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DÉmocratie SÉnÉgalaise : À Quand Le Grand Bond En Avant ?

Selon les vœux du ministre de l’Intérieur, Mouhamadou Makhtar Cissé, le 24 mars a été « un jour de respiration démocratique ». Des efforts conjugués dans une seule et même symphonie des citoyens motivés, des instructions à l’âme républicaine, d’une presse d’un professionnalisme toujours impressionnant et d’une classe politique responsable a résulté un verdict sans appel et sans la moindre contestation. Aussi, l’écrasante majorité des Sénégalais a-t-elle retrouvé le sourire, le rire voire les éclats de rire,

Et pourtant, malgré cette embellie, qui redore intensément le blason si terni du système politique sénégalais, il est très difficile de parler d’avancées démocratiques notoires.

Les différentes péripéties, qui ont caractérisé la situation du pays depuis au moins 2021, ont fini par convertir en référendum la présidentielle de mars 2024. Partant, sans revenir ici sur les considérations déjà formulées dans nos articles précédents, la présidentielle s’est traduite par le dégagisme. Or celui-ci, même s’il est sans pareil pour se défaire d’un prince, il est aussi générateur de deux effets pervers pour la démocratisation.

La première perversion réside dans la focalisation autour du départ, laquelle hypothèque l’organisation des débats sur les programmes. Sous ce rapport, la présidentielle de mars 2024 est une répétition des législatives de 2023. En optant de mener sa campagne par la défense et l’illustration des réalisation infrastructurelles du président Sall, BBY a été fort vulnérable à la stratégie de l’opposition dont le mot d’ordre fera mouche : « Votez massivement, afin de mettre fin au pouvoir en place !»

Dans ce contexte, même AAR (Alternative pour une Assemblée de Rupture), quoique créditée d’une intéressante campagne, n’a eu qu’un seul député. L’explication en est la suivante : cette élection a été le point de cristallisation du vote utile et du vote -sanction.

Pareillement, la présidentielle, tenue dans des conditions les plus rocambolesques, n’offrait pas l’opportunité d’un débat sur les programmes, condition de leur appropriation. Avec une campagne écourtée pour une raison institutionnelle et un candidat libéré pratiquement à une semaine du scrutin, le temps pour convaincre était quasi inexistant. Ainsi, comme lors des législatives, les citoyens ont sanctionné le pouvoir en place. La seconde perversion est que le dégagisme jette l’opacité sur le landerneau politique. Les forces coalisées pour faire triompher le dégagisme, en faisant prévaloir le vote utile, s’interdisent de se compter pour évaluer le poids réel de chaque composante. Ce faisant, avec la stratégie « du marcher ensemble », tant qu’elle est payante, prédomine la fraternité, mais au moindre soubresaut « le marcher séparément » survient avec souvent un déchirement inouï. Ainsi, YAW, dont le coude à coude, au sortir des législatives, préfigurait un séisme politique au cœur de l’hémicycle, avait caressé le rêve d’opposer à la majorité mécanique de la mouvance présidentielle son unité mécanique, a vite déchanté. Sa dynamique unitaire a souffert de la controverse née du dialogue auquel les conviait le président Macky Sall. Cette divergence atteindra son summum avec la décision surprenante du groupe parlementaire PDS de s’allier avec les députés issus de la majorité présidentielle pour accuser le dauphin, choisi par le chef de l’État en personne, de corruption de deux membres du Conseil Constitutionnel.

Force est alors de reconnaitre que cette présidentielle de mars 2024, pas plus que celle de mars 2012, n’atteste d’une avancée significative de la démocratie sénégalaise. Elle est plutôt la défense et l’illustration de l’engagement des Sénégalais à préserver les acquis arrachés de haute lutte à la faveur de la première alternance politique survenue au Sénégal le 19 mars 2000

Il est même loisible de considérer que, sous les trois alternances politiques, les gouvernants n’ont pas su mettre à profit l’importante architecture institutionnelle héritée du président Abdou Diouf. Au contraire, le tripatouillage constitutionnel, la question de la dévolution monarchique du pouvoir et la promotion du clientélisme sous ses formes les plus abjectes ont confiné le système politique dans un état de danse sur place. Le nombre de morts, les peines d’emprisonnement surréalistes, les immenses dégâts matériels et le lourd tribut payé par la presse restent suffisamment révélateurs du fait que les « biens immatériels » ont constitué le ventre mou de la gestion du Sénégal par les pouvoirs issus des alternances politiques. Aujourd’hui, la sérénité avec laquelle les citoyens-électeurs se sont acquittés de leur devoir confirme la pertinence de la thèse selon laquelle les Sénégalais sont en avance sur leur classe politique. Aussi revient-il au pouvoir et à l’opposition politique de combler ce retard en faisant du coup réaliser à la démocratie un bon en avant.

