Le Sénégal traverse actuellement une crise sociétale dépassant les seules considérations politiques, juridiques, marquée par d’importantes et surprenantes divisions. Il est impératif de repenser l’organisation du désordre avant que le pays ne sombre dans l’abîme. Les attaques contre la Constitution, les menaces, les agressions physiques, psychologiques les tentatives d’assassinat, le non-respect des droits humains et les intimidations, bien qu’elles portent gravement atteinte à la démocratie et à l’État de droit, sont malheureusement devenues une banalité au Sénégal.
Par conséquent, conscients de la gravité de la situation actuelle, des voix s’élèvent pour dénoncer fermement la violence perpétrée à l’encontre de dignes citoyens. nes de la Nation, et surtout le non-respect du corps spécifiquement, de celui de la femme et du jeune. Face à ces actes répugnants et intolérables qui s’accélèrent depuis quelques années, un engagement affirmé en faveur des normes sociales, des droits humains, et de la sacralité de la vie humaine doit être au rendez-vous.
Chaque individu, quel que soit sa trajectoire, ses positions ou son statut social a le droit fondamental à la sécurité, à la liberté d’exercice de sa profession et à la protection contre toute violence. Paradoxalement, le Sénégal est rentré dans un cycle de véhémences inouïes. Cet état de fait ne peut être analysé de façon dissociée aux abus d’un pouvoir politique en place.
Depuis 2016, les prolongements du référendum sont corrompus. Dans ce dernier se trouvaient quinze points dont il est possible d’en cibler ici quelques à savoir : la modernisation du rôle des partis politiques, la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens, la restauration du quinquennat pour le mandat présidentiel faisant preuve désormais d’intangibilité, l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel, l’élargissement des pouvoirs de l’Assemblé nationale en matière de contrôle de l’action publique et d’évaluation des politiques publiques, l’intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine…entre autres propositions acquiescées par les citoyens. N’empêche, à scruter le tableau pour une analyse, il est difficile de percevoir une factualité de ces dispositions. Que leurres et lueurs !
Sans être nihiliste, le Sénégal a connu des changements significatifs en matière de construction de routes et de voies, d’édifices nationaux, de mises en place de moyens de transports etc. N’empêche, cela a été au détriment de la perte des piliers de notre société qui baigne dans un conflit indubitable voire dans une crise qui telle une bombe à retardement, a explosé ce 3 février 2024. Ce samedi après-midi a été l’occasion pour le président Macky Sall, de fouler totalement, l’âme de notre contrat social : la Constitution de notre République.
Après la mesure de la perception de 2058 Sénégalaises et de Sénégalais, enquêtés sous formes d’entretiens individuels et collectifs, de récits de vie, sur différentes questions s’agissant de la situation du pays telles, leur condition de vie (santé, éducation, alimentation, accès à la justice…), de libertés individuelles et de sécurité, 79,3% d’entre eux, mettent en avant les difficultés d’accès à la nourriture saine, la faillite de l’éducation, le manque de respect vis-à-vis des hommes religieux, la dépravation des mœurs, leur sentiment de crainte surtout face à ce que certains appellent les forces « occultes », l’insécurité galopante notamment dans les quartiers dits « chics » de Dakar, dans les villes comme Thiès, Kaolack et Louga ainsi que dans les communes de Khombole, de Bambey, de Nguékhokh et de Kébémer[1].
Un discours non reluisant, souvent bilieux, la légitimation de la loi du talion, c’est en général ce qu’il est possible de tirer des discours des uns et des autres et de façon plus prégnante relevant des jeunes âgés entre dix-huit ans et quarante ans. Qu’ils ne soient pas étonnant que la violence une des conséquences du « désordre social » enflamme notre quotidien ! Un homme politique français arguait, il y a quelque temps que « c’est l’injustice qui génère le désordre ». Mais à qui une société confie la gestion de l’ordre au sens pluriel du terme ? A différentes entités selon le type d’ordre, mais tous, peuvent rentrer dans l’État à travers un contrat social bien défini.
Sans pour autant qu’on ne vire sur une analyse marxiste, il est à noter qu’Althusser définissait deux moyens de diffusion d’idéologie et de répression de l’État à savoir : l’Appareil idéologique (AIE) et l’Appareil répressif (ARE). Dans une doctrine démocratique, ces deux piliers se régulent et s’équilibrent afin que l’un ne l’emporte pas sur l’autre. Mais en même temps, de l’un découle, le caractère de l’autre. L’armée, la prison, la police, les juridictions et certaines administrations dans une dictature, une tyrannie ou un régime autoritaire créent un sentiment de terreur, de crainte, d’absence de confiance, de psychose…[2] alors que dans une République démocratique, ces institutions rassurent, garantissent la sécurité des uns et des autres en réprimant , délinquants ou criminels. Dans quel cas se trouve actuellement le Sénégal ?
