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Senghor, Le PÈre Du PrÉsidentialisme

Le 4 avril dernier, après que le Sénégal a célébré le 64ème anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale, dans une sobriété marquée par la prise de pouvoir du nouveau président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, Sud Quotidien revisite les magistères de ses quatre prédécesseurs. Sous ces différents régimes, la contestation a été permanente du fait de l’hyperprésidentialisme. Si l’ère senghorienne reste dominée par les doutes d’une Nation naissante, elle demeure hésitante à rompre les amarres avec l’ancien colonisateur, la France. Sous le magistère de son successeur Abdou Diouf, la situation sera plus contrastée. Promu à la tête de l’Etat grâce à l’article 35, il avait une marge de deux ans pour mener à terme le dernier mandat de son mentor, Léopold Sédar Senghor.

En 2000, en dépit de l’avènement de la première alternance démocratique et la grande ferveur qui a accompagné l’accession de Abdoulaye Wade à la magistrature suprême, la nature présidentialiste de l’Etat sous Senghor et Diouf ne sera substantiellement pas remise en cause. Avec Macky Sall, président élu en 2012, consacrant ainsi, la deuxième alternance démocratique, la situation va perdurer. Il rendra les clés de la République, deux mandats plus tard, dans le contexte d’un Sénégal divisé entre Républicains et Patriotes.

Dans ce premier jet du dossier « Quatre hommes, un Etat », Henriette Niang Kandé revient à grands traits sur le régime de Léopold Sédar Senghor, premier président de la République. Toujours est-il que tout au long de son histoire, le pays a montré que quand il s’agace, tout comme lorsqu’ il s’ennuie, le Sénégal devient volontiers imprévisible.

Léopold Sédar Senghor : Le père du présidentialisme

Léopold Sédar Senghor ou une gouvernance politique où la pratique présidentialiste du pouvoir n’a cessé de s’imposer, de rentrer dans les usages et de devenir une habitude. Tout au long de la vingtaine d’années passée à la tête de l’Etat, le premier président du Sénégal s’est évertué avec « organisation et méthode » à matérialiser sa conception du pouvoir, via une reproduction du modèle constitutionnel français, doublée de la prépondérance du chef de l’Etat. Ce présidentialisme poussé, au point de personnaliser le parti, le groupe parlementaire, les affaires de l’Etat. Tout se passait au Palais de la République. Cette forme de gouvernance politique s’accentuera au cours de l’histoire politique du Sénégal post-indépendant malgré l’avènement du multipartisme encadré.

Plus d’une vingtaine d’années après l’enterrement à Dakar du premier président de la République et plus de quarante ans après l’annonce de sa démission, le dernier jour de l’an 1980, voilà que Léopold Sédar Senghor, qui avait déjà huit ans lorsqu’éclatait la Première Guerre Mondiale, n’est plus un référent. La vente aux enchères de ses biens à Verson où il a vécu pendant vingt ans, jusqu’à sa mort en 2001 (suspendue in extremis pour permettre des négociations directes avec le Sénégal qui souhaite les acquérir, subitement réveillé d’une inertie coupable) et l’appel à sécuriser sa bibliothèque par l’Etat en sont une parfaite illustration. S’il est une ombre, une énigme pour la génération des jeunes Sénégalais, il est encore moins une référence dans l’histoire politique officielle, lui, le concepteur de la théorie du «socialisme africain». Aux grandes heures de son histoire, et de la nôtre, il a su maîtriser son « timing ». C’est en s’opposant à lui et à l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS) devenue plus tard Parti Socialiste (PS), qu’un grand nombre de concitoyens ont fait clandestinement, leurs premiers pas en politique – même si la dissension était tolérée – jusqu’en mai 1974, date à laquelle Senghor instaure le multipartisme limité à quatre courants. Ils accusaient le chef de l’Etat d’alors d’être « le valet de l’impérialisme français » et n’hésitaient pas à lui rappeler, chaque fois qu’ils en avaient l’occasion, qu’il avait servi la France, appelé par Georges Pompidou, son condisciple au lycée Louis-Le- Grand. Ils ne s’arrêtaient pas là, dénonçant « l’idéologie de la Négritude servante de la Francophonie » (titre d’un ouvrage de Pathé Diagne), dont Senghor fut, avec Hamani Diori du Niger et Habib Bourguiba de Tunisie, l’un des promoteurs. Au passage, ses opposants se gaussaient du « rebelle » dont il se qualifiait lui-même dans ses poésies des années 30, qui promettait de « déchirer le rire Banania sur tous les murs de France », fort distinct de celui qui finira parmi les Immortels du Quai Conti, à l’Académie Française.

