Quand tous les verrous de l’humainement correct sautent, les limites font un bruit assourdissant. Nous sommes malheureusement englués dans des temps de la futilité inquantifiables.
Mais, dans une société qui n’a renoncé à rien et surtout pas à l’hubris et au ridicule, limite est un mot qui fâche. Et dans une fuite consumériste qui s’apparente de plus en plus à la fuite de soi, le renoncement au faux, au clinquant et à la bêtise humaine font figure de rite perdu. Un mythe dont on a perdu le sens.
En bref, le bruit joyeux des singeries et autres bouffonneries des Pawlish et autres rigolos du genre masque nos conversations de renoncement pour les aplatir au niveau de murmures. Et pendant que la fanfare joue les airs d’abrutissement des publics, l’hypercapitalisme le plus cynique prépare ses prochains produits comme l’air pur aux prix des yeux de nos têtes, la bonbonne…
Renoncer et faire le tri des valeurs dans nos modes de vie
Notre société n’imagine même plus le pire pour l’éviter : le pire est inévitable, il est ontologiquement là. Comme le dit si bien la philosophe Catherine Lallere, « on se réfugie dans la collapsologie, on n’y pense pas. C’est une façon de renoncer à agir, on pense qu’il n’y a plus qu’à se réfugier, sur une base d’impuissance, on ne cherche plus à penser la diversité des possibles… » C’est ça que nous critiquons. Si nous voulons faire sens, il semble clair que l’on ne saurait se priver en tant qu’hommes, de l’aspiration à l’amélioration de notre sort, qu’on ne saurait se priver volontairement d’une dimension imaginaire dans laquelle on présume puiser notre raison de vivre.
Il va falloir renoncer, faire le tri de la vérité et de la valeur dans nos modes de vie. Un nouveau type de tri sélectif, peut-être le plus difficile. Être un « résistant » aujourd’hui impose de renoncer.
La conjoncture qu’elle soit locale ou planétaire ne nous donne pas toujours de quoi nous réjouir ou espérer. Nos nouveaux dirigeants, qui viennent d’accéder aux manettes du pouvoir semblent découvrir l’ampleur de la crise, et du carnage sciemment organisé sur nos biens communs ne parviendont à aucune transformation significative si des solutions courageuses de relèvement de la cité dans son ensemble sur fond de mobilisation sociale ne sont pas entreprises. Une obligation d’agir quand l’inflation, la crise énergétique ou les guerres nous rappellent douloureusement la finitude et la froideur du monde.
Quelles bonnes résolutions adopter?
A l’issue de l’alternative politique qui s’offre à nous, quelles pourraient donc bien être les « bonnes résolutions » d’un projet démocratique engagé dans une nouvelle écologie politique et sociale du régime souverainiste?
Continuer d’informer, de former, de sensibiliser sur les enjeux du changement ? Bien-sûr. S’engager encore pour un débat sain et nuancé au sujet des transformations écologiques ou de la justice sociale ? Évidemment. Participer toujours plus à la bataille culturelle qui se joue autour des changements de paradigmes souhaités et annoncés et des grandes évolutions de société ? Sans aucun doute.
Mais face à l’inertie d’un système économique oligarchique et politique qui refuse obstinément de se transformer, nous pensons que le rôle d’un État est aussi d’ouvrir les imaginaires, de participer à dévoiler des horizons différents, de contribuer à faire émerger des idées, des valeurs, une culture alternative. Comment sortir de ce capitalisme destructeur, injuste, qui détruit le vivant ? Comment penser autre chose ? Nous n’avons évidemment pas de réponse toute faite à ces questions. Mais nous avons la conviction que pour y parvenir, il faut d’abord commencer par dire non. Dire non au système actuel, à ses dérives et ses conséquences néfastes. Dire non aux logiques et aux valeurs qui sous-tendent la casse économique, écologique, foncière et sociale.
Renoncer à ces illusions, ce n’est pas renoncer au confort, aux aspirations au bonheur, à la joie. C’est au contraire le préalable pour imaginer d’autres formes de confort, de bonheur, et de joies, moins matérielles certes, mais bien plus réelles : l’épanouissement, les liens sociaux, l’empathie, la justice.
Dire non, c’est aussi refuser le règne de l’absurde
Refuser quoi ? La liste est longue. Refuser la perte d’autonomie et de souveraineté qui s’opère de plus en plus dans l’espace social, bien souvent au détriment de la majorité des citoyens et au profit des grandes entreprises, des prédateurs de ressources communes, des plus riches, des plus puissants. Refuser de coopérer ou de travailler avec ceux qui ne partagent pas les valeurs de justice sociale et environnementale. Refuser de croire dans les discours lénifiants qui étouffent les craintes et les colères légitimes avec des faux-espoirs.
C’est également refuser et activisme éhonté des médias et de leurs bailleurs qui va trop loin. Probablement pas, vu la gravité de la crise.
Même les scientifiques appellent désormais à résister. Mais résister, pour un média, ça veut dire quoi ? Pour l’heure, cela peut être résister aux injonctions contradictoires du monde de la presse, résister aux sirènes du système qui voudrait bien nous avaler, profiter de chaque tribune, de chaque espace médiatique pour dire les choses, même celles qui fâchent et qui dessoudent les ressorts d’une nation. Et demain, qui sait, peut-être plus… ?
Planter les graines du monde de demain.
Pour que les solutions à nos désarrois quotidiens émergent, il faudra mettre toutes nos forces en marche et permettre la poussée des modes d’actions les plus consensuels pour faire bouger les choses…
Les solutions seront à portée de main quand les sénégalais auront décidé que l’absurdité ne passera pas. En somme des idées neuves, des pratiques assainies et des institutions refondées.
La démocratie le permet. Et c’est tant mieux. Mais ceci ne doit pas se confiner qu’à la classe politique. Cette pensée est tout aussi valable dans la vie de tous les jours, pour tout un chacun qui a décidé de ne pas accepter l’absurdité dans sa vie, dans ses choix, ses engagements. C’est au quotidien que se combat l’absurdité!
En attendant, espérons que nos nouvelles autorités par leur travail, favoriseront l’émergence d’une culture différente, et c’est une opportunité de revenir sur ce rôle fondamental du ministère de la culture dont les missions régaliennes de formatage d’un imaginaire collectif sont plus à même de porter une transition sociopolitique juste et écologique.
En disant non au monde gabegique d’hier, nous pourrons espérer planter les graines du monde de demain.
Khady Gadiaga, 02 mai 2024