Sanou Mbaye demeure un inconnu pour beaucoup de Sénégalais, surtout parmi les jeunes et même les quadragénaires. Il n’était pas un héros public dans notre petit Sénégal, ni un dirigeant politique médiatisé, ni un footballeur de la Ligue 1. Il était banquier africain de la Banque Africaine de développement et il a tôt fait de parcourir l’Afrique au point d’en tomber amoureux. C’est d’ailleurs en Afrique qu’il a rencontré Danielle son épouse de 43 ans maintenant. Sanou avait un attachement charnel avec son continent avant que l’allégeance intellectuelle ne se cristallise. Il nous laisse son livre : ”L’Afrique au secours de l’Afrique”en témoignage de cet amour qu’il portait à l’Afrique.
Sanou et moi nous nous sommes connus en 1981 à Nairobi et depuis nous avons maintenu avec bonheur notre compagnonnage jusqu’à son départ prématuré comme tous les départs. Il a été victime d’un arrêt cardiaque sévère auquel il n’a pas survécu .Il est parti dans la sérénité entouré de sa famille qui s’était retrouvé à Marrakech où il rendait visite à sa fille, son mari et ses petits enfants. Je les ai rejoint dès son hospitalisation. Il a succombé après 8 jours de coma.
Sanou était un vrai gentil, ouvert et confiant. Il était à l’aise dans tous les contextes sociaux, de la mosquée aux restaurants, des réunions de famille aux amphithéâtres de salles de conférences, des conclaves intellectuels à ses compagnons de pèlerinage. Tout en restant lui-même. Entier, parfois candide, toujours malicieux. Sanou a été bon. C’était un juste.
Sanou et moi étions de vrais amis. L’amitié vraie est très rare, c’est une chance si elle nous accompagne toute la vie. J’ai eu cette chance. D’autres amis communs sont partis trop tôt bien sûr, nous nous sommes consolés mutuellement. Cela a été plus éprouvant quand il a perdu deux enfants (un adolescent Babou et un adulte Mohamed) l’un après l’autre. Malgré le soutien de sa famille et de ses amis, ces tragédies l’ont toujours habité. Mais jamais, malgré cela, son optimisme et son sourire sincère ne l’ont quitté. Soutenu par une foi profondément ancrée.
Nos nombreuses discussions étaient toujours enflammées, surtout quand mes arguments n’arrivaient pas à le faire changer d’avis. Ce que je mettais toujours sur le compte de son refus d’écouter, de la mauvaise foi plutôt que de reconnaître mon incapacité à le convaincre, pour se terminer dans de grands éclats de rire, avant d’aborder d’autres sujets, politiques de préférence. « L’amitié véritable pense tout haut, parle toujours vrai, et ne garde jamais rancune. » A part quelques petites fâcheries bien sûr.
Nos enfants ont grandi ensemble et se sont liés d’amitié. Nos deux épouses Danielle et Ndeye sont très proches. Après Nairobi, à Londres nous habitions pas loin les uns des autres. Puis Dakar et la Somone nous ont accueillis ainsi que la politique au Sénégal. La politique, la gouvernance, les relations africaines du Sénégal ont toujours suscité chez nous frustrations au quotidien, emois et indignations lorsqu’on espère tant pour notre pays.
Quand j’étais membre du Secrétariat national du PS, il a fréquenté distraitement le parti étant lui-même rétif à tout ce qui est organisation, structure, procédures réunions. C’était son côté anarchiste non reconstruit. Quand j’ai rejoint le Pastef, il s’est exclamé « Voilà, maintenant tu as rejoint ta bande de militants comme à Amnesty, mais on est vieux maintenant » ! Je lui répondais que la vieillesse est un état d’esprit. Non, répondait-il : c’est un état du corps. N’empêche le plus bel âge de l’amitié c’est la vieillesse, le temps où on accueille et savoure le calme et l’ordinaire.
On dit aussi que l’amitié est un peu comme un livre, il y a des amis pour une page seulement, d’autres pour un chapitre entier, et puis il y a les vrais qui sont présents pour toute l’histoire. Le livre s’est refermé. A mon grand regret.
Sa dépouille sera confiée à la terre de la Somone, village qu’il
aimait tant, mercredi 6 mars à 14h.
Adieu vieux frère.