Ce pays a une réputation de territoire stable politiquement, dans lequel les citoyens votent depuis 1870 et organise des présidentielles depuis 1963. Aller choisir un chef de l’État devient dès lors, routinière, malgré quelques troubles et dissonances[3] qui n’ont jamais occasionné l’abrogation d’un décret convoquant le collège électoral à quelques heures de l’ouverture de la campagne pour la présidentielle.
De dignes filles et fils, intellectuels de tout bord se battent, font couler encre ou sang pour le maintien d’un contrat social qui évoluent et qui prend en compte tous les changements contextuels : l’ex-ante colonisation, la colonisation initinere ou encore celle ex-post. Le monde enviait le rôle que peuvent jouer les institutions, en perpétuelle renforcement.
Comme un château de cartes, tout bascule depuis quelques temps inopinément. Tout une réputation mondiale est mise à nu, déshabillée du fait de quelques femmes et hommes avec à leur tête le chef de l’État, Monsieur Macky Sall.
Ce qui réveille un ensemble de maux qui sommeillaient depuis quelques années et que les citoyennes et citoyens sénégalais croyaient au moins, panser avec l’organisation d’une élection présidentielle démocratique. Que nenni !
La procédure semble entaché, être saboté par certains pendant que d’autres souhaitaient le respect du calendrier républicain. Qu’il y ait eu des manquements ou pas, dans le processus, le droit se devait d’être dit. Le juge part de son intime conviction, là où la vérité appartient à Dieu, lorsqu’on en croit un ou plusieurs. La strate de la citoyenneté permet, elle, d’avoir confiance en ces institutions, ces pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire définis par la Constitution dont la haute juridiction est l’un des garants avec le peuple. Le président sortant, Macky Sall a rompu ce pacte, le 3 février 2024 de façon indélébile. De même, dans la pratique, le contrat social est au plus mal depuis qu’injustement et de façon systématique des individus sont interpelés, violentés, traumatisés, tués à balle réelle, attaqués, kidnappés, par des forces de l’ordre ou des brigands souvent appelés des nervis, au services de quelques hommes politiques. Les images et les récits parlent d’elles-mêmes.
Ces actes ont de lourdes conséquences sur l’état d’esprit des Sénégalaises et Sénégalais qui se curent avec le fameux « œil pour œil, dent pour dent ». Le pays se voit divisé, les âmes inertes, insensibles à force d’avoir un quotidien rythmés d’injustice. Quelques points à relever.
En effet, les journalistes sont des piliers de la démocratie et de l’État de droit, et il est impératif de garantir leur sécurité en toutes circonstances. Mais, ceux-là sont sectionnés entre les pro et les anti-régimes. Pourtant, ils sont des garants du pluralisme politique, de l’accès à l’information juste et vraie, principe sacré en démocratie. Les manifestations de cette division éclot davantage pendant une période ardue, où le monde cherchait à vaincre le Covid-19 qui faisait des dizaines de milliers de morts. C’est à partir de cette période et jusqu’à présent, que le Sénégal vit des affres terribles avec répercussions manifestes que seul un « lël » ou « un ndëp » national, une commission « vérité , justice et réconciliation » « Pencum Dëg, yoon, ak Juboole » ou peut-être « Waxtaan Sunu Biir » comme le propose notre compatriote Khadim Ndiaye, pourrait venir à bout.
Il était attendu du président Macky Sall de sortir des ruses et de la tyrannie politiques pour jouer la carte de l’l’élégance et de la finesse. Mais le sieur ne semble pas être fort en ces nobles pratiques. Que le Conseil constitutionnel, ressorte donc sous son plus beau costume en disant à nouveau le droit afin d’éviter tout probable vide juridique, le lendemain du 2 avril 2024. Ce serait une aporie que le Sénégal en arrive là !