Avec ce nouveau défi, il serait rassurant de se rendre compte que la bourrasque, qui a emporté les terribles accusations d’atteinte à la sécurité de l’État du Sénégal, n’a pas drainé sous son sillage les dossiers ayant trait au soupçon de détournements des deniers publics. Et s’il est vrai qu’il faut du temps pour avoir droit à des reformes substantielles, il reste que le nouveau peut, à moindre frais, lancé des signaux forts

Participeraient de ces initiatives immédiates, la réduction du train de vie de l’État, la protection des ressources naturelles et la promotion du consommer local. L’interdiction du sponsoring politique qui oblige les ministres et Directeurs à user de deniers du contribuable pour entretenir la clientèle politique feraient partie de ces signaux. le nouveau serait aussi bien inspirée en préconisant cette pratique bien connue des Ivoiriens : inviter les ministres à séjourner chaque week-end chez eux. Ce faisant, ils ne se déconnecteront pas du quotidien de leurs électeurs. En outre, ce séjour les inciterait à améliorer le cadre de vie de leur terroir où ils ne s’y rendent en général qu’à l’occasion des décès et des meetings politiques. La perspective est d’autant plus intéressante que le travail en ligne et la desserte par voie aérienne de certaines localités du Sénégal militent en sa faveur.

En tout état des cause, l’espoir suscité est tel que tout dévoiement pourrait faire le lit de courants politiques aux finalités les plus regrettables.

Dans cette quête de l’amélioration qualitative du système politique, l’opposition est, elle aussi, à interpeller. Alors que, en bonne démocratie, les opposants s’inscrivent dans le double axe de l’amélioration qualitative des condition de vie des citoyens et de la consolidation de l’État de droit, au Sénégal ces derniers marchent sur une jambe, la lutte pour le pouvoir. Et pour cause, les manifestations contre le pouvoir ne réussissent le plus souvent que quand elles sont interdites !

Par ailleurs, tout étant conscient que, en démocratie, aucun acquis n’est irréversible, l’opposition politique ferait avancer la démocratie en cessant de se focaliser sur la question de la fiabilité du fichier électoral et de la disqualification du ministre de l’Intérieur pour l’organisation des élections.

Pour rappel, le soupçon sur la fiabilité du fichier avait amené l’opposition politique à boycotter les législatives de 2007. Pourtant, c’est pratiquement le même document qui sera utilisé lors des législatives de 2009. Et le revers électoral subi par le PDS avait préfiguré le déclin fatal du pouvoir libéral. Enfin, au regard des enseignements de cette présidentielle, la contestation du fichier électoral peut-elle continuer à polluer l’espace politique ?

Dans le même esprit, un regard plus circonspect sur la question du parrainage est nécessaire. Le principe de la participation inclusive ne doit pas déboucher sur un nombre surréaliste de candidats. Hormis les coups financiers aux frais du contribuable, il y va de la qualité de l’écoute citoyenne que requiert le vote. Le Sénégal compte suffisamment de compétences capables de soumettre à la classe politique des solutions à cette délicate équation.

Finalement, débordant le jour de vote, le Sénégal profite de conditions exceptionnelles d’une très bonne « respiration démocratique ». Seulement, eu égard à son histoire, à sa culture et à ses ressources humaines, ce pays peut nourrir l’ambition de cesser de faire de « la respiration démocratique » une exception d’un jour de vote pour en rythmer le quotidien des citoyens.

Une telle utopie tient sa positivité en ce qu’elle incite chacune et chacun à ne ménager aucun effort pour le développement du Sénégal. Car d’une économe de rente ne peut que résulter des perversions démocratiques, conséquences de la faiblesse des forces sociales censées animer le jeu démocratique. Dès lors, l’urgence est de créer les conditions pour enclencher des dynamiques à même de faire émerger de grands agriculteurs et des capitaines d’industries.

Cette perspective est solidaire d’un engagement conséquent pour diffuser les lumières et promouvoir les sciences et tous les arts, y compris la comédie intelligente. Le succès de cette option politique reste fondamentalement tributaire de la valorisation des langues nationales, du patrimoine culturel et de tout ce que l’humanité a créé de meilleur au cours de sa longue et tumultueuse histoire. Alors, l’instruction civique, une fois mise à contribution, permettra chaque citoyen de faire prévaloir une subjectivité pleine et entière l’autorisant à être électeur et/ou éligible







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