L’autre dimanche, le Premier ministre a usé ses semelles dans des zones de Dakar remplies d’histoire. Colobane est un de ses premiers quartiers qui vit naître par exemple le grand réalisateur Mambetty en 1945. Le secteur n’en avait pas moins aussi une réputation sulfureuse. Quant à ce qui est d’Anse Bernard si proche du paradis à l’époque selon les anciens, tellement l’endroit était magnifique, c’était le décor d’enfance des habitants du Cap-Vert qui avaient aussi le choix d’aller se baigner à la plage de Terrou bi dont l’hôtel a pris le nom, à Terrou Baye Sogui, la plage des enfants au lagon, le plongeoir à la Cour de cassation, Kakalam à Mermoz entre autres. En ces temps-là, les bijoux de famille n’étaient pas encore bradés. Aujourd’hui, nombre de lieux de baignade sont hors service et hors de toute portée pour avoir été tous spoliés, privatisés les uns après les autres par une oligarchie foncière. C’est avec l’avènement des libéraux que le processus s’est accéléré. Mais les socialistes aussi n’étaient pas tous des anges qui refusaient d’avoir le pied marin. Après 3 mois de service et peut-être de servitude, aucun reproche ne peut être fait à un gouvernement qui prend des bains de foule sur site quand tout ne baigne pas dans l’huile. Il faut seulement qu’il s’évite l’écume des vagues et les coups d’épée dans l’eau. Il y a lieu de trouver un meilleur ton et de ne pas donner l’impression de manquer de concentration à chaque déplacement du chef du gouvernement.
Le style fait l’homme mais on fait du terrain d’abord pour renvoyer l’image d’une équipe en action qui a avant tout les pieds sur terre. Sans arrogance ni connivence. On peut tout s’autoriser sauf à montrer du doigt des maires qui ne sont pas les seuls responsables de l’amertume tout en évitant soigneusement à l’occasion de ses déambulations de blesser des compatriotes qui encombrent la rue. On refuse d’être terre à terre parce qu’on met sur la table des idées et des paradigmes qui touchent le plus grand nombre sur la base d’arbitrages et d’un vrai travail de coordination. C’est plutôt en leur tenant le langage de vérité qu’on respecte et aide les marchands ambulants. Ils ne sont pas des dangers ambulants. Loin s’en faut. Tout de même, leur ambition doit s’exprimer dans le cadre des règles communes. Avoir de l’empathie pour eux, c’est réfléchir urgemment à leur reconversion. Ils sont les visages les plus frappants de la détresse sociale. Quand on a la chance inouïe de tenir le gouvernail, il en faut plus que du courage. On attend de vous une forme de témérité, ce grain de folie capable de déplacer les montagnes. On gouverne en vendant du rêve surtout dans un contexte de cauchemar. On dirige aussi en ayant le sens du collectif. Mais ce qui manque le plus en apparence dans les premiers pas des nouveaux dirigeants n’a d’autre nom que l’intelligence collective.
Aménagement du territoire ou déménagement des terroirs
«Ne compter que sur soi, c’est risquer de se tromper», dit le philosophe. Comment comprendre que des édiles, premiers magistrats de leur collectivité respective puissent être snobés quand on veut faire de la rupture ? Attention à la rupture des ligaments. Au milieu des tabliers ou à la table de son bureau, sans exclure personne, on fait comprendre à tous que la désorganisation et le manque de discipline coûtent cher. L’espace public ne peut pas continuer à être malmené de cette façon au Sénégal. Pour le cas de Colobane, il est bon de savoir qu’une bonne partie du marché appartient à la croix rouge sénégalaise. Les commerçants ont à plusieurs reprises tenté d’acheter le terrain qui se trouve à l’actuel emplacement de ce qu’on appelle «market». Mais le propriétaire n’est pas disposé à vendre. Il y a donc de la précarité à tous les niveaux et l’urgence d’une mise à niveau pour entrer dans les standards. Faisons donc quelque chose de la vie de ces jeunes qui ne peuvent plus demeurer une jeunesse de petits commerçants et de transporteurs à bord de vélos-taxis qui créent un déluge de laideur et d’insécurité dans nos artères. Cette façon de déplacer les problèmes en ne traitant que les symptômes est une trahison pour les plus jeunes. Tout se joue dans la tête. Ce sont les cerveaux, les bac+ qui changeront un pays qui était si bien parti mais qui a fini par dérailler socialement. Au moment des épreuves du bac justement, les milliers de vendeurs à la sauvette de Dakar sont la face visible d’un terrible phénomène de déperdition scolaire. Quel échec et quel naufrage collectif ! Comment un tel dérèglement interne a-t-il été possible ? Les marchés ne sont pas la place de la jeune génération.
Dans un pays normal, elle n’est mieux nulle part ailleurs que dans les conservatoires, labos, ateliers et usines. Mais des aînés irresponsables n’ont apparemment pas préparé le terrain. Ils l’ont plutôt miné. L’État-stratège n’a pas non plus été au rendez-vous. Ses infrastructures, ses emplois, ses opportunités sont quasiment tous hébergés à Dakar. Pendant ce temps, le reste du pays est un désert économique exsangue. La sécheresse des années 70 avait déclenché le processus d’exode rural. Aucune métropole d’équilibre n’a été imaginée pour créer les conditions de l’exode urbain et de l’urbanité exquise. L’aménagement du territoire dont on parle sans trop y croire est en réalité un déménagement des terroirs vers Dakar qui souffre de macrocéphalie avancée. Sa tête a presque déjà explosé.