Entre ces deux bornes temporelles, il dit une prière : « Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par des sentiers obliques (Hosties noires- Prières de paix1948) », dénonçant le contraste entre la France idéale des arts, de la philosophie, et de la littérature (la voie droite) et la France historique de la brutalité coloniale, du racisme et de la xénophobie (les sentiers obliques). N’y a-t-il pas un sens du drame dans la poésie ? Ce que Robert Badinter, ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice sous François Mitterrand a dit avec d’autres mots lors d’une conférence : « Lorsque la France se targue d’être la patrie des Droits de l’Homme, c’est une figure de style. Elle est la patrie de la Déclaration des Droits de l’Homme ».

La personnalité du francophile Senghor qui n’a pas su rompre les amarres avec l’ancienne puissance coloniale, est sans doute pour quelque chose dans cet attrait qui se traduit en 1960, sur le plan institutionnel, par une reproduction du modèle constitutionnel français. Il faut aussi, à la vérité de dire que tous les Etats de l’empire français qui venaient d’être indépendants, ont eu du mal à se départir du modèle d’organisation légué par le colon.

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Le problème constitutionnel de Senghor fut celui de l’aménagement du pouvoir au sommet de l’Etat. Très vite, l’exercice du pouvoir révèle la difficulté d’avoir un Exécutif à deux têtes avec un président de la République et un président du Conseil, c’està-dire l’équivalent d’un chef de gouvernement, comme la France en a connu lors des 3ème et 4ème Républiques. La crise de décembre 1962 achève de prouver la difficulté d’avoir un tel binôme, du point de vue de leurs personnalités respectives. Dans la Constitution de 1959, (tout part de là), le président de la République n’exerce qu’une magistrature d’influence et laisse le président du Conseil administrer et diriger le Conseil des ministres et définir la politique de la République du Sénégal. Il s’agit là, d’un modèle inspiré de la France dont le président, avant la venue du Général Charles de Gaulle et la naissance de la Vème République, détient un pouvoir très limité. La formule consacrée a été prononcée par de Gaulle lui-même : « Qui n’a jamais cru, que le Général de Gaulle ayant été appelé à la barre, devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes»! La Constitution de 1963 dérive directement de la crise de décembre 1962. Senghor sort « victorieux » du conflit qui l’oppose au président du Conseil, Mamadou Dia. Elle traduit en termes constitutionnels, la nouvelle prépondérance du chef de l’Etat. Le poste de Président du Conseil est supprimé, les ministres et secrétaires d’Etat rendent compte directement au président de la République qui peut les démettre. Mieux, ils ne sont responsables que devant lui et non devant l’Assemblée nationale.

Le Sénégal rompt ainsi donc avec sa tradition parlementaire. Au-delà du nouveau montage constitutionnel, c’est la conception senghorienne du pouvoir politique qui se trouve mise en exergue. Celui-ci, au moins, ne se partage plus. Il est désormais nécessaire que dans l’Etat, le pouvoir soit clairement identifié. La bonne marche de l’Etat requiert que soit effacé tout schéma de type dyarchique. Celui qui plaçait la culture au-dessus de toute forme d’activité, se dévoile alors en Senghor politique. « Le politique », c’est-à-dire l’adepte de la realpolitik, l’homme averti des rapports de force et sachant jouer de ceux-ci . La prépondérance du chef de l’Etat est confirmée par la première révision de la Constitution de 1963.

Présidentialisme

Par la loi constitutionnelle du 20 juin 1967, le président de la République se voit reconnaître le droit de dissoudre l’Assemblée nationale, alors que le type de régime adopté selon la Constitution de 1963, n’admet pas une telle prérogative. C’est ainsi que démarre le présidentialisme qui s’est accentué au cours de l’histoire politique du Sénégal. Depuis lors, nous n’avons cessé de nous habituer à une croissante anormalité : la prépondérance croissante de l’institution présidentielle sur l’institution parlementaire. En effet, le droit de dissolution est en principe la contrepartie du droit, pour les députés, de renverser le gouvernement. La troisième révision de la Constitution, celle du 2 février 1967, traduit encore l’obsession senghorienne de l’aménagement du pouvoir au sommet de l’Etat. On a peine à croire que les députés sont les premiers élus de la Nation, chargés de faire la loi et de contrôler son exécution, d’élaborer et de voter les règles et objectifs que le pays se fixe, tout en surveillant leur mise en œuvre par le gouvernement. Senghor aimait plus que tout, les tournées économiques et en profitait pour procéder à des remises de dettes en faveur des paysans, à qui il avait promis d’acheter leur production d’arachide à «barigo junni» (5000 francs la tonne). Mais après que les paysans refusent de s’acquitter de leur impôt suite à une période de sécheresse et face aux abus de l’Oncad, (organisme d’encadrement rural), il n’hésite pas à les faire saupoudrer de pesticides. On peut inscrire à son tableau le fait de tout vouloir faire encadrer par l’Etat qu’il voulait pionnier et promoteur d’une politique agricole dont il n’a pu empêcher le naufrage.

