Notre consœur, la patronne de presse Maïmouna Ndour Faye, vient d’échapper à la mort. On épiloguera longtemps sur les circonstances de l’agression, les motivations, les commanditaires. L’enquête, on le souhaite, nous livrera bien, un jour, le plus tôt possible, le coupable et, à n’en pas douter, ses commanditaires.
Quelques semaines auparavant, une autre consœur, celle-ci reporter à Seneweb, Absatou Hane, lors de la couverture d’une manifestation d’acteurs politiques mécontents, se fait harponner et tabasser par les Forces de l’ordre. Il y a plein de journalistes pour couvrir l’événement. Sauf qu’elle, est une femme.
Maïmouna Ndour Faye comme Absatou Hane ne font rien de plus que les journalistes ; ni rien de moins. Chacune fait son métier comme elle le peut, comme elle l’a appris, le conçoit, le comprend, avec plus ou moins de bonheur.
Il y a, de notre temps, de plus en plus de concitoyens qui considèrent qu’être une femme, instruite, autonome, épanouie, porteuse d’une opinion, d’un savoir-vivre, d’une manière d’être, est une insulte à ce qu’ils sont : des mâles démunis, ignorants et désœuvrés, en résumé, des gagne-petit perdus au milieu de cette si trouble époque, qui ne savent pas à quel charlatan se vouer.
Lorsque toute l’énergie que la vie nous offre n’a pour moteurs que le sentiment d’infériorité, l’ignorance et le désœuvrement, l’alchimie qui en découle peut facilement verser dans la haine de soi et des autres.
J’ai l’insigne honneur d’être de la vieille école ; de cette génération qui a des scrupules à haïr, à laquelle la République demande de réprimer la honte de ses origines, ses complexes d’infériorité, ses vanités inassouvies, pour enjamber son ignorance, gravir les marches de la réussite et braver le monde pour être meilleur parce qu’elle nous donne les mêmes chances.
Bien sûr, des mafieux, des crapules, des hors-la-loi, et même des salauds lumineux, ça existe dans le monde entier et à toutes les époques.
Sauf que, de notre temps, cela fait bien longtemps de cela, il y a quelque honte à l’avouer, personne ne s’y résigne vraiment. Et l’Etat veille à ce que la canaille soit en prison, et l’honnête homme, sur les grands boulevards.
Certes, notre histoire dénombre quelques anti-héros qui portent la haine comme une idéologie, la convoitise comme une logique et la vanité comme une identité remarquable. Brûler le pays est leur rêve fou… Rappelez-vous, ces illuminés qui projettent d’allumer le cortège présidentiel au début des années 70, parce que le cocktail Molotov est un label familial.
Ben, ils ont fait des petits
Un demi-siècle plus tard, ce sont ces mêmes cocktails Molotov, issus de la recette familiale, en plus des dégâts matériels, qui tuent deux innocentes, des enfants des gens de peu. Si ça peut consoler tous ces révolutionnaires décrépis en perdition, grand bien leur fasse. Sauf que les bourgeois sénégalais néo-colonisés qu’ils haïssent continuent de vivre sur un grand train et que ces doux rêveurs pyromanes resteront toute leur vie des spectateurs frustrés de notre Histoire.
Des Sénégalais qui détestent leurs compatriotes, il y en a depuis la nuit des temps. La République les dérange, la citoyenneté leur refile des urticaires, le bonheur contagieux de nos concitoyens, malgré leur mouise, les exaspère.
Jusque-là, nous cultivions cette honte d’avoir honte, parce que nous avions, par-dessus nos têtes, l’âme de la Nation et cette mystique de la République, qui nous font croire en nous, malgré les traversées de déserts inhérentes aux destins humains, les tempêtes et les bobos inévitables aux vies normales, lesquels, finalement, nous font sourire au regard de nos passifs
Et puis vient le temps où se sentir inférieur constitue une identité remarquable. Revendiquer ses origines modestes, non pas pour mesurer le parcours jusqu’au sommet, mais faire partie du nombre. Une candidate au suffrage universel complètement allumée, pour racoler de l’électeur, se fait un devoir d’afficher des origines modestes, inventer des souvenirs d’enfance où il n’y a pas d’électricité chez elle et, dans l’obscurité de son austère demeure, échanger des caresses avec les serpents.
Avant elle, le complice de l’assassinat d’un juge en 1993, poseur de bombes en 1988, depuis plusieurs décennies, plastronne sur les plateaux de télé où des journalistes ingénus le supplient de livrer son expertise sur la vie publique.
La loi d’amnistie qui nous propose d’effacer jusqu’à des crimes de sang officialise juste ce que nous sommes devenus : le peuple des péchés capitaux… Parce qu’un gouvernement choisit d’absoudre sans jugement les viols répétés sur Madame Adji Raby Sarr, l’irrespect envers les institutions, les meurtres de près de cinquante compatriotes, les saccages des biens publics comme privés.
Le Président Macky Sall, c’est clair, a perdu le nord en même temps que commence à l’habiter le sentiment que son temps se termine… Faudrait-il le laisser nous entraîner dans son spleen au point de compromettre l’avenir de nos descendants ?
Voter cette loi qui efface tout pour recommencer, c’est institutionnaliser la haine comme idéologie, et la violence comme stratégie politique. Cela reviendra également à encourager les meurtriers impunis et leurs commanditaires, qui remettront ça encore et encore pour que règne la terreur, leur pensée unique, avant que chaque caïd de quartier ne décide de faire la loi selon ce que ses muscles et son couteau de poche lui permettent.
Un Premier ministre digne de ce nom, au nom de la République qui lui a tout donné, n’aurait jamais dû proposer un tel projet de loi et devrait rendre le tablier, avec tout son gouvernement, pour ne pas cautionner une telle forfaiture, afin que jamais la haine ne soit institutionnalisée
Seulement voilà : Amadou Ba a-t-il jamais eu du cœur ? Et ça veut présider à nos destinées…