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Entre Le Marteau De La Demande D’emplois Décents Et L’enclume De L’offre D’emplois Productifs

«Créer des emplois en nombre suffisant pour combattre les problèmes du chômage, du sous-emploi et des bas salaires, tel est le formidable défi que doivent relever tous les pays, quel que soit leur niveau développement1.»

Dans tous les pays du monde, ce défi interpelle au premier plan le gouvernement, les confédérations d’employeurs et les centrales syndicales de travailleurs universellement regroupés sous le vocable «mandants tripartites».

Dans notre pays, le Sénégal, l’ampleur de ce défi peut se mesurer à l’aune de l’irrépressible demande sociale qui a amené l’actuel chef de l’Etat à consacrer, après l’avoir pointée du doigt durant la campagne de l’élection présidentielle 2024, une des cinq de nos sur-priorités à la jeunesse, à l’éducation, à la formation, à l’entrepreneuriat et à l’emploi des jeunes et des femmes.

En réalité, il ne s’agit pas là d’une nouvelle priorité. Lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2000, le candidat Me Abdoulaye Wade n’électrisait-il pas déjà les foules avec le slogan fétiche : «Où sont les chômeurs ?»

Entretemps, beaucoup a certes été fait, bon an mal an, en matière de mise en place de divers dispositifs de promotion de l’employabilité et de l’entrepreneuriat.

Toutefois, ces efforts, essentiellement consentis par les gouvernements successifs et les employeurs, n’ont pas réussi à endiguer l’irréfrénable aspiration à un mieux-être de la population active aussi bien jeune que moins jeune.

Restant dans le registre du constat, mais en l’appréhendant sous l’angle de la demande d’emplois décents, le recours accentué à la périlleuse voie océanique par des candidats à l’émigration, durant la pandémie du Covid-19, qui avait compromis les autres circuits terrestres et aériens, édifie à suffisance sur la gravité de la situation.

Une situation du secteur de l’emploi qui peut être appréciée à sa juste valeur à travers l’examen des profils des émigrants et des motifs qui les amènent à emprunter les chemins de l’exil.

Sur ces motifs, sans prise en compte de ceux qui concernent l’émigration irrégulière qui n’ont pas été répertoriés, et en attendant les prochains livrables de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd), les résultats de l’avant-dernier Recensement général de la population, de l’habitat, de l’agriculture et de l’élevage 2013 (Rgphae 2013) ont estimé à près de 73, 4%, le pourcentage d’émigrants sénégalais qui se sont rendus à l’étranger à la recherche d’un meilleur emploi.

En faisant focus sur les profils, 55, 1% du contingent de ces émigrants à la recherche d’un meilleur emploi, composés majoritairement d’acteurs des différentes familles de l’économie informelle, ne disposent d’aucune qualification (Rgphae 2013).

Les 44, 9% résiduels sont constitués de travailleurs qualifiés qui ne se sont pas satisfaits des conditions nationales de travail qui leur ont été offertes en raison, notamment, de la précarité liée, d’une part, à la modicité des salaires servis dans le secteur privé et, d’autre part, au non-respect de la législation sociale par tous les employeurs.

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En effet, au grand dam de néophytes en la matière de certains «activistes en quête de popularité cassant le sucre sur le dos des inspecteurs et contrôleurs du travail et de la sécurité sociale», la dernière revalorisation des salaires catégoriels dans les différentes branches d’activités du secteur privé, applicable depuis le 1er juillet 2023, ne garantit aux travailleurs qu’un salaire minimal catégoriel mensuel moyen de 78 193 F Cfa et un salaire maximal catégoriel mensuel moyen d’environ de 222 562 F Cfa.

Aussi, l’effectivité de l’application de la législation sociale est compromise par l’imparfait maillage spatial des entreprises par le dispositif de contrôle des services d’Inspection du travail et de la sécurité sociale combiné à la faiblesse des pouvoirs juridiques et des moyens logistiques dont sont dotés les inspecteurs et contrôleurs du travail et de la sécurité sociale.

Présentement, pour contrôler l’ensemble des entreprises soumises à la législation du travail, les dix-sept (17) Inspections du travail et de la sécurité sociale ne peuvent compter que sur trente-et-un (31) inspecteurs et quarante-sept (47) contrôleurs.

Et, en dépit de la faiblesse de ces effectifs, il faut relever que, faute de mobilité, ces agents sont en même temps occupés à des tâches de conciliation de différends individuels de travail qui rognent l’exercice, dans sa plénitude, la fonction essentielle de contrôle que leur confère la Convention (n°81) de l’Organisation internationale du travail (Oit) sur l’Inspection du travail.

Revenant à la dialectique entre le travail et l’emploi, l’option des nouvelles autorités de prendre en charge dans un même département ministériel les problématiques relatives à la promotion du travail décent, dont l’un des piliers consiste en la création massive d’emplois, est justifiable.

En effet, examinant cette option sous le prisme de l’offre d’emplois productifs, il est bon de rappeler que l’emploi et le travail peuvent être considérés comme les deux faces d’une même pièce de monnaie. L’on ne peut faire abstraction de la compétitivité des facteurs de production dont la législation du travail, si l’on veut créer durablement des emplois décents.

Dans un environnement des affaires affecté par la concurrence déloyale exercée par les entreprises de l’économie informelle, la liberté d’entreprendre ne suffit pas pour susciter la création d’entreprises à haute intensité de main-d’œuvre. Lorsque les conditions d’embauche ainsi que les conditions de travail sont rigides, les possibilités de création d’emplois le seront tout aussi.

