Lorsque le dialogue supplée la discorde, les grincements de dents et les injures, vous faites quoi ? Vous applaudissez ou bien vous pleurez ?
En vérité, chers compatriotes, vous êtes en train de lire un test de patriotisme à question unique. Un vrai. Votre réponse permettra de savoir si vous êtes un bon patriote, un mauvais ou un antirépublicain. Le texte qui suit est la réponse que j’ai apportée à ma propre question, et un peu trop longue, il est vrai. En effet, lorsque j’ai testé mon test, quelqu’un a répondu par un petit cœur tout rouge. Un autre par deux mots : « Je danse ». Un autre encore : « Je fais une prière de deux prosternations » ou « Je ramasse un caillou » ou « Je garde le silence pour ne pas exploser de colère », etc. J’ai aussi noté des réponses qu’il est préférable de taire, dont certaines, véritables chapelets d’insultes, sont aussi longues que la mienne : vous connaissez mieux que moi nos concitoyens et cette atmosphère délétère dans laquelle ils baignent et qui les met en colère contre tout et tout le monde, les incitant à la vulgarité. Mais, et je le pense sincèrement, tout cela est superficiel : ils ne sont pas mauvais, quant au fond. Lisez quand même, avant de donner votre réponse : le texte est inspirant.
« Le Sénégal est le pays du dialogue », disait le président-poète, chantre de la négritude. « Le Sénégal est le pays du dialogue », dit le président-ingénieur, inventeur du TER1 et du BRT2 , suivant les conseils de Diouf et Wade, respectivement grand commis de l’État et apôtre du Sopi 3 . Dialogue ! réclament les « recalés » et les « spoliés » du parrainage. Dialogue ! exigent les dénonciateurs des travers du processus électoral, jamais constaté dans l’histoire politique du Sénégal indépendant…
Dialogue ! Dialogue ! Dialogue ! Mais, je vous en supplie, mes chers compatriotes, que le penco4 ne soit pas un paaco5 , comme le craignent les enfants de Ngor, terre de la dignité. Qu’il ne soit pas un tapale, simple « tape à l’œil » pour tromper le monde. Qu’il soit sincère. Qu’il soit inclusif. Qu’il soit total. Qu’il soit aussi rayonnant que le flambeau d’un guide, que l’étoile du berger, que le soleil à l’assaut du zénith… Qu’il soit comme le rêve d’un cœur en quête du bien-être au profit d’un peuple en détresse. Qu’il soit l’annonciateur du jour.
Dialogue ! Dialogue ! Dialogue ! Mais, je vous en supplie, mes chers compatriotes, que le penco4 ne soit pas un paaco5 , comme le craignent les enfants de Ngor, terre de la dignité. Qu’il ne soit pas un tapale, simple « tape à l’œil » pour tromper le monde. Qu’il soit sincère. Qu’il soit inclusif. Qu’il soit total. Qu’il soit aussi rayonnant que le flambeau d’un guide, que l’étoile du berger, que le soleil à l’assaut du zénith… Qu’il soit comme le rêve d’un cœur en quête du bien-être au profit d’un peuple en détresse. Qu’il soit l’annonciateur du jour.
Je sais que nous sommes le peuple de la teranga6 . Mais trop de cette belle vertu identitaire l’enlaidit, trop peu la tue. Alors, bas les extrémismes. Bas les « dialogueurs » jouant les vers de terre, et qui rampent, et qui se laissent écraser. Bas les pourfendeurs du dialogue, égoïstes et exclusivistes. Certains parmi eux, comble de paradoxe ! qui hier seulement appelaient à la désobéissance civile, appellent aujourd’hui au respect du Conseil constitutionnel…
Mais sommes-nous toujours le pays du dialogue, sommes-nous toujours le peuple de la teranga ? Je ferme les yeux et je réponds : « Oui ». Car, si je les laissais ouverts, j’aurais répondu plutôt : « Nous sommes devenus le pays du gatsa-gatsa7 ».
Que n’a-t-on pas vu chez nous, ces dernières années ? Que n’a-t-on pas entendu ? « Mourez, et vos mères engendreront à nouveau ! », « Attaquez les domiciles des pontes du pouvoir, vous y trouverez l’argent volé au peuple ! » Et des jeunes de se lancer dans la vendetta, s’attaquant à des institutions et à des biens privés et publics. « Qui fréquente le pouvoir ou dit du bien de lui est mauvais et devient mon ennemi ! », « Tout ce qui fait mal à mon ennemie me fait du bien ! » Et le mensonge, la délation et la calomnie d’envahir l’espace public. Et les insultes, les coups de poing de faire la loi dans l’hémicycle…
On a dénoncé des nervis, des groupes armés et des fabriques de cocktails Molotov. Le feu de quitter la rue et ses pneus pour les pavillons universitaires et les domiciles de dignitaires. On a appelé à la prise d’assaut du palais, au combat de la fin qui sonnera la chute du régime et la déchéance du président. Les attaques, alors, de sortir de l’ordinaire d’une simple bataille de rue. Les images font le tour du monde. On compte les morts. On chiffre les dégâts. Des centaines de jeunes manifestants sont arrêtés ainsi que des leaders… Aujourd’hui, le calme est revenu, mais la tension est là, toujours perceptible. Et le masque de la haine de transformer les sourires en grimace. Et nos enfants, et nos petits enfants de se draper de notre rancœur, de notre laideur, hélas !
Quant au processus électoral, c’est la cacophonie totale : on parle de sabotage du travail des sages, d’élimination abusive de candidats. On accuse le Conseil constitutionnel de corruption. Le Parlement met en place une commission d’enquête. Les juges incriminés portent plainte… Le contentieux est ouvert avant même le démarrage de la campagne. Des éclairs fendillent le ciel électoral sénégalais lourd de menaces. Dans un pareil contexte, si le président appelle au dialogue en vue de l’entente et de la réconciliation des acteurs, j’applaudis et je prie…
Abdou Khadre Gaye, AKG
1/ TER : Train Express Régional assurant la liaison Dakar- aéroport AIBD
2/ BRT : Bus Rapid Transit circulant sur des voies réservées et reliant la préfecture de Guédiawaye à la gare routière de Petersen à Dakar Plateau
3/ Sopi : Cri de ralliement du PDS (parti démocratique sénégalais), qu’on traduit par « changement »
4/ penco : se concerter en vue d’un accord
5/ paaco : partage égoïste d’un avantage
6/ teranga : honneur lié à l’accueil chaleureux fait à un invité, un visiteur
7/ gatsa-gatsa : littéralement : « si tu me dis ta gueule, je te réponds ta gueule », pour dire finie la tolérance, je ne te pardonne plus rien