A peine installé, le nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, soucieux de venger les gens de peu, s’offre un coup de taloche dans la fourmilière truculente de l’information : les lanceurs d’alerte, apparemment indispensables à la transparence démocratique et la bonne gouvernance, méritent la reconnaissance de la Nation, un statut, une protection spéciale, une stèle, que dis-je, une institutionnalisation.
Sans cette race à part de héros intrépides, apparemment, le pays de Mamadou Bitiké serait une bamboula permanente, où les coquins et les copains se partageraient les entrailles des gens d’en bas et festoieraient impunément de génération en génération.
Pour preuve, l’ancien président de la rue publique, alias Pros, devenu à son corps défendant Premier ministre, Pmos, donnera le ton, pour se lancer à la conquête du pouvoir, en publiant un pavé sur le pétrole sénégalais… Il précise alors, en présentant le p’tit chef-d’œuvre, que c’est quasiment contraint et forcé qu’il se résigne à le publier, la race des journalistes étant tellement corrompue que personne parmi ces crapauds n’oserait publier de telles vérités.
Bien entendu, dans la presse, personne ne se sent vexé : pensez-vous, c’est le Président de la rue publique Ousmane Sonko, alias Pros, soi-même, qui parle…
Et puis, c’est de notoriété publique : nous autres, journalistes, sommes ces vendus, ces corrompus, ces renégats qui ont vendu leur âme, et peut-être même plus, pour trois sous. Pour dire les choses simplement, nous sommes la caste complice du défunt régime qui enterre sciemment les scandales qu’eux, alors hérauts de l’opposition, dénoncent au péril de leur vie, de leur liberté ; nous faisons même pire en cautionnant les sordides complots qui les font jeter en prison, histoire de faciliter le troisième mandat illégitime (et même illégal, c’est selon) de Macky Sall, le Corrupteur suprême.
Bref, depuis le 2 avril 2024, la marée révolutionnaire qui porte au Palais le Président Bassirou Diomaye Faye, promet de réinventer la roue. C’est sans doute cela le «Projet» dont tout le monde parle, mais personne ne sait grandchose…
Bien sûr, parmi les journalistes, il y en a quelques-uns, les rares exceptions, que les réseaux sociaux plébiscitent et élèvent au rang de légendes vivantes. Ces tâcherons de la propagande qui squattent quelques tribunes depuis tout ce temps, défendent hardiment toutes les victimes du mackyavélisme, pourfendent l’arbitraire et l’indécent, dénoncent la corruption tout comme le népotisme, touchent même du doigt l’innommable en fouillant jusqu’en dessous des ceintures, dans les caleçons de ces pervers de gouvernants et leurs obligés. Et tout cela en posant pour la postérité, le côté photogénique de la tronche face à la caméra, fiers du devoir accompli, certains de leur bon droit.
A chacun son bonheur, n’est-ce pas ? Evitons de faire des jaloux en citant des noms… Oui, mais toute cette populace bigarrée ne suffit pas pour contrôler l’opinion. Ça ne le fait pas, même si l’on y rajoute quelques redoutables papoteurs aux envolées psychédéliques, qui trouvent le temps de faire le beau devant les caméras entre deux ventes de poudre de perlimpinpin ou des gags de mauvais goût. C’est vrai, le peuple des influenceurs s’y est également mis… A défaut de vendre de la pacotille, comme les premiers explorateurs devant les indigènes, ces négociants du nouveau millénaire vendent aux Nègres frustes de ces temps farouches en pleine régression, du réconfort à moindre frais, de la revanche à bon marché, de la haine à foison…
Il est si facile de parler à l’émotion épidermique, lorsque l’on s’adresse à des contemporains à la comprenette grippée.
Que dire des brillantissimes auteurs de «contributions», de «tribunes» et d’ «opinions» qui envahissent les journaux pour… alerter le grand public des dangers qui le guettent ? Des pavés sophistiqués qui défont et refont le monde révèlent au passage qu’il y a tant de gens brillants (dont les coordonnées se trouvent au bas de l’article) qui ne sont pas aux postes qu’ils méritent.
J’en oublierais presque les ténors de la Société civile…
Ben voyons, vous savez bien : les trois pelés et deux tondus qui, du haut de leurs Ong, défendent les droits de l’Homme de manière si originale… Résolument postés du côté des incendiaires, ils gagnent grassement leur vie à éteindre des feux qu’ils encouragent à leurs heures perdues. Bien sûr, il y aura toujours quelque journaliste aussi incorruptible que complaisant pour relayer leurs balivernes, au nom de l’humanisme universel, de la démocratie et de la tolérance.
Et des per diem des séminaires de renforcement de capacités.
Là, maintenant, avec la révolution du tandem Diomaye-Sonko, il est temps de gonfler les troupes qui illuminent l’obscurantisme à grand renfort de «lanceurs d’alerte», pour que ces corrompus de journalistes ferment leurs gueules et, à l’occasion, boutique. Ça ne crachera pas sur les révélations à propos du voisin trop riche pour être honnête ; ou celles du beau gosse qui vous fait cocu ; ni sur celles du collègue trop brillant qui occupe le poste de vos rêves.
L’essentiel est d’alerter l’opinion
Dans ma p’tite tête, il me revient deux lanceurs d’alerte : le premier, Zola, qui signe l’un des éditos les plus célèbres de l’histoire, à propos de l’affaire Dreyfus, sous le titre «J’accuse». Le second, sous le pseudonyme de «Gorge Profonde», déclenche l’un des scandales les plus retentissants de l’Histoire américaine qui finit par la démission du Président Nixon. Il finira par lui-même révéler son identité, les journalistes avec lesquels il aura collaboré n’ayant jamais failli concernant le serment de protéger leur source… Ils étaient pourtant face au monstre Amérique.
Ces deux célébrissimes lanceurs d’alerte ont un point commun : c’est par voie de presse qu’ils sont passés.
Informer est, au pire, un banal métier qui apprend au journaliste à discerner ce qui est d’intérêt public et comment le servir à une population dont le niveau d’instruction est inégal.
Au mieux, le journalisme est un sacerdoce, une religion dont la base est le respect de la personne humaine, la sacralité des faits, la publication de la vérité, quoi qu’elle en coûte. Vous voulez savoir quelle est la différence entre un lanceur d’alerte et un journaliste ? Le lanceur d’alerte, quand il vous désigne du doigt la plaie, il fait tant et si bien qu’au lieu de vous informer, vous ne pouvez que contempler sa tronche qu’il promènera sur tous les plateaux de télé en vous exclamant : «Quel héros !» Ben, le journaliste, quand il vous révèle la même info, ça se fait si simplement que vous en oublierez de regarder la signature, parce que son auteur fait tout pour ne pas exister, histoire de ne pas vous faire oublier ce qu’il vous a appris…