En France, le premier tour des Législatives a confirmé le bon score du parti Rassemblement national aux Européennes. Après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, il était presque évident que le Rn allait amplifier ses résultats pour poursuivre sa marche vers le pouvoir. Ce 30 juin, ce sont douze millions d’électeurs français qui ont voté pour un parti qui sera la première force politique au Palais Bourbon s’il n’obtient pas la majorité absolue pour gouverner pour la première fois le pays. En face, malgré la sidération, les adversaires du Rn ont dès l’annonce de la dissolution, tenté de s’organiser pour faire barrage. Le système Macron, qui a turbulé en 2017 la vie politique française, acte sa fin dans des conditions troubles et inédites. Emmanuel Macron a été un météore fulgurant de la vie politique française. Enarque (Promotion Senghor), banquier d’affaires, Secrétaire général de l’Élysée et éphémère ministre de l’Economie, l’homme est un cas atypique en sciences politiques. N’ayant jamais été élu auparavant, il a réussi à faire une Opa sur la 7ème puissance mondiale en trahissant celui qui lui a mis le pied à l’étrier, François Hollande, pour lui succéder. Il se disait «ni de gauche ni de droite». Ses référentiels orientaient les observateurs vers un profil libéral, probusiness, partisan d’une startup nation. Il devait ringardiser la vieille classe politique française habituée au clivage gauche-droite. Il sera celui qui aura fait rentrer 89 députés d’extrême-droite à l’Assemblée nationale française et fait voter une loi sur l’immigration saluée par…l’extrême-droite.
En se penchant sur les scores du Rn de ces quinze dernières années, on voit sa progression vertigineuse. En 2007, ce parti, qui avait encore à sa tête Jean Marie Le Pen, n’avait réussi à faire élire qu’un seul député. En 2012, le parti arrive à faire élire deux députés. En 2017, ils sont huit. Les Législatives de 2022, après 5 ans de pouvoir de Emmanuel Macron, 89 élus font leur entrée à l’Assemblée nationale. Le niveau actuel du Rn n’étonne que très peu les observateurs familiers de la scène politique française. Le parti a été normalisé, ses thèmes relatifs à l’immigration, à la sécurité et à l’islam, sont au cœur du débat public français. Un gramscien rigoureux dirait que le Rn a remporté la bataille culturelle, car désormais c’est sur ses thèmes que la classe politique et les intellectuels débattent dans les médias. Il y a une normalisation de la parole raciste et xénophobe en France, orientant très souvent, à travers des médias complices, la parole outrancière vers les populations arabes et noires. Il ne faut pas se tromper d’analyse ni vouloir se ranger dans un verbe politiquement correct pour atténuer le motif raciste dans le vote Rn. Dans un article intéressant de la revue Grand Continent, les ressorts de l’adhésion au Rn sont analysés. Outre le sentiment du déclassement, le motif identitaire reste fondamental dans le vote Rn. Dans l’étude, 84% des électeurs Rn placent directement l’immigration (légale et illégale) comme étant la principale cause de l’insécurité en France. A la question de savoir s’ils sont racistes, 54% des électeurs du Rn répondent par «plutôt» ou «un peu». Un peu plus de la moitié (51%) de l’électorat Rn dit des Français de confession musulmane qu’ils ne sont pas des «citoyens français comme les autres». Le Rn est un parti dangereux pour ses thèses normalisant l’inégalité des citoyens devant la loi et devant les opportunités. Les déclarations de ses leaders sur les Français binationaux -qui nous touchent directement au regard de notre importante diaspora dans ce payssont symptomatiques d’une politique que l’extrême-droite mène quand elle est en responsabilité. La hausse significative des actes racistes durant la campagne des Législatives, dit beaucoup du climat en France. Envisager l’impact d’une victoire du Rn sur la libération de la parole et des actes racistes fait froid dans le dos.
Comme tous les partis populistes, le Rn n’a pas un programme économique sérieux et crédible. Il surfe sur les peurs, accentue les fractures sociales, flatte les postures outrancières et polarise le rejet de l’institutionnalisation du pouvoir par les élites. Le Rn pointe l’autre comme responsable des malheurs des ouvriers, des retraités et de tous les précaires auxquels la gauche ne s’adresse plus. Le parti d’extrême droite a attiré 57% du vote ouvrier tandis que la coalition de gauche n’a glané que 21% des suffrages du même segment.
Partout les populistes montent, arrivent au pouvoir et déchirent le tissu social par la peur, la violence verbale et physique et la banalisation du racisme et de la xénophobie. Leur Adn est le rejet, au lieu de «faire mélange» comme le dit la belle expression de Jean-Pierre Chevènement. Ce fut le cas récemment dans d’autres pays dont le nôtre. Le Rn va certainement un jour arriver au pouvoir. Mais il faut seulement noter qu’en France, face à cette éventualité, il y a encore une presse, des universitaires et une élite intellectuelle qui font barrage. Là-bas, face à l’hydre du fascisme, ils ont fait face, déployant énergie, engagement et talent. Face à la peste brune, des esprits armés de la promesse républicaine, ont fait flotter le drapeau des nôtres, nous, partisans partout de la liberté et de l’égalité. Ce ne fut pas le cas pour le Sénégal, où un aréopage de journalistes et d’intellectuels a choisi le déshonneur de la collaboration pour faire advenir le pire.