïla Shahid, reconnut la défaite du Fatah et suggéra, dans le respect du choix démocratique des Palestiniens, une issue paritaire qui passe d’abord par la condamnation des actes de violence quelle que soit leur origine. En dépit du parti pris occidental, la communauté internationale doit donc se montrer tout aussi perspicace. L’avènement définitif d’une société mondiale post-clausewitzienne en dépend plus que jamais.

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2023 comme si 2006 n’a jamais existé !

« Depuis 2006, qu’est-ce qu’à fait le Hamas si ce n’est détruire, ruiner consciencieusement Gaza, socialement, économiquement, moralement… La propagande sur les enfants gazaouis, la manière dont ont été éduqués ces enfants par la force… On leur a mis dans la tête que l’ennemi était les juifs… La défaite morale est énorme ; ce pays est un ramassis de propagand[istes], il n’y a plus d’opposants politiques… C’est un totalitarisme qui a pris la main sur 2 300 000 Gazaouis… ».

La journaliste française, d’origine iranienne, Abnousse Shalmani, dit tout cela sur LCI lors de sa participation remarquée à l’émission 24 heures Pujadas du lundi 16 octobre 2023…

De tout ce qui est dit là pour n’exprimer qu’une opinion personnelle, en empruntant la manière à la propagande, une seule chose mérite d’être retenue : 2006 ! Une date… Suffisante pour montrer comment Shalmani, fâchée avec la conscience historique qui lie janvier 2006 à octobre 2023, abuse les téléspectateurs français et ceux du reste du monde sur Gaza et les Gazaouis.

Dans une lettre ouverte à Thomas Friedman, éditorialiste au New-York Times, Nelson Mandela écrivait : « Si vous voulez la paix et la démocratie, je vous soutiendrai. Si vous voulez formaliser l’apartheid nous ne vous soutiendrons pas. Si vous voulez soutenir la discrimination raciale et le nettoyage ethnique nous nous opposerons à vous. Quand vous aurez pris votre décision passez-moi un coup de file. » Mandela s’efforça également de montrer à Friedman, suspecté de réduire le combat des Palestiniens pour la « liberté, la libération et l’égalité » à la seule revendication d’un « Etat » pour la Palestine, que « les réponses de l’Afrique du sud en matière de violation des droits humains provenant des politiques de déportation et des politiques d’apartheid ont mis en lumière ce que la société israélienne doit nécessairement accomplir avant que l’on puisse parler d’une paix juste et durable au Moyen-Orient ».

Une chose est sûre depuis janvier 2006 : on ne s’y prendrait pas autrement en choisissant Gaza comme le meilleur laboratoire pour montrer que démocratie -victoire par les urnes – et paix – acceptation du verdict –  ne font qu’une et même chose.

Ancien porte-parole du Mouvement du 23 juin (M23), Abdoul Aziz Diop est candidat déclaré à l’élection présidentielle du 25 février 2024.







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