C’est à Malango, haut lieu de la sorcellerie dans le Sine, que le Destin lui adresse un clin d’œil appuyé. Lui, il n’est là que pour remédier à une hernie discale, outre un petit souci avec sa cinquième lombaire, une syphilis chronique et un début d’impuissance qu’il met sur le compte de son ex, une garce frustrée qui lui fait jeter un sort toutes les semaines depuis leur divorce. Les lecteurs de cauris qu’il consulte sont unanimes : d’abord, cette mégère porte la poisse. Il vient de remarquer ses battements de paupières saccadés, signe qu’il ne lui arriverait rien de bon dans la vie tant qu’elle serait sous son toit. Et puis, sa manière de nouer négligemment le pagne à droite est un second indice : il se défait trop vite pour une femme honnête…
Sa défunte mère, au flair infaillible, doit reposer en paix depuis que la mégère est de retour chez son père avec ses baluchons. Dès les présentations, les sourcils froncés et la tête d’enterrement maternels parlent d’eux-mêmes : il y a des emmerdes qui s’annoncent !
Bref, tout ça est derrière lui. Là, il scrute le futur. C’est la cérémonie du khoye, à laquelle il assiste par hasard, qui lui met la puce à l’oreille, quand un saltigué annonce à l’assistance que le futur président de la République est parmi eux. Ça confirme la vision de son ancien marabout qui, dans un songe après listikhâr, le voit prendre ses aises en famille au Palais de l’avenue Senghor. On se convainc d’aller à l’assaut du pouvoir pour bien moins.
Par où commencer ? Ben, simplement en rassemblant le gotha des féticheurs dans un shadow cabinet. Ça doit venir de partout, depuis le chasseur songhaï, jusqu’au chérif maure, en passant par le prêtre vaudou béninois. Bien entendu, l’expertise locale est plus que tout sollicitée : du Peul au Sérère, du Diola au Manjack, du Lébou au Socé, ce petit monde des enchanteurs se dévoue pour la juste cause.
Objectif : avant tout, se blinder la carapace à grands renforts de bains mystiques, d’amulettes, d’offrandes sophistiquées et de sacrifices sanglants… Chameaux, chevaux, ânes, bœufs, moutons, cochons, boucs, volailles, riz, mil, œufs, lait, colas, fruits et légumes : les mânes politiciens célestes sont insatiables !
Je vous épargne la liste des ors, des argenteries et des étoffes précieuses à distribuer à des nécessiteux de la connaissance de ces redoutables marabouts…
Autre mesure radicale : plonger dans l’eau de mer treize vendredis d’affilée, à treize heures, treize minutes et treize secondes, aussi, ça garantit l’invulnérabilité. On a beau canarder notre candidat de kortt, rien n’y fait, le ressac de l’Atlantique renvoie tout à l’expéditeur
Les litres de philtres d’amour venus d’Inde, qui le rendent irrésistible, c’est dans l’eau calme du Lac de Guiers qu’il s’en va les déverser : voilà, c’est fait, direction, les robinets de la Sen’Eau… Les Sénégalais ne sauront plus comment lui dire non au moment du vote
La partie la plus délicate est sans doute la manière de se débarrasser du plus sérieux candidat, le Président sortant. L’option la plus efficace : envoyer une escouade de casse-cou attendre qu’il sorte du Palais pour passer derrière lui en traînant une marmite en fonte. Si ça ne marche pas, la solution extrême : on lui dédie un concert de casseroles et sa voiture fait des tonneaux sur la route nationale lors d’une tournée économique
Ô surprise, le Président sortant vient de renoncer officiellement à sa candidature pour les prochaines élections. Lui-même ne sait pas ce qui lui prend. L’usure du pouvoir, sans doute.
C’est fait : éliminé en douceur !
Ça vaut tout de même à trois militants dévoués quelques jours de garde-à-vue : tapage diurne et violation d’une zone de haute sécurité…
Qu’à cela ne tienne, sur la ligne de départ pour la Présidentielle, il ne reste plus que du menu fretin… D’ailleurs, il a tous les prénoms et noms des parents de tous les candidats dans des feuilles aux écritures cabalistiques. Y’en a qu’on place sous un objet lourd ; d’autres qu’on chauffe tous les matins dans l’encensoir avant de les plonger la nuit dans de la glace ; et puis il y a ceux que l’on truffe d’épingles.
Ils sont tous hors d’état de nuire au bout de trois semaines
Bon, c’est parti ! Pour lancer sa campagne, le Sorcier-candidat commence par effectuer le tour des chapelles religieuses, d’Est en Ouest et du Sud au Nord, histoire de recueillir de saints crachats à s’enduire sur la figure et la tête.
Quoi, le coronavirus ?
Là, il n’a pas le choix, il lui faut s’habiller ample pour contenir l’armada des amulettes qui le couvrent des chevilles à la nuque. La répétition des rituels est bouclée : il ne sort jamais de chez lui en posant le pied gauche dehors, ni avant de verser de l’eau glacée sur le seuil du domicile. Inutile de vous préciser qu’il ne se sépare pas de son caleçon et son sous-vêtement fétiches durant toute la campagne. La nuit, ça fait sa lessive et au petit matin, même quand les dessous ne sont pas secs, ça les enfile…
Quant à l’odeur nauséabonde des décoctions mystiques dont ça s’asperge à feu continu, elle est couverte par les parfums orientaux entêtants. Pas de douche avec un gant de toilette et du savon pendant toute la campagne : la bataille mystique qui fait rage ne tolère aucun faux-pas ! Bref, après une campagne menée tambour-battant dont un dernier sprint au deuxième tour durant lequel presque tous les adversaires sont hospitalisés, le foules se pressent à ses meetings pour y raffoler des quantités gargantuesques de riz gras assaisonné avec on ne sait quoi de magique
Là, on y est : le Peuple le plébiscite et notre candidat passe dès le premier tour, les doigts dans le nez.
Avant d’emménager, il préfère qu’une garnison de sorciers le précède au Palais, histoire de le «déminer» à grands litres de zam-zam… Ben, quoi : qui est fou ? Quant à la shortlist des premiers ministrables, avant le premier décret, il la confie au chérif maure qui dort avec dans la nuit de jeudi à vendredi. Sa mission : lui sortir le bon numéro au petit jour
Il lui faut de toute urgence aussi une épouse de teint clair et des cheveux qui lui tombent sur les épaules, une chute de reins vertigineuse, des dents du bonheur bien en évidence et qui noue son pagne solidement côté gauche
Pour ce qui concerne le programme économique et social pour les cinq années qui viennent, ben, on verra ça, semaine après semaine, avec l’horoscope du Soleil et les cauris…
Allez, wassa !