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Le Pastef À L’Épreuve Du Pouvoir

Dans une précédente chronique, l’occasion nous a été donnée, d’aborder l’avenir de l’audiovisuel public sénégalais au lendemain de l’alternance du 24 Mars 2024. Cet exercice ancré sur les fondements qui sous-tendent les principes de notre profession et dont la Radiodiffusion Télévision Nationale a servi de laboratoire, plus que les autres médias d’État (APS, le Soleil), a suscité sur certaines plateformes digitales, des débats constructifs qui renseignent à suffisance sur l’acuité et l’actualité du sujet.

Aussi notre conviction de l’opportunité de ce débat a été confortée, lorsqu’ au détour d’une rencontre fortuite avec un confrère le jour même de la parution de nos écrits, nous avons eu connaissance de la publication d’un autre article de haute facture de deux brillants universitaires sénégalais. En effet dans un article intitulé : « Médias publics : ce qu’il ne faudrait plus jamais refaire », Ibrahima Sarr et Ndiaga Loum ont, de leur posture de chercheurs en sciences sociales, renseigné à suffisance, « par la connaissance scientifique à la fois empirique et théorique des médias », ce que par l’observation, notre modeste plume de journaliste a transcrit.

Par la suite, les échanges sur les plateaux de Télévisions ainsi que sur la blogosphère, qui ont suivi la nomination du nouveau Directeur Général de la RTS, ont été les preuves s’il en était encore besoin, que les citoyens et les professionnels des médias n’étaient pas insensibles au sujet.

Ainsi, le changement politique intervenu le 24 Mars 2024, terreau fertile d’une révolution médiatique dans les services publics de l’information, qui couperaient ainsi d’avec « ces pratiques de soumission et d’inféodation des journalistes des médias d’État », nous donne l’occasion dans cette nouvelle réflexion, de prolonger le débat sur la nature de la nouvelle communication gouvernementale, à l’aune du changement de posture des actuels tenants du régime. Notre vœu en s’attardant sur ces sujets, ne vise rien d’autre, qu’à terme le fruit de la réflexion issu de ce champ que nous investissons, à la faveur de nombreuses contributions qui nous l’espérons viendront l’enrichir, serve de référence à la recherche dans le vaste terrain de la communication. Nous sommes convaincus que l’alternance du 24 Mars 2024 au Sénégal, si elle est bien conduite, cette fois ci, après deux ratés de suite, sera le point de départ de nombreuses transformations, qu’il serait intéressant d’observer, d’analyser et pourquoi pas d’étudier, pas seulement dans le champ de la communication, mais dans tous les segments de la vie sociale et de l’activité économique du pays.

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Le Président de la République, au cours du premier conseil des ministres de l’ère Faye Sonko, a ordonné « … le développement d’une Stratégie de communication gouvernementale innovante, basée sur l’anticipation, la précision des messages, mais surtout sur l’appropriation des politiques publiques par les populations… ». Ainsi rapportées dans le communiqué issu de cette réunion du 09 avril 2024, ces directives présidentielles seront donc selon toute vraisemblance le bréviaire de la politique des nouvelles autorités en la matière.

Évoquons déjà le communiqué du conseil des ministres, rendu public après chaque réunion, lu à la Télévision Nationale et désormais largement partagé sur les réseaux sociaux. C’est le premier canal officiel écrit par lequel les autorités parlent aux populations en rendant compte chaque semaine de leurs activités et des grandes décisions prises par le Président de la République. Ces dernières années, nombreux sont ceux qui n’y prêtaient plus grande attention sinon qu’à y scruter les nominations dans les postes de direction de l’administration publique, tellement son contenu était devenu creux, sans parler des nombreuses coquilles intolérables à ce niveau.

Par contre le constat a été fait, le 09 Avril dernier, jamais un communiqué du conseil des ministres n’a été autant attendu et nous pensons ne pas être les seuls à y avoir prêté un tant soit peu d’intérêt. Simple effet de nouveauté ou pas, le document dont la lecture in extenso à la télévision nationale nous faisait changer automatiquement de chaine, a pris soudainement de l’importance à nos yeux. Pour le premier ainsi que pour ceux qui l’ont suivi d’ailleurs, nous n’avons pas été déçus. Les nombreuses annonces qui y ont été faites en primeur l’ont valorisé à nos yeux, reste à voir comment il sera désormais exploité par les médias publics, sachant que sa lecture in extenso à la Télévision Nationale n’est pas la meilleure façon de le rendre digeste pour le grand public. Dans d’autres pays, le document est commenté par le ministre porte-parole du Gouvernement devant les journalistes au cours d’un point de presse peu de temps après sa publication, mais nous laisserons le soin aux nouvelles autorités médiatiques et étatiques d’en décider étant entendu qu’une innovation dans ce sens serait déjà un signal fort d’une volonté de rupture d’avec les vieilles méthodes.

