Le traumatisme né de la floraison de listes en 2017 était tel que l’instauration d’un filtre était quasiment devenue une demande sociale. Les partis politiques, participants au dialogue politique, avaient convenu du parrainage comme tamis nécessaire en vue de rationaliser la participation aux élections. Telles étaient, en tout cas, les intentions de départ. A l’arrivée, malheureusement, force est de constater que ce parrainage dont le second contrôle s’est achevé, cette semaine, a été une occasion de rigoler, n’eut été le sérieux du sujet : le processus de présélection de celui qui nous dirigera pendant les cinq prochaines années.
La démocratie, dit-on, est le moins mauvais des systèmes politiques. Le parrainage pourrait, par analogie, être considéré comme le moins mauvais des filtres de sélection. Sauf que son usage nous a donné à voir et constater ce qui, en temps normal, devrait se jouer au Grand Théâtre. Des candidats à la candidature, naturellement parrains de leur propre candidature, ont été surpris de s’entendre dire que le fichier électoral dont dispose le Conseil constitutionnel ignore jusqu’à leur existence. C’est le cas, par exemple, du Pr Mary Teuw Niane. Le candidat recalé révèle que, après investigations, lui et son équipe se sont rendu compte qu’il fait partie des «28 887 parrains non identifiés au fichier général des électeurs».
L’ancien ministre de l’Enseignement supérieur jure, la main sur le cœur, qu’ «il n’y a [pourtant] pas d’erreur» sur ses données reportées. Une incongruité parmi tant d’autres. En effet, tout comme Mary Teuw Niane, Mohamed Ben Diop, candidat issu de la Diaspora, est tombé des nues quand il s’est vu notifier qu’il était impossible, pour la commission de contrôle des parrainages, de l’identifier.
Et que dire de ce candidat qui a déposé une liste de parrains de faux députés ? Dans un pays où, pendant toute une journée, un citoyen lambda s’est prévalu du titre de député pour siéger dans l’hémicycle, on est presque dans l’ordre du paranormal, me dira-t-on.
Ces cas, celui de la Pouponnière «Keur Yeurmandé» et tant d’autres, sont, hélas, le reflet de ce que nous sommes : une société de frime où le paraître justifie tous les excès. Conséquence : culture du faux à tous les étages.
La comédie vire au tragique quand un ancien ministre de l’Intérieur, lui-même victime des ravages du parrainage, commence à douter de la fiabilité du fichier qu’il avait sous sa responsabilité, en 2019. «J’ai été ministre de l’Intérieur du Sénégal, c’est moi qui ai organisé les élections de 2019, donc je sais bien de quoi je parle. C’est normal qu’on se pose des questions parce que quand quelqu’un a sa carte d’électeur, régulièrement inscrit, il n’a jamais changé de bureau de vote, rien ne peut justifier qu’il ne soit pas dans le fichier électoral», déclare Aly Ngouille Ndiaye.
Samedi 06 janvier, c’est la Cena, chargée de la supervision et du contrôle des élections, qui se fend d’un communiqué qui jette un énième doute sur la fiabilité du fichier. Dans le document, signé de son Président, mais dépourvu de cachet – qu’elle finira par authentifier – la structure autonome «tient à informer les électrices et électeurs que la version actuelle du fichier électoral sur son site n’a pas encore été mise à jour en vue de l’élection présidentielle de 2024». Par conséquent, elle déconseille vivement l’utilisation des informations actuellement disponibles sur son site, qui se réfèrent aux élections législatives de 2022. «Ces données sont incomplètes et peuvent contenir des erreurs, notamment en ce qui concerne les lieux et bureaux de vote», ajoute-t-elle. Interdit de rire !
Et dire que c’est ce fichier sur lequel les acteurs peinent à accorder leurs violons qui servira de base de fiabilisation du processus électoral ! Même légal, un pouvoir issu de ce processus risque de souffrir, ab initio et jusqu’à la fin de son mandat, d’un déficit de légitimité.