J’ai écouté Mélenchon et Sonko à l’UCAD et j’ai aimé les piques contre Macron. Le président français, théoricien opportuniste de «l’amour entre la France et l’Afrique», en a pris pour son grade pour son silence complice et sa collusion avec un président qui s’est procuré frauduleusement des armes qu’il a dirigées contre sa population. Sonko devait également, à mon avis, tancer vertement l’ambassadeur de France au Sénégal, très aphone lors des événements sanglants à Dakar et dans les autres villes du pays.
En général, un ambassadeur de France dans un pays francophone d’Afrique, ça parle fort ! Se croyant en terrain conquis, il est d’habitude très volubile sur les événements locaux. Je me suis un peu marré toutefois, je l’avoue, quand le désaccord s’est fait sentir sur la question des LGBT. Il y a eu là, me suis-je dit, un véritable malentendu culturel. Mélenchon, héritier de la Révolution française, d’où sont issues les valeurs de gauche et de droite, était conséquent avec lui-même en tant qu’homme dit de gauche. Il perpétuait l’héritage d’une des grandes idéologies politiques de la France.
Quand on est un homme de gauche en France, on défend un certain nombre de valeurs (justice sociale, solidarité sociale, progrès social, etc.) Un homme de gauche, un vrai, va même jusqu’à défendre le libéralisme sexuel. Dans les années 1970, des intellectuels de gauche parmi les plus réputés (Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Louis Aragon, Jack Lang, etc.) avaient signé un texte pour exiger la relaxe pure et simple de trois pédophiles poursuivis pour des rapports sexuels avec des filles et garçons mineurs. Derrière leur soutien, il y avait l’idée de libérer l’enfant du carcan familial. Voilà des personnes qui vont jusqu’au bout de leur logique!
La liberté sacrée de l’homme exige, selon ces hommes de gauche, que les humains se libèrent de tous les «assujettissements» : Dieu, la société, la famille, le mariage et même le corps ! Eh oui, il faut une libération des corps selon eux. Qui nous dit que ce que l’on voit dans un corps d’homme est un homme? Que ce que l’on voit dans un corps de femme est une femme ? L’être humain voudrait peut-être se considérer comme «non-binaire». C’est le terme consacré. Son «apparence de genre» doit être distinguée de son «identité de genre», nous dit-on aujourd’hui en Occident.
Un homme de droite défendrait de son côté les traditions (ceci va jusqu’à la défense d’une «identité nationale»), l’ordre, la limitation du rôle de l’État, les libertés individuelles, etc. Un politicien africain, élevé et grandi dans un contexte africain, se perd dans cette classification. Il se verrait au centre. Le «centre» est aussi une idéologie politique en Occident. Ousmane Sonko, dans un contexte français, serait plutôt un politicien du centre. Il partage certaines valeurs de la gauche : justice sociale, répartition des riches (li ñépp bokk, ñépp jot ci), besoin de réformes (on initie de grandes réformes en ce moment au Sénégal), solidarité avec les démunis, les parias, etc. Il a aussi des valeurs en commun avec la droite (sauvegarde de certaines traditions, notamment de la différenciation sexuelle).
Au libéralisme des mœurs que brandirait un homme de gauche en France, un politicien sénégalais ou malien opposerait la pudeur et la différenciation sexuelle (un homme est un homme, une femme est une femme : «góor ña ca góor ña, jigéen ña ca jigéen ña»). Si j’étais à l’UCAD ce jour-là, je me ferais médiateur. Après avoir écouté les deux conférenciers, j’aurais fait une synthèse sur les marqueurs culturels et la corporéité dans les deux espaces (France et Sénégal).
Les deux politiciens, Mélenchon et Sonko, qui avaient tous les deux raison du fait de leur histoire singulière, comprendraient beaucoup mieux leurs divergences. Cette rencontre était essentielle pour clarifier un certain nombre de points et saluer le courage d’un homme politique français de gauche. La voix bruyante de Mélenchon, au milieu d’un paysage politique français aphone sur les événements au Sénégal, est à saluer à sa juste mesure. Jërëjëf Melaŋson !
Que les politiciens français de gauche et les politiciens africains célèbrent leurs convergences de vues sur certains points. La culture les divisera toujours cependant sur d’autres points. Cheikh Anta Diop, dérouté par certains politiciens français de gauche, n’avait pas hésité à critiquer leur attitude : «Dès que vous parlez de patrimoine culturel, disait-il, la gauche et la droite occidentale se touchent et souvent la gauche est plus minable que la droite.» Pour finir, les politiciens africains, pour ne pas tomber dans une sorte de névrose, devraient, je le pense, créer des concepts et des idéologies politiques tirées de leur vécu propre. Le combat décolonial est aussi un combat conceptuel.
Xaadim NJAAY
Philosophe-Historien