En 1968, la situation se dégrade dans le monde rural, suite à une série de périodes de sécheresse, la chute du prix des matières premières, la stagnation des surfaces cultivées. La production agricole fortement perturbée se répercute sur les conditions de vie paysanne. La migration vers les centres urbains commence. Le phénomène est qualifié d’exode rural. Entre 1968 et 1974, le Sénégal bouillonne de revendications et de contestations de toutes sortes. Les grèves des employés de banques, de la Poste, de l’ONCAD, ponctuent la vie politique et syndicale. Senghor réorganise l’Etat tout en élaborant une règlementation destinée à freiner le mouvement revendicatif à l’Université. La foudre s’abat sur des étudiants grévistes : « la quinzaine d’étudiants qui, violant la loi, pris en flagrant délit de s’opposer à la liberté des cours, ont été déférés à la justice. On leur fera faire leur service militaire. Ils rejoindront ainsi, parmi d’autres, deux anciens élèves de l’Ecole de santé militaire qui avaient fait la grève. D’autres étudiants, moins coupables, mais coupables tout de même de s’opposer à la liberté des cours, seront exclus des établissements d’enseignement supérieur et d’abord de l’Université. Des élèves des enseignements moyen et secondaire convaincus des mêmes fautes, subiront le même sort que ces étudiants. Ils seront renvoyés des écoles publiques : collèges et lycées ». Quelques autres sont mis en résidence surveillée par un éloignement du centre du mouvement revendicatif. Pour ce faire, ils sont envoyés dans des environnements climatiques sévères.

Le poète n’a pas hésité à opérer le bannissement d’adolescents ou de jeunes adultes pétris d’idéaux, rendus cauchemardesques par une répression du mouvement social en 1968 et 1969, puis en 1971 et 1973. A l’Université de Dakar, le déni de promotion était une arme privilégiée. Sans parler des bourses refusées, des thèses rejetées et des mentions niées, à tout le moins, délibérément ignorées.

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L’emprisonnement systématique a été appliqué aux hommes politiques : Mamadou Dia et ses compagnons, des cadres du Parti Africain de l’Indépendance…. De Senghor, l’histoire politique n’effacera pas le peloton d’exécution pour Abdou Ndaffé Faye, accusé d’avoir tué le député Demba Diop et Moustapha Lo, qui avait été incriminé de tentative d’assassinat sur la personne du président de la République. Justice sévère, comme il en a été convenu dans le discours officiel pour justifier le verdict de 1962 contre Mamadou Dia et ses compagnons.

Cependant, il faut mettre à son crédit, dans son comportement, cette fixation sur l’«organisation et la méthode » sans qui, rien de grand ne se réalise. C’est ainsi qu’il fit adopter la loi sur le Domaine national (1964) et le Code de la Famille (1972). Ce code, (qui pourrait faire l’objet d’un dossier spécial), avait vu ses travaux lancés dès 1961 avec la création d’une Commission de «Codification du droit des personnes et du droit des obligations». L’exploitation des questionnaires avait recensé 79 coutumes et autant de droits. En 1965, un comité des «options», composé de 32 membres est créé pour inventorier les informations récoltées et ses conclusions ont permis de nourrir les réflexions du «Comité de rédaction du Code de la Famille» désigné par arrêté en juillet 1966. Après examen de la Cour suprême (juillet 1967), le projet a été soumis et adopté par l’Assemblée nationale en mai 1972.

