Les comportements politiques reposent sur la socialisation politique et leur analyse renvoie à la question des formes de la participation politique des individus. La participation politique a pour but d’agir plus ou moins directement, sur la sélection du personnel politique et/ou sur les actions qu’il entreprend.
On distingue généralement la participation conventionnelle qui comprend la participation électorale (exercice du droit de vote) et la participation partisane (relations avec des partis ou des élus, participations aux campagnes électorales, adhésions partisanes, activités militantes) de la participation non conventionnelle qui regroupent des activités plus protestataires (par exemple : l’exercice des droits de pétition, de manifestation et de grève ; les occupations de locaux ; les pratiques de séquestration ; les actes de désobéissance civile).
La distinction entre ces deux formes de participation politique varie suivant les époques, les systèmes de valeurs et les régimes politiques existants.
Toutefois, il est en ce sens loisible de convoquer la problématique traditionnelle qui théorise la réticence délétère des Sénégalais à la plénitude d’une participation électorale.
Le fonctionnalisme sociologique est condensé dans une métaphore exprimant la froideur du regard porté par les Sénégalais sur leurs dirigeants et la négligence de leur capacité électorale : en réalité, il existe dans l’esprit sénégalais un désintéressement criard du vote. Voilà synthétisée l’idée du vote procédant d’une fonction sociale et républicaine.
La clarté qu’autorise une connaissance encyclopédique de la sociologie électorale est d’exprimer la pertinence de la part la plus ésotérique du complexe sénégalais du vote. Ce qui justifie l’urgence d’un changement de paradigme au sein même de la théorie, que je désignerais par l’expression de «vote autopoïétique». Ici surgit l’acmé sociologique de la théorie de l’abstentionnisme en matière électorale
Le vote est généralement considéré comme relevant de la participation politique conventionnelle, et non comme le degré zéro de la participation. En effet, il sous-tend une adhésion à la communauté nationale, c’est l’expression la plus éloquente de la dimension identitaire du vote.
La participation électorale se mesure par le pourcentage d’électeurs ayant voté lors d’un scrutin (taux de participation). Elle permet de mesurer d’une part, l’intérêt des citoyens à l’égard du scrutin et/ou du système politique et, d’autre part, le degré d’intégration sociale des individus.
En ce qui concerne l’intérêt des citoyens à l’égard du scrutin, un constat balafré nous tenaille : nous observons, à notre plus grand étonnement, que l’électeur sénégalais n’en a cure des élections législatives et municipales qu’il considère comme étant du «menu fretin», mais qu’il accorde une attention religieuse à l’élection présidentielle qui, selon lui, est le primat de toutes les élections.
Si l’on considère cet état de fait, l’élection présidentielle apparaît comme une réalité hypersensible, une sémantique particulière qui place la personne du Président au présidium de la démocratie. Cette élévation de la fonction présidentielle au pinacle de la République frise quelque peu à la déification de la personne du Président.
De ce qui précède, une analyse mathématique des chiffres issus de la Présidentielle de 2019 et des Législatives de 2022 nous aiderait à comprendre l’idylle entre l’électeur sénégalais et la Présidentielle.
Pour les Législatives de 2022, le nombre de suffrages valablement exprimés s’élève à 3 260 886. Seuls 3 279 110 électeurs sur les 7 036 466 inscrits ont choisi de voter, représentant ainsi un taux de participation de 46,64%. Parmi les inscrits, la majorité n’ont pas voté, soit 53,36%.
Pour la Présidentielle de 2019, nous avons noté 6 683 043 inscrits, seuls 4 428 680 ont décidé de voter, soit un taux de participation de 66,27 % et un taux d’abstention de 33,73 %.
A la lumière de cet exposé, une préoccupation s’impose : qu’est-ce qui justifie ce comportement de l’électeur sénégalais ? Pourquoi participe-t-il plus à l’élection présidentielle qu’aux autres scrutins ?
A notre sens, d’une part, la réponse réside dans la conception que l’électeur sénégalais a de la fonction présidentielle, et d’autre part, des pouvoirs «divins» qui sont dévolus au Président. Pour reprendre la vulgate biblique dans la parabole des talents : «A celui qui a beaucoup reçu, il lui sera beaucoup demandé.»
