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L’impact D’un DÉbat Universitaire

Tandis que la presse occidentale et française en particulier, nous apprend que le « Premier ministre Sonko critique les droits LGBT » (Figaro, 2024), qu’il a prévenu sur le risque de casus belli entre l’occident et le reste du monde avec sa défense de l’homosexualité (La voix du nord, 2024 ). La presse sénégalaise quant à elle – se faisant l’écho d’une société civile d’obédience religieuse et d’une classe politique qui essaie d’habiller la nouvelle forme d’opposition – a relevé que le Premier ministre Ousmane Sonko (Pmos) l’a non seulement déçue (Conférence Jamra), mais devrait en plus « retirer ses propos sur l’existence d’une tolérance envers le phénomène d’homosexualité au Sénégal » (Lequotidien, 2024).

La nouvelle opposition en gestation, que veut réanimer l’honorable Moustapha Diakhaté, n’hésite pas à accabler l’université Cheikh Anta Diop (Ucad). Elle dit condamner « l’attitude opportuniste du recteur » qui aurait « violé la décision du Conseil académique portant suspension de toutes les activités politiques dans le campus. » Pour M. Diakhaté, le Professeur Mbaye, n’aurait pas dû « autoriser cette rencontre qui n’a aucun caractère officiel et scientifique encore moins y prendre part. »

Nous voulons pondérer cette posture plus politique que scientifique.

Comme le dit une sagesse biblique, « nul n’est prophète en son pays ». Et certainement pas un Ousmane Sonko – « prophète du Pastef » (pour coller à l’imaginaire de ses partisans qui l’appelle Ousmane Mu sella mi) – qui a prédit et œuvré pour la chute de cette élite politique qui le sera chez les thuriféraires d’un régime fraichement renvoyé dans l’opposition politique.

Sinon, le débat que messieurs Mélenchon et Sonko ont tenu à l’Ucad 2, a bel bien un cachet officiel dès lors que c’est l’Ucad qui invite. En plus du fait que les deux hôtes du jour sont deux leaders de mouvements politiques dont l’un est de surcroit le Premier ministre du Sénégal. L’Ucad dont la devise est Lux mea lex, est par sa tradition un espace de débat éclairé pour défendre les libertés et toutes les libertés. Dès lors, il aurait été plus pertinent d’analyser l’impact national comme international de cette rencontre.

Sur le plan national, cette conférence a permis au recteur d’initier une réconciliation (que l’on espère sincère) avec la communauté estudiantine dont les nouveaux venus – qui ont accusé plus de huit (8) mois de retard – à qui il avait l’obligation professionnelle pour ne pas dire pédagogique de redonner le goût du monde universitaire. C’est en conséquence que le Professeur Mbaye a accepté humblement la critique des huées qui n’étaient que l’expression de la colère des étudiants après les mesures « intellecticides » qu’il a appliquées – le recteur n’a jamais fait preuve de prise de responsabilité consciencieuse sur l’avenir des étudiants sénégalais de l’Ucad et telles que les franchises universitaires et les libertés académiques le lui autorisaient – et qui ont terni l’image académique de l’institution.

En outre, où mieux que l’Ucad pour insuffler un tel débat sur l’avenir des relations entre l’occident et l’Afrique, avec des questions aussi cruciales comme celles des droits humains qui nécessitaient une certaine dialectique. La pédagogie dialectique, c’est ce qu’une certaine presse au service d’une nouvelle opposition n’a pas voulu faire ; elle a préféré baigner dans la culture de crétinisation de l’espace public.

Rappelons qu’un débat sur la même thématique avait déjà eu lieu en 2007 à l’Ucad, quand le président Nicolas Sarkozy était venu « présenter sa conception de l’Afrique et de son développement » aux étudiants sénégalais (Elysée, 2007). En lieu et place d’une rupture, Nicolas Sarkozy s’est révélé un Hegel d’un autre âge avec des théories qui auraient fait sourire des Léopold Sédar Senghor et autres Cheikh Anta Diop.

Or cette fois-ci, dans ce débat (d’un Mélenchon) respectueux de l’Afrique, les questions de droits de l’homme dans l’Etat (nation) sur les relations entre l’Europe et l’Afrique ont littéralement dominé. Et paradoxalement, la nouvelle opposition n’a pas remarqué que le Pmos – tant qu’à parler de démocratie et de droits de l’homme – n’a pas hésité à critiquer l’Etat, « le gouvernement français (qui n’a pas) dénoncé » l’entrave des libertés au Sénégal. Pis, relève Sonko, le président Emmanuel Macron avait accueilli et « félicité » son homologue sénégalais « au pire (moment) de la répression ». C’était tout comme, « une incitation à la répression, une incitation à la persécution et à l’exécution de Sénégalais dont le seul crime a été d’adhéré à un projet politique » (Casavance, 2024). Cette critique qui n’a certainement pas plu la nouvelle opposition, l’a empêché d’écouter de manière intelligible la suite du débat.