Derrière l’apparence des discours et des réformes, la pratique présidentialiste du pouvoir n’a cessé de s’imposer, de rentrer dans les usages et de devenir une habitude. Du passage de Senghor, il est juste de noter son œuvre (qu’on oublie bien trop souvent), en faveur de la promotion des langues nationales, en permettant la codification et l’enseignement de six d’entre elles (wolof, sereer, pulaar, joola, manding et soninké), bien que leur intégration dans le système éducatif scolaire n’a pas été effective. L’agrégé de grammaire française qu’il était n’a pas hésité à utiliser l’orthographe wolof, pour régler ses divergences politiques avec ses opposants, avec «organisation et méthode». C’est ainsi qu’il contraint Cheikh Anta Diop à changer le titre du journal de son parti, le Rassemblement National Démocratique, «Siggi» (relever la tête) parce qu’il trouvait dans l’orthographe, un «g» de trop. Le journal prit alors le titre de «Taxaw» (debout) qui avait fait l’objet, dans la chute bien à propos d’un éditorial de l’époque : «Ñulaay tere siggi nga taxaw nak faf» (On t’interdit de lever la tête et tu te relèves). Il en a été de même avec le cinéaste Ousmane Sembène, très critique de la bourgeoisie compradore et bureaucratique qui n’a pu projeter son film «Ceddo», qu’une fois Senghor parti vivre en Normandie. Le motif est que ce dernier lui voulait faire immoler un «d», que Sembène refusa.

De ce catholique si cher au second khalife des Mourides, Serigne Mouhamadou Falilou Mbacké et à Seydou Nourou Tall, il est juste de retenir l’ouverture pluraliste, cette particularité longtemps sénégalaise, en un temps où le monopartisme était la règle sur la quasitotalité du continent africain. Il autorise Abdoulaye Wade, l’ancien militant de l’UPS, après un dîner à Mogadiscio, en marge d’un sommet de la défunte Organisation de l’Unité Africaine (OUA), à créer le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) comme parti dit, de «contribution», non sans l’affubler du sobriquet – «N’Diombor le lièvre» – qui, pendant longtemps, fit prendre pour un tacticien habile, et même redoutable, celui qui allait incarner la première alternance politique du Sénégal en 2000. Il a été également le premier président d’une République de l’Afrique de l’Ouest à avoir fait élire une femme, madame Caroline Diop, député et ministre d’un gouvernement

Quid de ses rapports avec la presse ? «Profitant» de cette période où les partis politiques étaient interdits, ce qui ne les empêchaient nullement de publier clandestinement et que les libertés étaient particulièrement surveillées, seuls «Promotion» et «le Politicien» (premier hebdomadaire satirique africain), incarnaient la presse indépendante de l’époque, dont il n’a pas hésité à envoyer leurs promoteurs en prison, à un moment ou à un autre. Si la presse étrangère a eu ses faveurs, Senghor ne s’adressait à ses compatriotes qu’à travers des allocutions radiophoniques d’abord, puis télévisées plus tard quand la télévision est entrée dans les ménages. En 1979, le Code de la Presse est adopté, véritable corset couplé avec des dispositions du code pénal.

Déconcentration

Fatigué d’être le centre de la vie politique, lassé d’une prépondérance qui pourrait très vite «dévaloriser» la fonction présidentielle en la «banalisant», car le président est bien obligé de se mêler de tout, Senghor rétablit le poste de Premier ministre, en 1970. Mais la fonction n’a plus rien à voir avec celle du Président du Conseil de 1962. Le Premier ministre est sous la dépendance étroite du Président de la République, lequel détermine la politique de la Nation et peut, quand il veut, le révoquer. C’est ce que l’on a appelé, l’ère des « Premiers ministres de la déconcentration ». La création de la fonction ne doit pas, non plus, faire illusion. Il n’y a aucune volonté de changer la substance du régime, il n’est pas question de retourner au régime parlementaire, qui est celui dans lequel, l’institution primo ministérielle a un sens. Il s’agit simplement de trouver au Président Senghor un «collaborateur», dont la « loyauté » sera, on le devine bien après les événements de 1962, une qualité essentielle.

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L’homme qui est choisi pour occuper le poste est conforme aux arrière-pensées du président : administrateur effacé, ancien secrétaire général de la présidence, n’ayant a priori nulle ambition politique, Abdou Diouf paraît bien faire l’affaire. Sa longévité à ce poste en atteste : il l’a occupé sans discontinuer de 1970 à 1981.

Cependant, tout au long de cette dizaine d’années, le rôle du Premier ministre est de plus en plus pâle. Celui du président de la République se dilate, se répand et s’épanouit. Les calendriers électoraux, plaçant les législatives après la présidentielle, ont potentiellement affermi cette évolution, en l’identification des majorités parlementaires à une majorité présidentielle compacte et obéissante. Le pouvoir n’est plus en rien réparti : le parti, la coalition, le groupe parlementaire, les affaires de l’Etat. Tout se passe au Palais de la République.