En effet, l’électeur voit le Président comme un monarque qui lie et délie, qui nomme et dénomme, qui condamne et gracie. Et puisque qu’il en est ainsi, il se doit d’être plus exigeant et plus participatif quant à son choix. Et de ce fait, une participation fervente et massive est notée à chaque Présidentielle, non du fait du scrutin, mais du fait de l’importance de la charge du futur élu. Sous ce rapport, il convient de préciser que l’électeur sénégalais, au cours des dernières années, s’est forgé une maturité électorale «spartiate» qui lui donne la capacité de faire une lecture politique poussée des candidats en lice avant de choisir. Il faut le dire, le temps des achats de conscience est révolu
La conception déifique inséminée dans la fonction présidentielle par l’électeur sénégalais justifie sa place de luxe dans le processus électoral lié au choix du Président.
Il ressort de cette analyse que, plus s’élèvent la pratique de la religion, le niveau de revenu et de diplôme, plus la participation à la Présidentielle est forte. Par ailleurs, l’appartenance géographique joue un rôle, dans la mesure où on note une participation plus élevée dans les localités rurales (du fait de la présence d’élus de proximité relativement connus, d’«un contrôle social» plus serré et d’un sentiment diffus que l’exercice du droit de vote est un devoir civique) que dans les localités urbaines (marquées par le développement d’un vote utilitaire, d’un «vote à la carte» liés aux caractéristiques politiques du scrutin).
Il est de loi d’airain que l’absence de participation électorale se traduit par deux types de comportement :
L’abstentionnisme et le défaut d’inscription sur les listes électorales
Le taux d’inscription sur les listes électorales est fonction de la plus ou moins grande intégration des individus à la collectivité nationale, confirmant la dimension identitaire du vote. Ainsi, ce taux augmente avec l’âge, avec le niveau de diplôme, avec l’existence d’une activité professionnelle et avec la pratique religieuse pour ne pas dire le radicalisme religieux (vote au commande)
L’Abstentionnisme
L’abstentionnisme se mesure à la proportion des individus inscrits sur les listes électorales mais qui ne participent pas au scrutin. Cette mesure est cependant problématique. Parmi les abstentionnistes, certains le sont involontairement (changement de domicile), d’autres sont recensés à tort (faux inscrits, erreurs d’inscription). A présent, procédons à une analyse politique de ce phénomène électoral.
I) L’analyse politique de l’abstentionnisme
Plus forte que – la fréquence des consultations est forte ;
– la notoriété des candidats est faible ;
– les programmes politiques sont peu différenciés ;
– le résultat de l’élection semble acquis ;
– les électeurs sont peu convaincus de l’importance du scrutin (enjeu institutionnel et politique), déterminée en partie par les efforts de mobilisation des candidats et par la place que lui accordent les médias. Cela explique en partie une participation différenciée suivant les scrutins (élection présidentielle, élections municipales, élections législatives).
On s’intéresse ici principalement aux causes proprement politiques de motivations des individus, parmi lesquelles, on peut relever :
– un sentiment d’‘hostilité à l’égard de l’élection ou plus généralement à l’égard du système politique ; – un sentiment d’indifférence qui, en réalité, oriente en grande partie les motivations des électeurs, bien plus que le sentiment d’hostilité.
Il reste qu’un tel sentiment ne marque pas significativement la population des abstentionnistes, dans la mesure où une grande partie de l’électorat ne montre que peu d’intérêt envers la politique.
II) L’analyse sociologique de l’abstentionnisme
Sur les tenants d’une approche sociologique de l’abstention, celle-ci s’explique moins par les sentiments d’hostilité ou d’indifférence des individus que par les sentiments d’incompétence ou du fait d’une faible intégration à la société. Ce type d’analyse insiste donc sur l’influence des diverses situations sociales (ex, appartenance socioprofessionnelle et géographique des individus comme facteur explicatif d’une faible abstention).
Pour A. Lancelot, dans son étude publiée en 1968, l’abstentionnisme recule selon le degré d’intégration à un groupe intermédiaire (importance du cadre de vie, lieu de résidence stratifié socialement ou non ; lieu de travail, homogénéité sociale) et selon le niveau de la participation sociale (pratique religieuse, adhésion à plusieurs associations, adhésion syndicale).
En définitive, l’abstention doit donc être considérée comme le produit d’une norme culturelle conditionnée par des facteurs sociaux, et non comme une attitude politique ou une attitude vis-à-vis de la politique.