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Le Devoir D’ingratitude

Le président élu Bassirou Diomaye Faye va succéder à M. Macky Sall au sommet de l’Etat le 2 avril prochain. Cette élection est avant tout la victoire de l’intelligence stratégique d’un parti et surtout d’un leader qui a su contourner les manœuvres du pouvoir pour le mettre hors course et garder des chances de conserver le pouvoir. C’est aussi une victoire portée par une large coalition de mouvements et de personnalités, aussi vaste que composite.

Cette alliance, soudée dans l’urgence d’un changement, regroupe cependant des figures de proue des précédents régimes, certaines incarnant les travers et les échecs que les électeurs ont massivement rejetés ce dimanche 24 mars 2024. Ainsi se pose la question de l’attitude que doit avoir le nouveau président vis-à-vis de ces soutiens encombrants.

L’élection de Diomaye Faye symbolise un désir profond de renouvellement au sein de la société sénégalaise. Les citoyens aspirent à une gouvernance débarrassée des pratiques obsolètes et corrompues qui ont longtemps entravé le développement du pays. Ils ont voté pour une rupture, non seulement avec les méthodes du passé, mais également avec les figures qui les incarnent. Dans ce contexte, la gratitude politique, si naturelle soit-elle, ne saurait justifier la reconduction de personnalités dont la présence au sein du nouveau gouvernement contredirait l’esprit même de cette élection.

Le président Diomaye Faye se trouve donc face à un impératif moral : celui de « trahir » les attentes de ceux qui, bien qu’ayant contribué à la construction de sa victoire, ne représentent pas le changement plébiscité.

Bien au contraire, des figures comme Aida Mbodj et Habib Sy, respectivement ministres dans les gouvernements Diouf et Wade, pour ne citer que les plus en vue, mais aussi Moussa Diop ou Lansana Gagny, tous deux d’anciens DG sous Macky Sall, devront être écartés de toute possibilité d’exercer quelque fonction que ce soit au sein de la haute administration sous le nouveau président, ne serait-ce que pour le symbole.

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Cette ingratitude, loin d’être une faute, enverrait un signal fort au peuple sénégalais en particulier et à la classe politique dans son ensemble. Un signal qui indique clairement que le choix des membres du nouveau gouvernement et la nomination aux fonctions civiles doivent se faire selon des critères de compétence, d’intégrité et de dévouement à la cause publique, en écartant toute considération de loyauté politique, y compris vis-à-vis de militants, sympathisants ou alliés de la première heure.

Hormis le cas des responsables politiques de premier plan qui gravitent autour de la mouvance Diomaye Président, il y a aussi les militants de base des groupements de femmes et de jeunes, les bouillants activistes de la diaspora ou des associations de la société civile, dont certains nourris aux pratiques politiciennes honnies des anciens régimes. Ceux-là doivent également voir leurs attentes de recevoir des subsides et autres passe-droits, en guise de récompense pour leur implication, déçues par le nouveau président qui devra expliquer clairement, après les avoir remerciés pour leur mobilisation, que sa priorité sera de travailler à améliorer concrètement leurs conditions de vie pour que soit rompu définitivement le triptyque « je te soutiens, tu gagnes, tu me récompenses ». 

Cette logique de partage de butin explique à elle seule le fait que plus de 51% du budget de la nation soit consacré aux dépenses de fonctionnement, ce qui est une aberration pour un pays de 18 millions d’habitants dont seulement 1% sont des agents du secteur public. Les milliers de milliards de FCFA que représente cette incroyable proportion, issus de nos impôts, de nos ressources naturelles mais aussi d’un endettement irrationnel, sert en partie à alimenter l’entretien d’une caste de privilégiés qui se sont accaparés les ressources du pays, au détriment de la majorité de la population obligée de se débrouiller dans l’informel pour subsister.

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Les dignitaires connectés qui ont reçu le candidat Diomaye Faye ou M. Ousmane Sonko, en son nom, devront se passer des camions de vivres du Ramadan, des mini-cheptels pour les grands événements, des enveloppes de liquide, des moutons de tabaski, 4X4, largesses foncières sur le domaine publique national, billets d’avion et devises pour les pèlerinages, oumra et autres accomplissements d’acte de dévotion, devenus une monnaie d’échange très en vogue auprès de la clientèle.

Les amis, membres de famille et alliés de personnes proches du nouveau pouvoir et qui pensent déjà à s’improviser fournisseurs de biens et de services en tous genres pour capter une part des centaines de milliards de marchés publics, devront ronger leurs freins. Ils devront apprendre à résister aux pressions familiales et communautaires de ceux qui leur expliquent que c’est maintenant leur tour de profiter et qu’ils le méritent du fait de la volonté divine.

Certes, l’exercice s’annonce délicat. Il implique de naviguer entre les écueils de la politique réelle, où alliances et compromis sont souvent nécessaires, ceux des « réalités » d’une société accoutumée et abreuvée à la corruption de masse devenue une norme sociale, et la volonté de rompre radicalement avec les pratiques d’un ancien monde que les électeurs ont massivement voies.

Mais il en va de la crédibilité du nouveau régime. En choisissant délibérément de se démarquer des figures et des comportements du passé, le président Faye ne trahirait pas seulement des individus dont les intérêts peuvent diverger de l’objectif de développement que ses électeurs lui ont assignés, mais il resterait fidèle à un idéal défendu par un mouvement populaire qui l’a porté au sommet et à un mandat confié par un peuple avide de changements et de progrès.

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Ce devoir d’ingratitude ne doit pas être perçu uniquement comme une négation de la politique traditionnelle, mais aussi comme l’affirmation d’une nouvelle éthique de gouvernance, où les responsabilités sont attribuées sur la base de la valeur ajoutée pour le pays, et non selon des calculs politiciens et des réflexes de préservation d’un ordre établi qui n’est plus tenable. En assumant cette posture, le président Diomaye Faye enverrait un signal fort, non seulement à ses concitoyens mais aussi à la scène internationale, affirmant ainsi à la face du monde que le Sénégal entre résolument dans une ère de transparence, d’efficacité et d’équité dans la gestion des affaires publiques, qui pourrait inspirer et contribuer à faire sortir le continent tout entier de l’ornière. L’histoire retiendra peut-être ce moment comme celui où un leader aura osé défier les codes non écrits de la politique sénégalaise pour rester fidèle aux aspirations de son peuple. Il s’agira, pour paraphraser une formule célèbre, de réduire la politique à sa plus noble expression.

M. Bassirou Diomaye Faye a une chance exceptionnelle de redéfinir les contours du pouvoir au Sénégal et de transformer notre pays radicalement, réussissant là où ses prédécesseurs ont échoué. Il aura besoin pour cela de puiser, dans la sagesse et le courage, les ressources spirituelles et morales nécessaires pour embrasser ce devoir d’ingratitude, une « trahison légitime » pour le plus grand bien du peuple sénégalais.

Arona Oumar Kane est Ingénieur logiciel

CEO Bangath Systems – Dakar

arona.kane@bangath.com







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