La crise s’est installée en réveillant des démons qui sommeillaient dans notre société, Que cette République ne s’embourbe pas! Le peuple est en mesure de sauver ce qui reste des institutions ! La page des violences doit être fermée avec l’organisation incessante d’une élection ! Il est temps de résoudre cette équation politico-juridique, pour passer à un soin de soi et de l’autre réparateur, base de toute refondation de nos institutions. Car notre pays vit des moments difficiles avec un embrouillamini à tous les niveaux. La ribambelle de troubles, d’actes d’injustices, d’arrestations arbitraires, de maltraitances, laisse malheureusement pointer une véritable crise qui part du politique pour s’acheminer dans les entrailles de la société. Le mal est très profond !
Et c’est encore l’occasion de demander au président Macky Sall de prendre toutes ses responsabilités face aux effets de cette « non-décision. [4]» Et qu’il ne perde pas de vu que des citoyens sénégalais, au prix de sang versé par d’autres, lui ont fait confiance en 2012 puis en 2019, en faisant de lui le quatrième Président de notre si chère et valeureuse République. Difficile d’oublier Mamadou Diop et tant d’autres !
Mais apparemment, il n’en est pas assez conscient. Il feint d’ignorer qu’entre 2018 et 2024, le Sénégal compte plus de soixante-dix victimes, toutes tuées du fait de leur engagement ou par ce qu’elles n’étaient pas au bon endroit et au bon moment. L’on semble oublier que la dignité humaine est un principe inaliénable qui doit être respecté en toutes circonstances. Les actes de barbarie à l’encontre de la dignité humaine des femmes, des enfants utilisés par les forces de l’ordre comme bouclier humain, malmenés au moment des arrestations, des journalistes agressés, empêchés de faire leur travail, informer et d’autres défenseurs de la République- pris pour des ennemis – portent atteinte à cette dignité et sapent les fondements mêmes de notre société. Le corps est sacré et inviolable.
Cette proposition de refondation doit être fortement appuyée. Les Sénégalais doivent impérativement, échanger, se parler avant la prise de fonction du futur président. Une large consultation des populations est nécessaire. Il est question de mettre en place des structures avec de larges possibilités d’expression. Les plaies sont encore béantes et cette prise de parole fera partie du processus de guérison. Les propositions qui sortiront de ce « ndëp » national pourraient servir à améliorer le fonctionnement des institutions, à consolider la démocratie, à approfondir l’État de droit, à repenser les forces de défense et de sécurité (qui ont besoin d’être formés en respect des droits humains au niveau national comme international), le système carcéral (faut-il toujours enfermer et oublier les détenus ?), un service militaire pour les jeunes de dix-ans, le régime présidentialiste, etc. Les fondements de notre vie collective sont complétement désintégrés.
De même, puisqu’il ne faut pas réinventer la roue, il est impératif de penser à inclure les conclusions des Assises nationales et les recommandations de la Commission nationale de réforme des institutions. Les deux constituent un base de travail. Elles doivent simplement être réajustées en considération des fractures de ces dernières années.
Aucune excuse, aucun motif ne peut justifier les atteintes et violations physiques. Les femmes, en particulier, doivent être traitées avec respect et considération en tant qu’êtres humains à part entière. Elles constituent l’autre pan qui donne sens à toute nation pendant que la jeunesse permet de libérer le futur même de cette nation.
Les autorités compétentes, les forces de défense et de sécurité, les institutions gouvernementales, la société civile et chaque citoyen se doit plus que jamais de s’engager pour mettre fin à cette période de vifs heurts. Nous appelons à la Justice, à la Reconsidération du soi humain, à la Solidarité et à l’Empathie envers toutes et tous.
Pour finir, restant dans cette logique de droit et de sauvegarde des principes de la Charte fondamentale, citoyennes et citoyens du Sénégal se doivent d’être debout pour sauver ce qui reste de nos institutions. Que l’élection présidentielle se tienne rapidement avant le 2 avril ! Que la justice soit rendue à toutes les victimes de quelque bord que ça soit ! Que l’ordre soit rétabli afin de fermer définitivement ce chapitre de notre histoire qui nous aura quand même permis de nous retrouver toutes et tous autour de l’essentiel, le Sénégal. A la refondation des socles de notre contrat social !
Senegaal Sunu Yitté !
[1] Données extraites d’une étude en cours intitulée « Pouvoirs confiés ou confisqués et répercussions sur l’ordre social et les droits humains au Sénégal de 2012 à2 024 »
[2] Démocratie et Autoritarisme, Paris, Ed. Cerf, 2012
[3] Se rappeler des troubles de 1988, 1993, 2011-12
[4] Non-decisions and Power: The Two Faces of Bachrach and Baratz, American Political Science Review, Volume 69, Issue 3, September 1975, pp. 889 – 899