Dimanche 19 novembre 2023. Au cœur du 13e arrondissement de Paris, j’ai passé un après-midi pas comme les autres, en ces temps déprimants. Le froid s’installe timidement, et commence à agir sur mon corps sahélien. Peut-être, c’est cela la rançon de l’exil. Alors pour me réparer et mettre un peu de soleil dans ma journée ; je suis allé me lover dans les bras chaleureux du cinéma. Cet art majeur, miroir de notre humanité commune dans une certaine mesure, accueille avec générosité tous les assoiffés de douceur, de nuance, de solidarité, d’altérité et d’espérance dans un monde qui s’efface. Heureusement, grâce au cinéma, il existe des films, qui peuvent retarder cette terrible échéance. Le film « L’Abbé Pierre – Une vie des combats » de Frédéric Tellier, nous offre cette possibilité.
Interprété par Benjamin Lavernhe, acteur talentueux et formé au grand scénario sans jamais tomber dans le pathos ou l’imitation ; ce magnifique film – d’une humanité rare retrace le parcours exceptionnel d’un homme pluriel et hors norme. L’Abbé Pierre, le fondateur d’Emmaüs, la voix des sans voix. Ou celui qui était au service des plus pauvres, des petites gens, des invisibles, des exclus.
Le bien-être de l’humain sans distinction de race, de langue, de religion ni de croyance, était sa seule obsession. Un homme de cœur tout simplement, devant l’Eternel.
Ce film nous raconte à travers le personnage de Benjamin Lavernhe et son acolyte et âme sœur, Lucie Coutaz, brillamment incarnée par Emmanuelle Bercot ; toutes les luttes menées par cet homme debout, généreux, mystique, défenseur des faibles et rempli de doutes. Son fameux appel à l’hiver 1954, quand le froid était en train de décimer des femmes, enfants, personnes âgées dans les rues de Paris, est bouleversant. Sa voix grave posée sur les ondes de la radio Luxembourg, devenue RTL, résonne encore en moi. Voici en substance, les mots qu’il avait prononcés : « Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! » Ce message est d’une actualité criante, malgré le temps écoulé.
Soixante-neuf ans après « l’insurrection de la bonté », la misère, le mépris, l’injustice, continuent d’exister. Pourtant, les adeptes du néolibéralisme avaient promis le bonheur et la dignité sans fin, un ordre social dégoulinant de générosité. Quelle escroquerie !
Les inégalités ne cessent de s’accentuer dans nos bassins de vie. Voilà le message phare de « L’Abbé Pierre – Une vie des combats ». Mais il n’est pas que cela, c’est un film universel et intimiste, qui interpelle toutes les consciences éveillées, d’ici et d’ailleurs. J’ai été ému aux larmes par ce biopic émouvant, poignant et surtout inspirant. Car il m’a fait penser aux enfants talibés qui paradent dans les rues de Dakar, Thiès, Saint-Louis ; aux millions de Sénégalais qui se privent de repas chaque jour ou qui dorment dans des taudis, sans que cela ne choque réellement personne. En vérité, cette triste réalité qui nous interpelle sur notre humanité, voire notre rapport à l’autre ne nous pousse pas dans nos retranchements.
Celles et ceux qui conduisent les politiques publiques pour changer la vie des précaires, se targuent toutes les deux minutes des ponts et routes réalisés par le prince. Pendant ce temps, des millions de gens demeurent dans l’indignité absolue. La puissance publique ne donne pas de réponses à la hauteur des besoins. Elle ne fait pas grand-chose ; elle apporte juste des mesurettes qui ne changent rien au fond.
Le film de Frédéric Tellier sur cet humaniste total, ce tribun et tisseur d’avenir m’a bouleversé, m’a pris aux tripes. Il m’a rappelé ma condition d’homme nimbée de vulnérabilité. « L’Abbé Pierre – Une vie des combats » est un grand film, qu’il faut absolument voir pour terminer l’année sur une note d’espoir. Je le recommande sans réserve.