Suite à sa prestation de serment aujourd’hui, mardi 2 avril, devant le Conseil constitutionnel et des homologues de l’espace CEDEAO et de la Mauritanie, il est attendu de Bassirou Diomaye Faye, président nouvellement élu, qu’il porte sans tarder l’ambition de faire avancer le Sénégal, et par ricochet le continent, en rectifiant certains errements qui ont cours aux plans politique, économique, culturel et social.
Il doit avoir à cœur de le transformer au mieux, en y injectant un possible adossé à la valeur travail, à l’éthique, à l’engagement, au don de soi, à la volonté de servir sa communauté.
Avec un pays fort de quelque 75% de jeunes, continuer de comptabiliser des rêves d’avenir de centaines voire de milliers de filles et de garçons engloutis dans les profondeurs océanes, calcinés par le brûlant soleil du désert, interroge forcément sur le mode de gouvernance. Surtout qu’au bout de leur témérité, scintille l’urgence de s’en sortir. A croire d’ailleurs que pour une bonne frange d’entre elle, céder à de telles pulsions suicidogènes est l’expression subliminale du besoin de voir la politique ne pas s’abîmer à capter les ressources nationales à des fins personnelles, familiales et claniques.
Sans ergoter sur les engagements déclinés dans le projet « Pastefien » et repris lors de la campagne électorale, il convient de rappeler que la parole donnée, après avoir été fortement malmenée par le « wax-waxeet » de Wade et décrédibilisée sous Sall par une plurivocité qui en dilue le sens, mérite de retrouver sa sacralité, en l’occurrence l’univocité qu’elle n’aurait jamais dû quitter. Dans cette perspective, l’antisystème tant chantée est la mise sur orbite d’un président de la République qui ne pense pas à sa réélection et organise sa mandature autour de la Souveraineté, à savoir une prise en main de soi par soi. Il consiste aussi à veiller au bon fonctionnement des institutions en respectant les prérogatives de chacune d’entre elles et à se donner les moyens de son indépendance. Loin d’être déclamatoire, la Souveraineté dont il est fait cas ne saurait être figée dans des slogans, fussent-ils les plus disruptifs. « France Dégage ». « A bas l’impérialisme ». « A bas le néocolonialisme », etc. Si mobilisateurs qu’ils soient, les slogans même dopés par la puissance performative qu’on semble leur prêter, n’ont en effet aucunement vocation à transformer le réel. Prise en main de soi par soi, la Souveraineté incite au contraire à se doter des moyens de son indépendance autour d’une vision soucieuse de se mettre au service des besoins et des attentes des populations
Un préalable toutefois : savoir rompre avec des pratiques endogènes, négatives voire corruptogènes, organisées autour d’un narratif intériorisé par une grande majorité de nos compatriotes. Ce qui fait dire àIbrahima Thioub qu’« il suffit que vous soyez nommé à un poste ou que vous accédiez à une position de pouvoir quelconque pour qu’on vous submerge de félicitations et qu’on s’attende en retour à ce que vous en profitiez pour vous enrichir et procéder à une redistribution » (in Sud quotidien . Mars 2014). Et de souligner que « cette conception du pouvoir qui accouple prédation et clientélisme a profondément pénétré nos sociétés » (ibidem). Ce que fustige d’ailleurs la jeunesse lorsqu’elle se désole du « toog muy dox » (s’enrichir à ne rien faire)
En réalité, il n’est pas demandé l’insurmontable au président Bassirou Diomaye Faye, sinon d’inaugurer une nouvelle aube qui s’illumine dans le travail bien fait. A défaut d’avoir réussi à mettre en place le Sénégal de nos rêves, il est maintenant question de faire la place à toute une énergie souterraine qui se déploie loin du clinquant médiatique, dans des domaines aussi divers et variés que les finances, l’agriculture, les services, les sciences et techniques.
Durant la pandémie de la Covid 19 les médias avaient ainsi relayé moult innovations propulsées par une jeunesse pétrie de talents sans que les pouvoirs publics ne capitalisent sur cela. Aussi, face à cette jeunesse désabusée, mue par une forte défiance, essayant vaille que vaille de s’en sortir, il convient justement de lui redonner confiance en réconciliant la politique avec son sens étymologique, à savoir se mettre au service de la cité. Pressés par un présent entêtant, les jeunes ne se projettent pas dans le futur et ne sont nullement nostalgiques d’un âge d’or révolu qu’ils n’ont pas connu. Ils se retrouvent plutôt dans le désir brûlant de se réaliser. Désir de boulot. Désir d’équité. Désir d’excellence. Désir de justice sociale, économique. Désir d’une République qui couve ses enfants de la même manière en leur offrant les mêmes opportunités.
Il est donc attendu de Bassirou Diomaye Faye qu’il ne se laisse pas happer par les signes extérieurs du pouvoir tel qu’il se donne à travers des voitures de luxe construites autour de longs cortèges qui désertent les bureaux, perturbent la circulation des personnes. Déjà, pour l’avenue Léopold Sédar Senghor dont le trottoir longeant le palais présidentiel a été confisqué de manière disproportionnée, pour la sécurité d’une seule personne, il est attendu qu’elle se libère. Ce faisant, le palais redeviendra cette maison où le citoyen lambda peut s’arrêter pour admirer à travers les barreaux son imposante façade, ses beaux jardins. Se promener librement et prendre des photos avec les gardes rouges tout autant que les touristes, sous le regard vigilant des gendarmes en charge de la sécurité. Ce qui est encore attendu c’est qu’on torde le cou à l’ « heure sénégalaise », cette drôle d’incongruité pour dire le laxisme, le laisser aller, contrairement à la ponctualité, l’ordre et la discipline, gages de performance et de sérieux. Certes il n’est question que de la partie lilliputienne de l’iceberg puisqu’il est des problèmes autrement plus importants déclinés sous les tons, ayant trait à l’emploi, à la reddition des comptes, à la refondation des institutions, etc.
Seulement voilà, parce que le diable est dans le détail, il faut précisément être regardant par rapport aux insignifiances qui changent la vie. Et il en est tant d’autres. Aussi, au-delà d’une vigilance tatillonne, la rupture attendue est-elle de voir le président Bassirou Diomaye Faye déjouer les pièges qui aspirent, avalent et enferment à bas bruit dans le « pouvoirisme », en épousant une posture, un état d’esprit capables de faire front.