N’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. L’opposition a alors délibérément choisi de pervertir le propos du Pmos sur le phénomène « Goordjiguène ». En le faisant, les journalistes et polémistes de tout acabit ont cherché à rabaisser le débat sur la place de l’homosexualité dans les rapports occident/Afrique ici posée dans l’espace universitaire, cadre scientifique par excellence et dont l’impact international est assuré.

Qui dit université dit universalité, là où comme le dit le Pmos, il faut et il est possible de « reconnaître, connaître, comprendre et accepter les spécificités » dans leur totalité. La question des mœurs par exemple, prévient-il à juste titre, risque d’être le prochain « casus belli » entre l’Occident et le reste du monde. Alors qu’elle ne peut pas se poser dans le contexte africain de manière verticale, elle « revient régulièrement dans les programmes de la majorité des institutions internationales et dans les rapports bilatéraux », souvent « comme une conditionnalité pour différents partenariats financiers »(Casavance, 2024). Toujours cette propension de l’Occident à se positionner comme forme de mission civilisatrice.

Ousmane Sonko ne tient pas un discours que ne peut entendre le monde universitaire, quand il fustige la prétention scientifique de l’Occident qui croit savoir que les « sociétés (africaines) ne connaissaient pas ces questions ». Ce qu’il réfute donc en insistant sur le fait que chaque société « a établi et perpétue librement ses mécanismes d’absorption des effets sociaux qu’il faut respecter dans la limite de l’humainement raisonnable » (Casavance, 2024).

La théorie que défend le Pmos est ce qu’on appelle dans le monde de la recherche scientifique, les épistémologies du sud ou décoloniales. Ainsi demande-t-il une certaine « prudence » par rapport à cette problématique, demande de tempérer une certaine hégémonie de leurs systèmes de savoirs occidentaux. Car au Sénégal par exemple, le phénomène « Goordjiguene » n’est pas que « toléré », c’est une matérialité que les communautés historiques sénégalaises « gèrent et continuent de gérer à leur façon et selon leurs réalités socioculturelles ».

En Afrique, le respect de la vie privée est une question très hautement morale et non légale. Ainsi dans l’Etat-nation où la présence d’Etat n’est pas encore totalement effective en termes de lois qui reconnaissent les droits et devoirs de chaque individu ; on n’en est pas encore arrivé à ce stade où le « borom niari tour » doit revendiquer un statut d’individu titulaire de droits et libertés du seul fait de son orientation sexuelle. Après tout, c’est l’Etat-nation d’héritage qui a appris les Africains à criminaliser l’homosexualité. Tous les journalistes et polémistes pro-loi sur l’homosexualité ne font en réalité que perpétuer honteusement un vieil héritage de l’Etat colonial. Alors même que le « Goordjiguène » existait comme individu dans nos communautés et conformément aux cadres de régulations sociales africaines qui doivent désormais rester comme la référence pour les Africains.

D’ailleurs, c’est comme en Europe où un « borom niari diabar », aurait des problèmes par ce qu’il « s’attaquerait au mode de vie » des Français s’il voulait faire reconnaître ses deux femmes comme individus avec des droits et des devoirs dans la loi française…Et pourtant au Sénégal, le code civil reconnait les coépouses comme personnalités juridiques !

Le monde est mutant et sera métissé ; ce n’est pas aux enfants du président Léopold Sédar Senghor qu’on va apprendre cela ; un jour viendra peut-être quand les Français reconnaitront la polygamie.

Le débat est complexe certes, mais pour autant, les Africains sont en mesure de le régler. Elle nécessite une certaine pédagogie politique, et à charge pour l’université sénégalaise de produire les connaissances qui vont avec cette pédagogie. D’ailleurs, parce que ce débat s’est posé à l’Université Cheikh Anta Diop, toutes les universités du monde ont le regard tourné vers l’université sénégalaise. Car c’est un défi qui est lancé au monde entier, une mission que le Pmos donne aux intellectuels sénégalais en qui il fait plus confiance pour produire les connaissances sur le sujet.

Gageons que les programmes de recherches tendant à promouvoir une perspective africaine des questions de démocratie et des droits de l’homme feront légion bientôt à l’Ucad et ne ferons que redorer l’image de l’université sénégalaise.

Pape Chérif Bertrand Bassène est maître de Conférences, Université Cheikh Anta Diop de Dakar.







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