Le Président de la République Bassirou Diomaye Diakhar Faye, engagé dans une rupture systémique par rapport à un vieux système politique, démocratique et social en fin de cycle, doit absolument être vigilant et éviter de se laisser entraîner dans des débats sans objet et sans intérêt qui risquent d’enliser ses magnifiques projets de refondation de la République et de la Société.
Ceux qui agitent la menace d’une République des juges agitent un vieil épouvantail ressassé pratiquement par tous les présidents sénégalais et bien avant eux certains présidents français. C’est un vieux fantasme, car la République des juges n’existe nulle part dans le monde.
Les forces de résistance au changement et les forces d’inertie seraient bien en peine de vous citer un exemple de pays où il existe une République des juges. Les forces d’inertie, il faut toujours compter avec, dans la révolution citoyenne et voir comment les contourner pour éviter qu’elles ne vous plongent dans la routine. Le pays africain qui dispose d’une des meilleures institutions judiciaires au monde, c’est assurément le pays de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud. Il n’y a pas de République des juges en Afrique du Sud. Depuis 1981, la France a fait d’énormes efforts avec l’arrivée de Mitterrand pour émanciper l’Autorité judiciaire en France. Il n’y a pas de République des juges en France. Quid des États-Unis, du Brésil ou de l’Italie.
Les Assises de la justice au Sénégal sont une initiative fabuleuse, j’y assiste avec enthousiasme et suis ravi de constater son caractère inclusif avec la diversité des acteurs, je salue son management par une équipe compétente et ouverte, les débats sont d’une infinie richesse du fait de la motivation des participants. Pour moi, c’est déjà un grand succès. Reste ses enjeux politiques énormes et les attentes des citoyens concernant la rupture, sa dimension et son ampleur pour une rupture systémique. Notamment le pari de l’indépendance structurelle du pouvoir judiciaire, qui doit bien être perçu par les citoyens, car la perception est fondamentale d’un changement systémique doit être sans équivoque.
Beaucoup de juges, vous le savez et probablement certains professeurs d’université pourraient être réticents à voir le Président de la République quitter la Présidence du Conseil Supérieur de la magistrature. Il ne faut pas céder à leur pression, il faut bien comprendre que nous avons affaire à des acteurs pour la plupart conservateurs et d’une excessive prudence. C’est l’audace qui mènera à la rupture systémique. La justice ce n’est pas seulement les magistrats et les juristes, c’est toute la société qui est intéressée. Libérer le procureur en lui restituant sa liberté d’appréciation, en coupant le lien qui l’assujettit à l’exécutif.
Après ce qui s’est passé avec les élections et l’action de juges courageux, indépendants et compétents, il faut sortir des Assises en posant les jalons d’un Sénégal de référence en matière judiciaire.
Enfin, décoloniser la justice, changer sa représentation de soi, sa langue, décoloniser les politiques pénales peu respectueuses de la dignité humaine des Africains. Ça coûte cher dans tous les sens. Mais, le début est bon et prometteur.