La révision constitutionnelle du 28 décembre 1978 qui consacre le multipartisme, est resté limité, le Président voyant dans un pluralisme sans borne un «péril mortel» pour une jeune démocratie. Le rapport que le président Senghor a entretenu avec les institutions constitutionnelles est ambivalent. Il a utilisé la Loi fondamentale comme instrument de consécration de rapports de forces politiques, et s’est appuyé dans le même temps, sur son pouvoir de susciter des réformes pour ouvrir des voies assurément «progressistes», pour figer dans le marbre de la loi, des audaces salutaires.

Son souci de la Constitution doit toutefois être relativisé par la particularité de son époque, époque placide, qui ne baigna pas à vrai dire, dans une ambiance de débats et de contradictions. Dans un style proconsulaire, il fit modifier un article, pour propulser son Premier ministre Abdou Diouf, à la tête de l’Etat. C’est ainsi que le cycle politique du premier président du Sénégal entamé plus d’une vingtaine années avant l’indépendance, est arrivé à son terme.

Dans le discours senghorien qui s’appuie sur la Négritude, le socialisme africain, la Francophonie, des historiens font remarquer une faiblesse par rapport à la «tradition» et au folklore historique : «tout en réarrangeant la tradition, il s’en écartait de manière souveraine et dédaigneuse». C’est ainsi qu’il est resté «le griot de son projet culturel», laissant les intellectuels investir l’espace public. En dehors des reportages lors de la fête du 4 avril, des commentaires de combats de lutte ou de courses hippiques, les griots contaient dans leurs émissions radiophoniques, le passé du pays, sans une instrumentalisation de l’histoire au service du politique.

Au moment de l’indépendance, le souci était de consolider la Nation. Des émissions culturelles et historiques, animées par des griots ont contribué à cela. Après la crise de 1962, leurfonctionnarisation a été effective. Pour diffuser sa propagande lors des crises de 1962 et de mai 1968, Senghor s’attache les services de El Hadj Ousseynou Seck, chroniqueur « politique », à Radio Sénégal, qui ripostait aux étudiants et même à Sékou Touré, dans la crise entre le Sénégal et la Guinée. Il n’est cependant pas superflu de noter que Yandé Codou Sène, griotte attitrée a servi elle, à établir une filiation de Guélewar à Senghor.

Obsèques

A son enterrement à Dakar, le 29 décembre 2001, la France n’est représentée « que » par le président de son Assemblée nationale, Monsieur Raymond Forni et parle ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie. Ni Jacques Chirac, alors président de la République française, ni Lionel Jospin, son Premier ministre de la cohabitation n’ont fait le déplacement. Ami et défenseur indéfectible de la France, celle-ci s’est montrée ingrate en l’ignorant superbement dans le froid de son cercueil. D’aucuns pensent que Jacques Chirac, héritier de Charles de Gaulle lui avait fait payer son absence aux obsèques de ce dernier en 1970. Ignorait-il que Senghor avait à l’époque, dit-on, écrit une lettre adressée à Madame de Gaulle dans laquelle il donnait la raison de son absence : le Général voulait des funérailles familiales et intimes.

En 2006, est organisé sous les dorures de l’Assemblée nationale française un colloque traitant de : «Léopold Sédar Senghor : la pensée et l’action politique». Parmi les nombreux textes publiés qui étaient les communications des intervenants, un témoignage a un goût particulièrement savoureux. C’est celui d’une ancienne fonctionnaire de l’administration française à Dakar, Madame Mauricette Landeroin qui avait fait la connaissance de Senghor à Tours, en 1936 quand ce dernier y enseignait. Dans un registre intimiste, elle présenta lors de ce colloque, des lettres qu’il lui avait adressées, dans lesquelles il lui déclarait sa flamme et disait même son intention de l’épouser. Voilà ce qu’en dit Madame Landeroin : «Les sentiments exprimés dans ces quelques lettres avec tant de délicatesse témoignent, je crois, de l’intérêt que me portait le professeur Senghor. Lors de réceptions auxquelles il était convié par la bourgeoisie tourangelle, il confiait : «Je voudrais épouser une jeune fille qui ait le baccalauréat comme minimum d’instruction, qui soit de la bourgeoisie, et qui soit dotée». Il faut croire que je répondais à ces trois critères, puisqu’à deux reprises il m’a demandée en mariage ! En vain ! A l’époque, j’étais amoureuse d’un Russe aux yeux bleus que je rencontrais chez mes correspondants. On dit que les contraires s’attirent. Durant ma carrière en Afrique, il m’a été donné de rencontrer le président Senghor au cours des diverses conférences qui réunissaient les chefs d’Etat. A l’occasion de l’une d’elles, il m’a dit : «Mauricette, dans ma vie, j’ai eu tous les honneurs que l’on peut souhaiter, mais vous êtes, vous, l’échec de ma vie !»







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