Et, entre les craintes de crouler sous les salaires et les charges sociales inhérents à l’embauche d’un travailleur et d’être tenaillé par la hantise de se faire condamner par le Tribunal même si le salarié n’est pas productif, les potentiels investisseurs préféreront minorer les risques en ne s’engageant pas dans des activités susceptibles d’induire une création massive d’emplois.

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A cet effet, il est nécessaire que les attentes et préoccupations de ces investisseurs trouvent des réponses appropriées en vue d’offrir suffisamment d’emplois décents aux ménages afin que ces derniers puissent améliorer leur pouvoir d’achat et faire face à la cherté de la vie.

Dans cette perspective, une attention particulière doit être accordée à l’essor des Petites et moyennes entreprises (Pme) et Petites et moyennes industries (Pmi) sur lesquelles s’adosse le développement de l’économie partout à travers le monde.

Les données du dernier Recensement général des entreprises 2016 (Rge 2016) révèlent que la proportion des unités économiques informelles s’élève à 85, 4% et que les emplois informels en sont à un pourcentage de 96, 4%.

Aussi, par obligation de réalisme, l’urgence devrait amener les pouvoirs publics à déployer de vigoureuses initiatives en direction des Unités de production informelles (Upi) déjà existantes, notamment du secteur primaire, qui rencontrent des difficultés pour prospérer et garantir un travail décent aux acteurs qui évoluent au niveau des différentes chaînes de valeur.

Ces initiatives ayant pour finalité de remédier aux contraintes qui portent notamment sur la faible productivité, la précarité des conditions de travail ainsi que la concurrence déloyale qui les caractérisent, devraient intégrer :

d’une part, des mécanismes adaptés et intégrés d’octroi d’incitations de nature financière, fiscale et technique favorisant la formalisation ;

d’autre part, une approche d’information, de sensibilisation et de contrôle adéquat de leur suivi vers cette formalisation.

Le lien ténu entre «emploi et travail» implique aussi la nécessaire prise en charge de l’adéquation du profil des futurs demandeurs d’emplois avec les qualifications requises pour occuper les différents postes de travail au sein des entreprises.

Aujourd’hui, plus que jamais, une synergie entre les politiques nationales du travail, d’emploi et de formation professionnelle, à réactualiser, s’impose au regard de la forte dynamique démographique révélée par le Rgphae 2023, estimant la population de jeunes de moins de 19 ans à 50% et qui sera vraisemblablement confirmée dans la durée par celle des moins de 15 ans qui se chiffre à ce jour à 35%.

L’on ne pourra satisfaire les besoins spécifiques de l’Etat et des entreprises en matière de capital humain que si le trépied «emploi-travail-forma­tion professionnelle» est fonctionnel.

Même si la politique de formation professionnelle est dédiée à un département ministériel distinct, il n’en demeure pas moins qu’il est opportun, en collaboration avec les autres ministères et structures :

de se doter d’une base de données exhaustive et régulièrement mise à jour de la demande de formation professionnelle en corrélation avec les besoins futurs de l’économie et couvrant à la fois les besoins de formation initiale ainsi que ceux exprimés par les employeurs au profit de leurs salariés ;

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d’orienter l’utilisation des ressources budgétaires allouées à la formation professionnelle dans les chaînes de valeur des secteurs porteurs ;

de consolider l’option d’implication des partenaires sociaux employeurs et travailleurs dans la définition des curricula de formation professionnelle et technique, ainsi que dans la gouvernance du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3Fpt) et des centres sectoriels de formation professionnelle ;

de réhabiliter l’Office national de formation professionnelle (Onfp) dans ses missions en matière de formation professionnelle qu’il tire de dispositions légales.

Aussi, aux fins de s’assurer de la complémentarité entre tous les programmes budgétaires contribuant à l’atteinte des objectifs attendus à travers la sur-priorité, l’action de coordination gouvernementale sera décisive.

Au-delà de la prééminence qui devrait être désormais de mise sur les questions liées à l’employabilité dans le cadre de la mise en œuvre des politiques d’éducation et de formation, un accent particulier devrait être accordé à la promotion de la culture entrepreneuriale et à l’esprit d’entreprise à implémenter précocement dans les processus d’apprentissages.

L’exploitation des potentialités des territoires devrait être aussi mise à profit dans le cadre de la promotion de l’emploi. A ce titre et en matière de promotion du contenu local, une démarche anticipatoire devrait également conduire les pouvoirs publics à contribuer, de manière spécifique, à la mise à niveau des entreprises locales et au renforcement des qualifications professionnelles des jeunes des zones renfermant des ressources naturelles dès que des opérateurs y mobilisent des investissements en vue d’une exploitation.

Les centrales syndicales de travailleurs devraient adopter cette même posture prospective pour permettre aux salariés de tirer leur épingle du jeu face aux enjeux liés aux transitions écologique, énergétique, nu­mé­rique qui vont sensiblement affecter les entreprises et les relations professionnelles.

Afin de faire bénéficier à ces salariés d’avantages pouvant améliorer leur niveau de vie, les centrales syndicales de travailleurs doivent aussi s’approprier les vertus de l’économie sociale et solidaire en mettant en place notamment des coopératives ou des entreprises sociales dans des domaines tels que l’approvisionnement en denrées de première nécessité, l’amélioration de la couverture maladie ou l’accès au logement.

Ce n’est qu’ainsi que les mandants tripartites joueront pleinement leur partition dans le développement économique et social à travers une compétitivité plus accrue des entreprises et une meilleure promotion du travail décent.

Oumar FALL

Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale oumarfall8@yahoo.fr

1 L’Emploi dans le monde 1995, un rapport du Bureau international du Travail (Bit)

 

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