Le ni oui ni non, qui a retardé la décision de Macky Sall d’affirmer sans ambages son attachement au code d’honneur, serait dicté par le souci de ne pas voir ses partisans se focaliser sur la question de sa succession au détriment de missions qui leur étaient confiées.
Ainsi, le cours politique ayant édifié sur les conséquences désastreuses de ce retard, la curiosité était de savoir dans quelle mesure cette délibération retardée allait permettre au locataire du Palais présidentiel de maitriser sa coalition. Le cours politique vient de délivrer son verdict : à moins de six mois des élections, le choix d’Amadou Ba, Premier ministre, comme dauphin, a déclenché la guerre des clans. Cette atmosphère est marquée par la décision des anciens proches de Macky Sall, au nombre desquels Aly Ngouille Ndiaye, de Boun Abdallah Dionne et Mame Boye Diao, de prendre son contrepied.
Comme si cet éparpillement au sein de la mouvance traditionnelle ne suffisait pas, Macky Sall tenta de reporter la présidentielle à quelques heures de l’ouverture officielle de la campagne électorale. Cette initiative, considérée par plusieurs citoyens comme relevant de la ruse politicienne, sera à la base d’une crise larvée entre la présidence et le Conseil constitutionnel.
Et paradoxalement, en lieu et place d’une stratégie pour maximaliser les chances de succès du dauphin, se constitua une sainte alliance entre des députés de la majorité et du PDS pour s’en prendre à Amadou Ba, accusé de tentative de corruption de deux membres du Conseil constitutionnel. Qui plus est, la non reconduite au sein du nouvel attelage gouvernemental de ministres supposés proches d’Amadou Ba, le gel des activités des structures de l’APR dans plusieurs localités et la rétention des moyens, donnèrent l’impression que le candidat se devait, à lui tout seul, de porter sur ses frêles épaules la destinée de toute la majorité présidentielle.
Même avec l’engagement devenu plus conséquent du président sortant de soutenir son candidat, à la suite d’un entretien pour la tenue duquel l’ex-Premier ministre a dû suspendre sa campagne, tout ne marcha pas comme sur des roulettes. Et pour cause, les apéristes, jouant plus à qu’ils ne soient réellement impliqués, mettaient en avant moins les compétences intrinsèques de leur candidat que leur volonté de suivre la consigne de M. le président !’ La conjonction de ces facteurs constitua du véritable pain béni pour l’opposition radicale dont le traitement infligé à ses principaux leaders a été perçu par l’opinion nationale et internationale comme une injustice notoire.
Ce contexte a été on ne peut plus favorable à la reconduite de cette leçon magistrale que nous avions formulée en ces termes dans notre livre Les conquêtes de la Citoyenneté, consacré au triomphe de la première alternance politique, en 2000 : la victoire du FAL, malgré l’aporie politique dans laquelle elle avait fini par verser, a su faire émerger une valeur irréductible, à savoir la quête de justice sociale des citoyens lesquels restent persuadés que la roche tarpéienne est toujours près de l’urne.
Sous cet éclairage, le fait que Diomaye Faye, dont la candidature a été déposée quand il était dans les liens de détention, interdit de battre campagne et privé même de temps d’antenne, ait pu néanmoins sortir vainqueur, dès le premier tour de la présidentielle, devient intelligible.
Son succès est d’autant plus impressionnant que maitre Wade n’était venu à bout du pouvoir de Diouf qu’au second tour. Qui plus est, même au plus fort moment de sa déconvenue électorale, le socialiste n’est jamais descendu en deçà des 45%
Évidemment, cette victoire sans appel résulte de l’engagement sans faille des organisations politiques, des différents démembrements de la société civile avec comme fer de lance la F24, d’acteurs du développement d’universitaires et d’intellectuels. Il témoigne des sacrifices multiformes consentis par le Pastef et ses leaders au nombre desquels Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye. Ce succès est aussi la résultante du remarquable professionnalisme de la presse sénégalaise et de l’esprit républicain qui anime l’essentiel des institutions de la République.
Cependant, cette issue heureuse pour les Sénégalais est à mettre fondamentalement à l’actif de citoyens dont l’objectif le plus partagé était de tourner, dans l’urgence, la page de la présidentielle afin de renouer avec la paix et de remettre le pays au travail.
