Il est déplorable et contradictoire que le Premier ministre d’un État dont la réputation internationale est fondée sur sa culture démocratique exceptionnelle, dans un continent instable, déclare soutenir des régimes putschistes.
Les hommes d’État agissent et gouvernent avec une tentative permanente de résoudre les dilemmes inhérents à leurs fonctions. Si gouverner, c’est prévoir, alors s’adapter aux circonstances imprévisibles et savoir discerner l’essentiel de l’accessoire sont sans doute des qualités nécessaires pour assurer le succès des décisions politiques. Ces qualités, ajoutées à la prudence, l’humilité et la modération, doivent également fonder la conduite d’un premier ministre. La prudence pour éviter de précipiter son pays dans des crises inutiles, l’humilité pour reconnaître les limites de sa capacité d’action, et la modération pour créer des conditions de dialogue, préalable à la recherche de consensus indispensable à l’exercice du pouvoir démocratique.
Au Sénégal, la récente prise de parole de ce dernier est malencontreuse et laisse alléguer un gouffre stratégique aux conséquences diplomatiques potentiellement désastreuses. Les déclarations explicites vis-à-vis d’un État étranger et les positions tranchées concernant les futures relations entre le Sénégal et les régimes putschistes traduisent un manque de sens des proportions. La marge de manœuvre des dirigeants réside dans leur capacité à préserver aussi longtemps que possible l’ambiguïté stratégique de la position de leur pays plutôt que de les afficher clairement. L’empressement, la fougue, l’audace et la précipitation conduisent souvent un général à la défaite et un homme politique à l’échec, quelle que soit la volonté de réussite qui motive leur entreprise. Ces attitudes ont conduit Mamadou Dia en prison et privé le Sénégal d’un homme qui aurait pu changer sa destinée. En politique, le silence et la réserve sont des forces lorsqu’elles sont alignées à une stratégie à long terme.
La pierre angulaire de la diplomatie de proximité du Sénégal ne devrait pas se fonder sur un panafricanisme idéalisé mais s’accommoder aux impératifs sécuritaires. Le congrès de Cotonou de 1958 et les événements qui ont présidé à l’éclatement de l’expérience éphémère de la fédération du Mali en 1960 fournissent des éléments probants sur les limites politiques du panafricanisme. Les négociations à l’avènement politique de cette fédération avaient achoppé sur les différences des trajectoires politico-sociales des États, tout comme la divergence des intérêts géopolitiques des États du Proche et Moyen-Orient avait triomphé du panarabisme à la même époque. À la différence des dirigeants arabes, ceux des panafricanistes peinent à comprendre que la géopolitique prime sur la philosophie.
À l’aube de l’exploitation des ressources pétrolières et gazières, le défi prioritaire du gouvernement sénégalais est de préserver le pays de la malédiction de l’exploitation de cette ressource. Pour ce faire, le Sénégal doit surmonter la contradiction suivante : d’une part, éviter d’attirer les foudres des terroristes sur son territoire en soutenant les régimes auxquels ils s’opposent, en l’occurrence le Mali, le Burkina Faso et le Niger, à l’exception notable de la Guinée ; d’autre part, nouer des relations de sécurité secrètes avec ces pays pour éviter leur désintégration totale, ce qui pourrait menacer les frontières du Sénégal et envenimer la situation en Casamance. Toujours est-il que le secret et l’ambiguïté oblige le gouvernement sénégalais. L’histoire regorge d’exemples qui enseignent avec force que la politique étrangère ne peut pas se fonder sur une amitié ou une solidarité idéalisée.
Il y a dans ces imprécations et ces positions audacieuses quelque chose d’amateurisme que l’on pourrait imputer soit à une absence de discernement géopolitique, laissant entrevoir des prémonitions inquiétantes pour l’avenir de la diplomatie sénégalaise, soit à la prépondérance d’un Premier ministre trop puissant et mal entouré en termes de conseillers diplomatiques. La seconde hypothèse semble plus plausible, car la politique étrangère est un domaine réservé au chef de l’État et non au chef du gouvernement. La tentative de ce dernier d’attribuer ses positions à son statut de chef de parti ne compense pas ses incartades.
Je pense que l’histoire nous a démontré, à maintes reprises, que les révolutions ne sont pas porteuses de changement lorsqu’elles sont dictées par la ferveur populaire débordante. Le rôle d’un homme d’État est alors d’orienter cette ferveur vers un horizon d’avenir inspiré du passé et des réalités sociales, au lieu de se laisser submerger par les humeurs volatiles du peuple. De ce fait, il faut accepter d’être mal compris, critiqué et détesté. Les masses ignorent les réalités politiques et les pratiques du pouvoir, où seule l’ambiguïté stratégique sous le sceau du secret assure le salut sécuritaire des États.
De l’incapacité à canaliser les frustrations populaires et à cadrer les espoirs qu’elles génèrent, beaucoup de révolutionnaires ont ajourné le décollage économique de leur pays. C’est ainsi que le nationalisme de Nasser a sacrifié l’Égypte et différé son développement. La nationalisation du canal de Suez, au prix d’une guerre, a plutôt servi à bercer la fierté et l’ego des Égyptiens qu’à améliorer leurs conditions de vie.
Un homme d’État peut exploiter les passions populaires pour accéder au pouvoir, mais il doit s’appuyer sur la raison pour l’exercer. Cela nous amène à ce dilemme machiavélien de l’esprit du renard et de la force du lion. Puisque le Sénégal n’est pas en position de force pour imposer ses visions, il est nécessaire de s’inspirer de l’esprit du renard pour retrouver plus tard la force du lion. Telle fut la posture du premier ministre singapourien, Lee Kuan Yew, qui a permis le développement fulgurant de Singapour et auquel les dirigeants du Sénégal devraient s’inspirer.
Ba Amadou
Amadoub883@gmail.com
Diplômé en Master de Science politique parcours citoyenneté, Inégalités, Territoire et Élections, Chef de projet politique de la ville Villiers-le-Bel