Le 26 février 2024, le président de la République du Sénégal, Monsieur Macky Sall a annoncé la préparation, pour mercredi 28 février « d’un projet de loi d’amnistie qui va couvrir les manifestations de 2021 à 2024 ».
Ces manifestations auraient occasionné entre 60 et 80 morts et seraient à l’origine de plusieurs détentions, de même que des images montrant des voitures pick-up, des nervis et policiers bastonner et violenter des manifestants. Cette allégation est étayée par de nombreuses vidéos circulant sur les téléphones et réseaux sociaux. Suite à ces actes d’une particulière gravité, des prisonniers ayant été interpellés, certains en manifestant d’autres affirmant vaquer tranquillement à leurs occupations, lors de leur interpellation, ont exposé dans les médias, à leur sortie de prison, des cas de tortures, de mauvais traitement, de mutilations etc. Lors des libérations en masse de prisonniers dits politiques mi-février 2024, leurs témoignages confirment les maltraitances alléguées, avant leur interpellation et à l’intérieur même de la maison d’arrêt.
Les récits rappellent Nelson Mandela qui disait : « personne ne peut prétendre connaître vraiment une nation, à moins d’avoir vu l’intérieur de ses prisons. Une nation ne doit pas être jugée selon la manière dont elle traite ses citoyens les plus éminents, mais ses citoyens les plus faibles ».
L’Assemblée nationale a adopté un projet de loi fixant la date des élections présidentielles au 15 décembre 2024, alors que celles-ci étaient prévues par décret pour le 25 février 2024, ce dernier ayant été annulé par décret du 3 février 2024 qui fut censuré par la conseil constitutionnel en date du 15 février 2024 (N°1/C/2024). Cette annulation n’a pas abouti à la fixation d’une nouvelle date d’élection, mais à l’instauration d’un prétendu dialogue et la préparation d’une loi d’amnistie.
La question porte sur la pérennité d’une telle loi d’amnistie et son efficience, autrement dit l’amnistie a-t-elle pour vocation d’absoudre de tels faits ?
Le rôle du législateur sénégalais : le parlement a-t-il pour fonction de valider un tel projet, dans un contexte particulier ?
Cette interrogation est d’autant pertinente qu’en cas de vote d’une loi d’amnistie, celle-ci introduirait une discrimination entre les victimes de la répression lors de ces manifestations selon leur nationalité. Les faits dénoncés par les personnes ayant la nationalité sénégalaise seront frappés par la loi d’amnistie.
Ceux ayant une autre nationalité pourront contourner cette loi d’amnistie et ceux ayant une nationalité française, américaine ou européenne ne seront nullement concernés par cette loi d’amnistie.
Trois exemples illustrent cette postulation.
D’une part, les victimes de nationalité française pourront, dans le cadre de la compétence internationale des tribunaux français, saisir les juridictions de leur pays, pour ce qui concerne l’aspect pénal (visant les articles 689 à 689-14 du code de procédure pénale) ou exciper de la compétence internationale des tribunaux (visant l’article 14 du Code civil) pour obtenir réparations pour l’aspect civil et ainsi échapper à la Loi d’amnistie.
Les Français ne seront donc pas concernés par cette d’amnistie.
Ensuite, les personnes de nationalité américaine pourront invoquer les dispositions sur l’extraterritorialité du droit américain les protégeant de toute loi d’amnistie votée hors des USA.
Ainsi les personnes détenteurs d’une nationalité américaine ne seront pas concernés par d’amnistie.
Puis, les autres personnes ayant une nationalité européenne-hors la France- n’auront qu’à exciper de l’extraterritorialité du droit de l’Union européenne, pour écarter cette amnistie.
Les personnes détenteurs d’une nationalité européenne ne seront pas concernés par cette Loi d’amnistie.
Les personnes détenteurs de la seule nationalité sénégalaise seront concernés par l’extinction des poursuites si poursuite il y a et une impossibilité d’évoquer ces faits sous peine d’amende, puisqu’il est interdit de faire référence à des faits amnistiés.
Certaines victimes pourront obtenir justice tandis que d’autres n’auront aucun arsenal juridique les soustrayant aux effets de cette amnistie.
Il y a donc là une discrimination dès lors que la loi d’amnistie aura pour conséquence de traiter des situations identiques de manière discriminée et cela sur le seul fondement de la nationalité.
D’une part, les engagements internationaux ont une primauté sur le droit national d’autre part aucun Etat ne peut se soustraire de ses obligations internationales en votant une loi d’amnistie, a fortiori si cette dernière a pour but de passer outre une infraction relevant de traités internationaux des droits de l’homme et du droit humanitaire, par exemple la torture qui ne peut être couverte par une loi nationale. Au surplus, les faits objet de l’amnistie ont fait l’objet de saisine de la CPI (Cour Pénale Internationale), des juridictions française et canadienne.
Une loi d’amnistie est incompatible avec les instruments relatifs aux droits de l’homme, par exemple la torture.
La loi d’amnistie n’entraînera donc des conséquences qu’à l’égard des seuls Sénégalais. Ce qui illustre le fait que le législateur sénégalais n’a pas opéré la transposition – puisque les dispositions juridiques sont issues d’une transposition artificielle des lois françaises – des mécanismes de protection de ses citoyens de la même manière que la compétence internationale de certaines juridictions étrangères place leurs ressortissants dans une position qui les protège des lois des pays étrangers.
Pape Ndiogou Mbaye est Docteur en droit, avocat au Barreau de Paris.