Ce souci, aux allures d’une obsession, a trouvé son répondant dans la volonté affichée de voir non seulement le scrutin se tenir impérativement, mais d’en finir dès le premier tour. C’est pourquoi, les scores minables, enregistrés par de grandes figures de la vie politique, comme Khalifa Sall et Idrissa Seck, s’expliquent plus par le choix effectif du vote utile que par leur carence d’ancrage politique.
Ainsi, sans se méprendre outre mesure sur la contribution importante du parti des patriotes dans ce succès éclatant, force est de reconnaitre que comme 2000 et 2012, c’est finalement le dégagisme qui a triomphé. Du coup, les programmes proposés n’ont pas été l’objet d’un examen approfondi car écrits en français, avec des citoyens plutôt focalisés à faire prévaloir ce même mot d’ordre vulgarisé en 2000 par le leader de l’AFP, Moustapha Niass : « qu’il parte ! qu’il parte !
Ce retour du même suscite une réflexion profonde pour voir comment le Sénégal est à même d’éviter de faire peur avec son lot de morts et de pertes de biens matériels, chaque fois qu’il est question d’une alternance politique. Dans l’immédiat, il revient aux nouveaux dirigeants de consentir à un devoir de mémoire afin de ne jamais oublier les vies sacrifiées, les biens saccagés, les frustrations et stress ayant essaimé dans la dynamique de leur conquête du pouvoir. En s’acquittant pleinement de cet impératif devoir de mémoire, le nouveau pouvoir assurera aux différentes victimes le plus grand dédommagement.
Fait aussi partie des priorités, la nécessité de sceller et de consolider le contrat de confiance entre le nouveau pouvoir et les citoyens car tout ne peut pas être fait dans le ici et le maintenant. Il est impossible de résoudre les complexes problèmes du Sénégal sans donner du temps au temps. Toutefois, c’est aussi par l’exemplarité des actes qu’il posera quotidiennement que les citoyens pourraient lui retirer ou lui prolonger l’état de grâce.
Cette quête de confiance se pose avec d’autant plus d’acuité que certains s’interrogent sur la capacité de la jeunesse, qui vient de prendre la relève, à assumer le destin du pays. Mais, la question de la gestion vertueuse ne se pose pas en termes de jeune et de vieux car chacune de ces notions renvoie davantage à un état qu’à une qualité. Dès lors, la problématique est celle de l’appropriation de l’esprit républicain, seul à même d’inciter le leader à assumer à bras le corps la mission qui lui est assignée par la Loi fondamentale.
Dans cet esprit, après les scènes de liesse populaire tout à fait légitimes, il importe de s’interroger sur la suite que les principaux leaders du PASTEF comptent donner à cette bourrasque électorale du 24 mars 2024. Lanceront- t- ils un signal fort dans la perspective de rompre d’avec l’homologie entre le Parti et l’État ? Avec le changement de couleur de la prairie, seront-ils disposés à offrir des structures d’accueil aux transhumants, au risque de porter atteinte à l’éthique républicaine non sans frustrer leurs militants de la première heure ?
À ces questions, auxquelles aucune des deux alternances précédentes n’a su donner de réponse, s’ajoute celle ayant trait au duo Sonko/Diomaye. Certes, les deux compères n’ont sans doute pas des contradictions politico judiciaire du genre de celles qui avaient structuré la relation Mamadou Dia et Senghor. Mais, la curiosité est de savoir dans quelle mesure ils sauront faire l’impasse sur leur ego et factoriser à zéro les tentatives de division qui pullulent dans l’arène politique pour déployer une seule et même synergie afin de répondre aux légitimes et pressantes attentes de leurs compatriotes ?
Il reviendra au nouveau cours politique d’en donner les éléments de réponse. Mais, en attendant ce verdict, la formation du nouveau gouvernement et l’adresse à la nation du 3 avril 2024 seront assurément les premiers tests très attendus. Enfin, quoique l’espoir soit permis, il n’est pas superflu, au nom de l’esprit critique qui gouverne le projet démocratique, d’avoir constamment en tète cet enseignement que Sembène Ousmane a placé dans la bouche du doyen Sall, l’un des principaux protagonistes du dernier de l’empire :
« Je suis resté trop longtemps dans l’arène politique pour savoir que les idées généreuses, qui sous-tendent le début d’un pouvoir, s’émoussent, se corrodent à la longue pour devenir du formol ».