Par le passé, la communication a eu, assez souvent bon dos, pour justifier l’échec des politiques publiques des gouvernants. Combien de fois n’a ton pas entendu de la bouche d’une autorité, la phrase suivante : << on a bien travaillé mais on ne communique bien et assez ». La plupart du temps, ce manque et cette mauvaise communication dont se plaignent souvent les tenants du pouvoir pour justifier leur carence et se donner bonne conscience, s’assimilent plus  à une communication verticale plutôt synonyme de propagande que leurs services n’auraient pas assez et bien fait, qu’à une vraie démarche en l’occurrence, qui viserait non pas à imposer une vision à la population, mais à lui laisser l’opportunité de juger par les faits de la pertinence, de la réussite ou de l’opportunité des décisions prises ou des réalisations faites. Autrement dit, les décisions prises, les actes posés ou les réalisations faites, portent en elles-mêmes, les germes de leur acception et de leur compréhension par les citoyens.

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En réalité une bonne communication n’est pas synonyme forcement de matraquage médiatique à outrance, car d’ailleurs, la plupart du temps, dans ce cas, les effets sont souvent contre productifs. Ne dit-on pas, que trop de communication tue la communication. Dans un passé récent, Pastef dans l’opposition, par une presque parfaite « maitrise des contenus et du processus de diffusion des médias sociaux » a réussi sa communication. Aujourd hui au pouvoir, d’autres canaux de communication, APS, Soleil, RTS dont il peut user et abuser sont à sa disposition. Comment ces organes d’État vont-ils vivre la transition ? Comment l’État va t il s’y prendre pour faire jouer à ces instruments du service public leur rôle, sans saper leur crédibilité et subir en même temps les contrecoups d’une communication impertinente ? Comment la communication digitale de Pastef qui a fait mouche pendant qu’elle était dans l’opposition va-t-elle dorénavant être déclinée ? Tant qu’il s’agissait de convaincre les sénégalais d’adhérer à leur PROJET, la tâche était des plus facile et il pouvait compter sur les nombreux manquements des autorités sortantes, sans compter un ras le bol généralisé des populations, terreau à succès d’une communication pour ne pas dire d’une propagande sans limites. Aujourd’hui de leur station de dirigeants, la mission est autrement plus complexe. Il s’agit désormais de convaincre et de rassurer sans céder à la « tyrannie du temps », plus par les actes que par la parole ou l’image. Les actes de gouvernance qui seront posés, porteront en eux-mêmes les germes d’une communication réussie ; une communication donc par l’action, les supports médiatiques n’étant que les véhicules par lequel les populations sont mises au courant. Évoquons des cas pratiques : la semaine dernière, une occasion que les autorités n’ont pas saisie : les collecteurs mobiles de sang du Centre Nationale de Transfusion Sanguine sont allés en grève pour réclamer 4 mois d’arriérés de salaires. Le montant des arriérés étant évalué à 5 millions de francs CFA.  Une gestion en mode fast tract de cette situation aurait été un signal fort en termes d’efficacité et de célérité dans le traitement des questions sensibles. 5000 frs CFA par jour de travail, c’est ce que réclamaient ces braves travailleurs, pour un cumul de 5 millions de frs CFA. Ce n’est pas la mer à boire. Qui plus est, une réponse positive dans l’immédiat à ce sujet, aurait écarté en plus le risque de mettre en danger la vie de personnes ayant besoin d’être transfusées faute de poche de sang suffisants. Certes toutes les revendications ne pourront pas être satisfaites à chaque fois ipso facto, mais en l’occurrence, un traitement diligent des autorités aurait valu mille discours compte tenu de la sensibilité de la question. Heureusement d’ailleurs que l’accident tragique qui couté la vie à une quinzaine de personnes la semaine dernière, ait eu lieu loin de Dakar.

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Mais comme pour se racheter de cette occasion manquée, deux actes du Chef de l’exécutif ont pour ainsi dire corrigé ce ‘’manquement’’. D’abord le déplacement inopiné du Président Faye à Mbour 4 faisant suite aux mesures conservatoires prises sur le foncier, ensuite sa décision de se passer de la présence des autorités à la coupée de l’avion à son retour des déplacements officiels. Pas besoin de gâcher une demi-journée de travail de ces autorités civiles et militaires juste pour lui rendre les honneurs. Cela ne sera fait désormais qu’à son départ de Dakar, a tranché le Président Faye.

Deux actions unanimement saluées qui valent leur pesant sur l’image que les nouvelles autorités souhaitent renvoyer aux citoyens et qui sont autrement plus efficaces que tout autre discours ou initiatives médiatiques stricto sensu visant le même objectif. Aux autorités de savoir donc que, leur communication est entre leurs mains, rien ne pourra remplacer en l’occurrence les actes qu’ils poseront et surtout pas un usage déraisonné des médias publics. Ce temps est révolu.

Abdoulaye Sakou Faye est journaliste.







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