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La MÉtaphore De L’entonnoir

Urbanisme d’abord, aménagement du territoire ensuite ? L’inverse ? Ou les deux en même temps ?

Comme beaucoup de mes compatriotes, c’est avec une satisfaction immense que j’ai accueilli le regroupement, dans un même ministère, des départements de l’urbanisme, des collectivités territoriales et de l’aménagement des territoires. Longtemps souhaitée et réclamée par les spécialistes et acteurs du territoire, toutes échelles confondues, cette décision marque sans doute une volonté du nouveau régime à changer de paradigme et à placer les collectivités territoriales au cœur de la mise en œuvre de ces deux compétences transférées.

Urbanisme et Aménagement du territoire : de quoi parle-t-on exactement ?

La différence fondamentale entre l’aménagement du territoire et l’urbanisme se résume à une question d’échelles et de vocations stratégiques. L’aménagement du territoire s’intéresse aux grands ensembles territoriaux, du supranational au département pour prendre l’exemple du Sénégal. Il analyse leurs formes, leur occupation, les tendances lourdes de leurs grandes distributions (populations, établissements humains et armatures, réseaux et divers phénomènes) ainsi que les structures spatiales qu’elles génèrent ou susceptibles d’en résulter dans un horizon temporel défini. Le territoire est l’échelle de la planification spatiale stratégique.

L’urbanisme, quant à lui, se focalise sur les micro-échelles (la ville, la commune, le parcellaire cadastral), les interactions directes entre les communautés et leur milieu de résidence/vie, la superstructure qui en résulte et la conception du dispositif technico-humain et réglementaire visant à promouvoir l’harmonie et l’épanouissement dans la cité. La quête effrénée du bien-être humain fait désormais de l’habitant, ou plus correctement du citoyen, un acteur de droit dont les goûts et les désirs légitimes deviennent des dimensions clés du projet urbain (placemaking).

Urbanisme et Aménagement du territoire : quelle approche pour le Sénégal ?

Si la création de ce méga-ministère est très largement appréciée, la terminologique et la syntaxe de sa dénomination « ministère de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’aménagement des territoires » suscitent néanmoins une grande interrogation. S’agit-t-il tout simplement d’un coup de charme ou, plus sérieusement, d’une réelle volonté disruptive visant à opérer la rupture tant attendue dans la mise en œuvre des politiques territoriales ?

En matière d’aménagement du territoire, la méthode de l’entonnoir est la plus répandue. L’entonnoir est une image parfaite pour décrire, conceptualiser ou modéliser des processus complexes dans divers domaines, l’entonnoir de vente par exemple dans le secteur du commerce/marketing. Dans notre cas, l’axe vertical représente la structure institutionnelle qui promeut la subsidiarité des échelles et les axes horizontaux, le territoire, du niveau global aux niveaux les plus fins.

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La méthode de l’entonnoir consiste à partir des grands ensembles du territoire pour constituer un référentiel unique et opposable à toutes les échelles sous-jacentes. Ce sont les tendances lourdes du territoire qui inspirent et déterminent les orientations politiques nationales, toutes échelles confondues, y compris celles de l’urbanisme stratégique. C’est l’approche adoptée au Sénégal depuis l’indépendance du pays, avec comme objectifs l’atténuation du centralisme hérité de la colonisation, la création de dynamiques d’ensemble et une intégrité territoriale renforcée. Le PNAT de 1997, le PNADT adopté en 2020 et la LOADT qui encadre sa mise en œuvre s’inscrivent dans cette démarche.

L’approche en entonnoir inversé (top/down) consiste à s’appuyer sur un ou plusieurs points stratégiques du territoire, des centres urbains en général, pour organiser et contrôler un territoire. Ses sources d’inspiration sont le mercantilisme expansionniste et les théories géographiques des lieux centraux incarnées notamment par les célèbres modèles de Walter Christaller et de Von Thünen.

Elle vise en général deux objectifs, souvent antagonistes dans l’esprit du planificateur :

Un objectif de domination et de contrôle territorial : ce fut le cas de la colonie du Sénégal dont la forme du territoire (partie occidentale), guidée par une volonté « exploitationniste » cynique et sauvage, rappelle étonnement celle de l’entonnoir. Ailleurs dans le monde, l’exemple le plus parfait est représenté par l’ex URSS. C’est l’option des régimes politiques qui aspirent à l’Etat fort. Le centre, lieu du pouvoir et du commandement, détermine et oriente toute la politique d’aménagement du territoire. L’accent est mis sur les grands projets urbanistiques qui doivent refléter le prestige, la grandeur et l’unicité du pouvoir central. C’est une approche actuellement très peu rependue dans le monde (Etats communistes et pétroliers arabes).

Un objectif d’aménagement et de développement territorial : c’est ce que semble suggérer la syntaxe de la dénomination du nouveau Ministère de l’Urbanisme (échelle micro), des collectivités territoriales (échelle méso) et de l’aménagement des territoires. Le mode opératoire consiste, sans être forcément dans une logique dirigiste, à s’appuyer sur des centres de taille et de niveaux divers, des chefs-lieux administratifs de préférence, pour impulser les dynamiques souhaitées et diffuser des règles, des pratiques ou des innovations (effet chef-lieu). Le centre et sa périphérie entretiennent des relations symétriques et complémentaires. Pour le cas du Sénégal, cette approche est consacrée par la Loi n° 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales à son article 15 qui promeut l’« égale dignité » des collectivités territoriales.

