Entre les aspirations profondes des populations à voir soit s’instaurer un puissant changement de gouvernance ou s’opérer une révolution vraiment démocratique, et une gestion innovante de la transition politique, il y a tout un fossé à franchir ou à combler, mais dont tout dérapage serait fatal aux espérances de « faire du Sénégal une nation juste, prospère et souveraine, ancrée dans des valeurs fortes ».
La typologie des transitions distingue les transitions par le haut notamment sous l’impulsion des élites comme c’était le cas en 2012 avec Macky Sall sorti des flancs du PDS, et des transitions par le bas à travers un mouvement social populaire enclenché en 2021 et concrétisé favorablement lors du vote de 2024. La transition par le bas est très exigeante et se décline en deux modalités, notamment à travers la réforme des institutions ou à travers la révolution où les masses seront impliquées dans la définition des politiques publiques.
La gestion de la transition reste un grand chantier à la mesure des aspirations des populations et du niveau de délabrement politique, économique et sociétal. Il nous faut comprendre que le carnage économique, politique et social depuis les indépendances, subi par les populations est la base de l’exigence de rupture exprimée lors des élections.
Le nouveau président a été plébiscité pour la réparation des injustices subies par le candidat porteur d’un projet qui a fait fort écho auprès de la jeunesse. Sa présidence semble inaugurer un programme en droite ligne directrice avec le projet initial du Pastef dont bien des points de gouvernance sont totalement la marque de fabrique de ce parti. Le livre « Solutions pour un Sénégal nouveau » édité en 2018 (format show télévisé devant un public) est ainsi l’expression structurée de l’offre politique. Le projet affiché est une promesse marketing qui a nourri l’adhésion subliminale de la jeunesse. Il a singulièrement pris une forme associée au sacré, fédérant également tous les segments des couches les plus vulnérables de la société aspirant à un meilleur possible.
Le Premier ministre vient de fixer le cap autour de cinq orientations stratégiques suivantes : jeunesse, éducation, formation, entreprenariat et l’emploi des jeunes et des femmes – lutte contre la vie chère et l’amélioration des pouvoirs d’achat des populations – La justice, la protection des droits humains, la bonne gouvernance et la reddition des comptes et l’amélioration du système démocratique et électoral – La souveraineté économique, l’exploitation optimale des ressources économiques, la prospérité et le développement endogène et la consolidation de l’unité nationale, de la cohésion sociale et territoriale ainsi que le renforcement de la sécurité, de la paix et de la stabilité du pays.
Un ticket symbolique Diomaye-Sonko va diriger déjà pour cinq ans le Sénégal, pays vivant sur le régime de l’aide et de la dette abyssale (passage de 52% à 73% en 2021 et 76% du PIB en 2023).
Il est primordial de saisir la phase de transition comme une opportunité pour poser un acte fort pour la transformation sociale à travers un front populaire citoyen. Quels sont peut-être les modèles de progrès, de solidarité et d’unité à explorer ? À rapidement appliquer ?
Modèle de gouvernance
Une remise à plat de toute l’architecture constitutionnelle et administrative s’impose au regard de l’évolution de l’état moderne et de la société sénégalaise. Revisiter les relations entre l’État, ses institutions et les populations sous le prisme de la concertation et non de la manipulation politicienne. Il s’agit à la fois réparer les souffrances et définir un nouveau contrat de confiance basé sur les résultats et la reddition des comptes. La première ressource reste le pacte de gouvernance des Assises à actualiser bien sûr.
Modèle économique
Pays regorgeant de nouvelles ressources du sous-sol, le Sénégal doit repenser son modèle économique dominé par le secteur informel et la mise sous coupe des stratégies des multinationales au détriment d’une souveraineté économique. Transformer le capital humain non productif avec la pression démographique en citoyens engagés pour la transformation et le bien-être des populations par un nouveau contrat de développement des terroirs à partir d’une cartographie des besoins et des capacités locales.
Modèle politique
La démocratie représentative formelle est en crise partout dans le monde avec des institutions légales illégitimes pour la société. La faillite des partis politiques traditionnels au profit de Groupements d’Intérêt Politique Unipersonnels, le dévoiement de l’Assemblée nationale l’instrumentalisation de la justice par les pouvoirs sont autant de facteurs avilissant notre modèle démocratique. Nous avons besoin de rétablir le Pencúúm Sénégal à travers la constituante indépendante, souveraine et inclusive. Il s’agit d’une piste majeure pour la reconfiguration de notre modèle démocratique tropical ressourcé. Il nous faut recourir à des referendums citoyens sur toutes les questions d’intérêt national et africain au lieu de se limiter à une cosmétique du calendrier républicain.
Modèle sociétal
Le modèle sociétal sénégalais est un modèle islamo wolof pour parler comme le Professeur Mamadou Diouf dans Histoire du Sénégal dont le trait dominant reste la rapine, la prédation et le vampirisme social. Tout réside dans l’évitement, la ruse, la gabegie, la violence symbolique et la spoliation sociale. Nous devons repenser notre relation avec le pouvoir, avec le sacré et le religieux, avec le travail et l’argent, avec l’alimentation dans la perspective de la souveraineté alimentaire, la place de la femme et de l’enfant, la place des seniors, notre relation avec l’Afrique et le monde et notre relation avec notre propre histoire.
Heureusement qu’il y’a une petite embellie liée à la cohésion sociale, au dialogue islamo – chrétien et la sécurité sociale comme des soupapes de sécurité.
Le modèle pays de la Teranga doit être repensé à partir d’une vision de développement endogène dans un contexte social dominé par des acteurs internationaux et leur implication dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.