Comme depuis six décennies, les Sénégalais iront ce 24 mars aux urnes pour choisir leur chef d’Etat. Ce rendez-vous démocratique est une séquence importante de notre tradition républicaine. Depuis nos Pères fondateurs, nous avons collectivement choisi la voie démocratique pour confier les destinées de notre pays à un homme ou une femme. La légitimité de nos dirigeants découle ainsi du suffrage universel ; et notre attachement à ce choix est une marque de grandeur de notre peuple, inspire pour nous le respect des autres et fait du Sénégal une exception. Comme le dit mon ami Ibou Fall, non sans cette espièglerie qui le caractérise, le Sénégal n’est pas un pays africain mais un pays en Afrique.
Quand, au lendemain de la vague des indépendances, le continent était enfermé dans des logiques tribales, nous fondions une nation solide orientée vers un dessein commun. A cette époque, les dictatures et autoritarismes étaient la norme, mais nous avions à la tête de notre Etat un grand homme, qui avait renoncé très rapidement au parti unique pour ouvrir le jeu démocratique. Nous avons su éviter les putschs militaires quand ils étaient une voie traditionnelle de prise du pouvoir. Nous avons résolument opté pour la démocratie, le panafricanisme et le multilatéralisme.
Depuis, sans interruption, l’espace public est un terrain d’affrontement des idées et des programmes avec comme arbitre le Peuple souverain. Ce 24 mars, après les troubles et les turbulences issus de la séquence entamée le 20 janvier avec la publication de la liste définitive des candidats à la Présidentielle, les Sénégalais vont accomplir un devoir citoyen. Le scrutin sera libre, transparent et le vainqueur sera désigné. Le lendemain, les Sénégalais auront le loisir de vaquer à nouveau à leurs occupations. L’incise démocratique totale où chaque citoyen représente une voix sera refermée pour laisser la République, avec sa promesse fondée sur le mérite, reprendre ses droits.
Il est indéniable que cette élection est particulière. Notre pays est à un point de bascule pour plusieurs raisons. Pour la première fois, un Président sortant ne sera pas candidat à sa propre succession. Le pays est désormais producteur d’hydrocarbures ; ceci promettant une transformation de sa structure économique mais générant aussi des craintes car l’or noir est en Afrique un puissant accélérateur de la déstabilisation.
Au plan social, le Sénégal sort de trois années éprouvantes avec des vagues de violences sans précédent qui ont produit des morts, blessés et destructions de biens publics et privés.
Il s’y ajoute que pour la première fois un candidat fasciste à la Présidentielle est capable de remporter le scrutin. Autour de lui s’agrège un mouvement qui profite des infrastructures de la démocratie mais qui n’est pas démocrate ; un mouvement qui peut se hisser au sommet des institutions de la République sans être républicain ; un mouvement dont le profil génétique est la sédition, l’islamisme et l’intolérance.
Les peuples sont souverains et jaloux de leur souveraineté. Le nôtre a fait des choix en 2022 aux Municipales et aux Législatives dont les conséquences ont pesé sur notre stabilité. Il faut se rappeler les blocages de l’Assemblée nationale poussant à deux reprises la gendarmerie à intervenir pour permettre l’expression du jeu démocratique dans l’Hémicycle.
Un ami proche me disait récemment : «On ne peut pas vouloir le bonheur des gens contre leur volonté.» Il a raison, et je suis un démocrate convaincu et un citoyen viscéralement attaché aux principes républicains. Les électeurs sont souverains et il faudra s’incliner devant leur choix, quel qu’il soit. Ils ont le choix entre poursuivre dans un régime de la paix civile en choisissant parmi des candidats aux projets divers et concurrents mais qui demeurent dans l’arc républicain. Comme ils ont le loisir d’opter pour un basculement vers l’irréparable en faisant tomber notre pays dans le gouffre du fascisme après que parmi nos voisins beaucoup ont basculé dans des régimes militaires.
Ce choix entre un horizon de paix et de démocratie et une poussée vers l’aventure m’interroge et devrait nous pousser à la prudence, au sens des responsabilités et à une extrême dextérité dans le choix que nous allons faire ce 24 mars.
Comme à chaque fois que je désespère du monde, je lis ou j’écoute l’écrivain et académicien français François Sureau. Cette fois, il citait Malraux pour, disait-il, «partager une sorte d’espoir tremblant mais réel : la vie l’emportera, l’amour, la créativité, la réforme politique l’emporteront».