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Le résultat est un territoire en structure fractale dont la complexité est telle que chaque centre, chaque entité territoriale prend un sens et une identité uniques qui garantissent sa résilience et sa survie.

La mise en commun des similitudes et des avantages comparatifs permet de constituer, à différentes échelles pertinentes, des ensembles (intercommunalités, ententes, …) homogènes, cohérents et robustes favorisant la continuité territoriale des politiques. Les grands ensembles territoriaux sont un mécanisme efficace pour lutter contre l’ «ostracisme» territorial, mais également pour lisser les aspérités et les externalités négatives liées à l’entropie territoriale ou au voisinage (avantage absolu). Il favorise l’équité et bonifie la communication institutionnelle.

L’idée d’organiser le territoire en pôles régionaux émise par le président Abdoulaye Wade (provincialisation), reprise, sans grand succès, par son successeur le président Macky Sall (pôles territoire) et ressuscitée par le régime du président Bassirou Diomaye Faye vise ces objectifs.

La réalisation de ce second objectif peut s’appuyer sur deux mécanismes, non exclusifs :

Un mécanisme de type programmatique (rattrapage) : les actions s’inscrivent dans des programmes spécifiques avec comme objectif de produire des résultats immédiats (court terme) et fortement impactants. La décision historique et audacieuse du Président Abdoulaye Wade d’organiser, de manière tournante, la fête nationale du 4 avril dans les capitales régionales du pays, avec à chaque étape un important programme d’investissements lourds à la clé et les programmes d’urgence du Président Macky Sall (PUDC, PUMA, PROMOVILLE, PACASEN, …) obéissent à ce mécanisme innovant certes, mais non durable à cause d’un portage politique aléatoire et limité dans le temps (durée du mandat présidentiel).

Un mécanisme de type planification stratégique : les actions s’inscrivent dans une temporalité longue et raisonnable. Les ressources et le chemin critique nécessaires à leur réalisation sont objectifs et normalement insensibles aux changements de régime politique. C’est dans cet esprit de continuité de l’action publique que beaucoup de préconisations du PNAT de 1997 ont été reprises et adaptées au contexte du PNADT marquées par des changements institutionnels et des mutations territoriales importantes.

Acquis à consolider et manquements à combler

Les secteurs de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire au Sénégal, pourtant très stratégiques, enregistrent un bilan modeste après plus de 60 d’indépendance. L’existence depuis 1997 d’un Plan national d’aménagement du territoire (PNAT) révisé en 2020 en Plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT), l’adoption, la même année, de la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADT) et la révision récente des Codes de l’urbanisme et de la construction sont des avancées significatives et appréciables certes, mais très insuffisantes par rapport à l’immensité des besoins et des défis à relever.

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C’est pourquoi, dans le but de mieux consolider ces acquis et permettre à ces deux secteurs de jouer pleinement leur rôle, des réformes et mesures fortes s’imposent. Elles concernent prioritairement :

Au plan institutionnel

  • La signature du décret portant création du Fonds d’impulsion à l’aménagement du territoire (FIAT)
  • La suppression des doublons institutionnels,
  • La fusion des agences, directions et services techniques ayant presque les mêmes missions et les mêmes cibles,
  • La création d’un guichet unique territorial pour les communes et les départements
  • Le transfert institutionnel et la régionalisation de la Commission de contrôle des opérations domaniales (CCOD)
  • Le transfert de la tutelle technique des services cadastraux

Au plan technique

  • L’effectivité, le renforcement et la décentralisation des Fonds destinés à l’urbanisme et au logement,
  • Le renforcement des services techniques déconcentrés
  • La généralisation des documents de planification urbaine et territoriale
  • Une meilleure implication dans les instances et dispositifs de gestion foncière et domaniale
  • La mise à jour, à partir de 2025, du Plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT)

Au plan territorial

  • La mise en œuvre de la Charte de la déconcentration,
  • La révision et la mise à jour du Code général des collectivités locales (CGCL),
  • La réforme des fonds d’appui à la décentralisation, pour une meilleure efficacité,
  • Une meilleure appropriation du BCI par les collectivités territoriales,
  • La consolidation de la fonction publique territoriale,
  • La correction des incohérences territoriales (en priorité la délimitation et le bornage des limites territoriales),
  • Le retour à la région collectivité territoriale (échelon manquant), en mettant l’accent sur les grands ensembles (pôles, ententes, …),
  • Le renforcement des Départements par une fiscalité propre
  • L’adoption d’un statut de l’élu territorial et la réforme du conseil municipal et du bureau du conseil départemental
  • L’audit du foncier urbain
  • La généralisation des pôles urbains

Pour un Sénégal fort, juste et prospère … !

Dr. Ousmane Thiam, Agence nationale de l’aménagement du territoire (ANAT) – Responsable du Pôle oriental (Tambacounda et Kédougou).

Vice-Président Conseil départemental de Bambey

ousmane.thiam@gmail.co







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