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Cheikh Anta Diop, IntinÉraire D’un Savant Courgeux Et Anticonfirmiste

« L’ignorance de l’histoire de son peuple est une forme de servitude ».

La lumière a jailli le 29 décembre 1923 dans le terroir de Caytu, un village se situant à 29 kilomètres du département de Bambey dans la région de Diourbel. C’est dans cette contrée qui se trouve à 150 Kilomètres de Dakar que Cheikh Anta Diop, digne fils de la Linguère Maguette Diop et du jeune Massamba Sassoum Diop qui décède peu de temps après la naissance de son prodige, a vu le jour. Orphelin de père, le jeune Cheikh Anta passe son enfance sous la tutelle d’érudits soufis, ce qui lui confère une base d’enseignement coranique et philosophique ancrée dans l’esprit du mouridisme. Son intelligence frappe très tôt son entourage, ce qui lui donna la possibilité d’entamer ses études scolaires à l’école française de Diourbel.  Dès son arrivée à Diourbel, il vit sous le toit de Cheikh Ibra Fall, disciple ésotérique de Cheikh Ahmadou Bamba et père adoptif de Cheikh Anta, il lui inculqua la rigueur et l’ardeur du travail, valeurs intrinsèques du mouridisme.

Diourbel fut un terroir de formation et d’émancipation pour Cheikh Anta Diop, son enseignement en primaire fut sanctionné par le certificat de fin d’études primaires qu’il obtint en étant le premier du centre. Après sa réussite, il retrouve sa mère à Médina dans la banlieue dakaroise pour s’inscrire au lycée Vallenhoven qui est l’actuel lycée Lamine Guèye. Sa soif de connaissances et ses bases linguistiques solides en Wolof lui poussent à vouloir créer un alphabet commun pour les langues africaines. Un projet osé qu’il va abandonner pour mieux poursuivre sa carrière scientifique. Cheikh Anta fit sa première partie d’études secondaires à Dakar mais ses différends avec son professeur de français M. Boyau lui poussent à quitter Dakar pour s’inscrire en série mathématique au lycée Faidherbe de Saint Louis.

Esprit curieux, Cheikh Anta finit par obtenir son baccalauréat en Mathématique à Saint Louis, diplôme qu’il va réenrichir par son brevet de capacité coloniale en philosophie à Dakar. Parcours typique d’un jeune intellectuel à la conquête du savoir. Cette ingéniosité acquise si tôt lui conduit à Paris où il s’inscrit au lycée Henri-IV pour devenir ingénieur en aéronautique. Parallèlement, il va s’inscrire à la Sorbonne où il décroche sa licence de philosophie. 

Préparant sa thèse sur l’historiographie africaine intitulée De l’antiquité Nègre Egyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’Aujourd’hui dans laquelle, il affirme l’origine négroïde de la civilisation égyptienne, Cheikh Anta peine à réunir un jury pour sa soutenance. Ce refus des académiciens d’être membres du jury de sa thèse n’avait rien d’académique mais il était d’ordre idéologique. Le jeune chercheur sénégalais venait de faire bouger la ligne de stabilité scientifique sur l’hégémonie hellénistique comme source et fondement de toute science. 

Les idéologues de ce refus cherchaient à protéger une supériorité scientifique et culturelle de l’Occident à l’égard des autres « races » secondaires, de ce fait, ils ne pouvaient pas accepter cette « vérité » qu’avançait un jeune nègre. Le combat d’historicité qu’a entamé Cheikh Anta a laissé perplexes le monde scientifique et surtout les Egyptologues sur l’origine négroïde des égyptiens. Une thèse que Cheikh Anta n’est pas le premier à avancer mais il est le premier à le démontrer avec tant d’acuité. Son courage intellectuel pour montrer que la scientificité n’obéit pas à des critères standards lui rapproche d’Aimé Césaire qui s’est battu pour lui trouver une maison d’édition. Quoi de plus normal que de publier cette thèse chez un éditeur africain ? L’ouvrage fut publié dans Présence Africaine, une maison d’édition créée par le philosophe Sénégalais Alioune Diop pour définir l’originalité africaine. L’ouvrage publié sous le titre Nations nègres et culture va bousculer l’univers intellectuel occidental. Historien, socio-anthropologue, philosophe et scientifique Cheikh Anta s’est battu sur tous les fronts de la science pour défendre sa thèse. Cette opiniâtreté lui a valu l’acceptation de sa soutenance en 1960. Cette soutenance polémique qui a duré sept heures de temps fut sanctionnée par une mention honorable pour tenir l’intellect rebelle hors des amphithéâtres occidentaux. Les critiques qui lui ont été faites sont d’ordre bibliographique et méthodologique pourtant dans le fond du problème aucune antithèse concernant l’origine négroïde de l’Egypte antique.   

Cette brèche historique qu’à ouvert Cheikh Anta dans le monde scientifique ne sera pas laissée inexplorée. De conférence en conférences, d’ouvrage en ouvrages, Cheikh Anta approfondit sa pensée avec des arguments à la fois comparatifs, linguistiques et génétiques. L’ouvrage Nations nègres et culture vu comme un nouveau souffle de revalorisation de la conscience africaine n’en est pas seulement un ouvrage de galvanisation des Noirs et d’anoblissement des origines nègres, il est avant tout une thèse scientifique affirmant l’origine négroïde et monocentrique de l’Égypte antique. Elle démontre une souveraineté scientifique de l’Afrique noire dans les mathématiques, la géométrie et les sciences dites molles, ce qui lui opposera aux fondateurs du mouvement de la négritude qui s’axaient plutôt sur une relativité culturelle alors que Cheikh Anta Diop va au-delà d’une relativité qui ne décrit pas la réalité historique des faits.

La publication de l’œuvre de Cheikh Anta en 1954 annonce une rupture de perception rendant caduques toutes les théories qui avançaient l’origine polycentrique de l’Homme. Son courage intellectuel et son anticonformisme scientifique se confirment juste après sa soutenance où il prend le chemin du retour au Sénégal pour former les futurs intellectuels. Pourtant, sa candidature à la chaire de Sociologie à l’université de Dakar fut rejetée afin qu’il ne puisse pas formater les nouveaux étudiants à adhérer aux théories qu’il avançait. Ce rejet du poste d’enseignant-chercheur à ladite université qui porte son nom aujourd’hui va lui ouvrir les portes de l’IFAN où il sera assistant sous la direction de Théodore Monod. Ses travaux à l’IFAN sur le Mali et son laboratoire de datation des échantillons archéologiques par la méthode de radiocarbone lui donnent accès à des données qui vont plus éclairer sa thèse sur l’origine négroïde de l’Egypte et les relations socioculturelles et historiques que partagent les ethnies africaines et ceux des égyptiens antiques. Cette posture rebelle de l’intellect qui affirme que l’humanité a pris naissance en Afrique n’a pas manqué de résistances même chez ses disciples comme Amadou A. Dieng qui affirme : « l’un deçà de l’homme et l’au-delà de l’homme ne peut être connu par l’homme ». Cette critique est loin d’être scientifique dans la mesure où il est tout son ancrage repose sur une doctrine ésotérique refusant à l’Homme la capacité d’être à la fois sujet et objet de son origine et de son devenir.

Malgré la richesse de son parcours intellectuel, l’engagement politique de Cheikh Anta Diop fut un moment déterminent de son itinéraire intellectuel. Élevé dans un environnement mouride ou le nationalisme et l’anticolonialisme sont des doctrines for imprégnées, Cheikh Anta avait très tôt intériorisé les prérequis idéologiques contre toute négation ou domination. Ce qui lui a valu cet attribut d’adolescent hostile à l’autorité que lui taxait M. Boyau. Cette idéologie contestataire lui pousse à lutter farouchement contre la colonisation. Engagé en politique dès l’année 1947, Cheikh Anta consacre sa vie aux indépendances africaines. Il milite au Rassemblement Démocratique Africain dont il devient le secrétaire de 1950 à 1953. Dans cette organisation Diop fustige l’union française entre les pays africains et la France et propose un État fédéral africain. Ses prises de position à l’encontre de la Métropole vont se poursuivre jusqu’aux indépendances des pays africains en général et celle du Sénégal en particulier.

Dès 1961, Cheikh Anta Diop créa le Bloc des Masses Sénégalaises. Son engagement politique sera la cause de son emprisonnement en Juillet 1962, il sera libéré le mois d’Août de cette dite année. Son parti BMS fut dissout par le président Léopold Sédar Senghor en 1963. Suite à cela, il fonde le Front National Sénégalais pour contrecarrer la politique pro-occidentale Senghorienne, le parti sera interdit en 1964. En 1976, il crée un nouveau parti, le Rassemblement National Démocratique (RND), déclaré illégal peu après. Senghor démissionne du pouvoir en décembre 1980 et Abdou Diouf son successeur supprime les lois interdisant la formation de partis politiques. De cette façon, les charges qui pesaient contre Cheikh Anta Diop ne sont plus valables et le RND est légalement reconnu. Cependant, après les élections, Anta Diop refuse d’occuper le siège obtenu à l’Assemblée nationale pour protester contre ce qu’il considère comme des élections frauduleuses. Son esprit nationaliste et anticonformiste ne l’a pas propulsé en politique mais il a permis l’éclosion d’idées foisonnantes donnant corps et âme à l’afrocentrisme. Cheikh Anta au-delà de son apport intellectuel a donné un nouveau souffle de vie aux africains afin qu’ils se départissent de leur pessimisme ambiant et des affirmations fallacieuses faisant des peuples africains des populations non prométhéennes, primitifs et anhistoriques.

Cheikh Anta Diop est avant tout un mémoire vivant, le panthéon du savoir nègre qui a su remettre sur les rails une vérité mise sous silence depuis plusieurs générations. Ces réflexions ne doivent pas être laissées aux oubliettes car elles permettent un renouveau culturel et scientifique et déclenche un vent de changement et d’autonomie qui commencent à souffler partout en Afrique.

« Il faut veiller à ce que l’Afrique ne fasse pas les frais du progrès humain. (..) froidement écrasée par la roue de l’histoire. (…) On ne saurait échapper aux nécessités du moment historique auquel on appartient ».

Alioune Dione est Socio-anthropologue, auteur : Afrique et Contemporaneïté.







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