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Contribution Au DÉbat Sur Le Panafricanisme Comme IdÉologie-doctrine Pour La Renaissance Africaine

Cette réaction à l’article intéressant de Félix Atchadé, publié le 8 juillet dans les colonnes du quotidien YoorYoor est une contribution citoyenne au débat sur le panafricanisme ; il a été écrit par simple souci didactique à l’endroit de ces valeureuses cohortes de jeunes Africains et Sénégalais patriotes ayant contribué pour beaucoup au changement politique en cours dans notre pays. À l’endroit de cette jeunesse parfois en mal de repères historiques, culturels ou théoriques, notre rôle en tant qu’ainé(e)s est de les aider autant que nous pourrons, à combler les manques et vides constatés sur ce plan, afin de mieux les armer à remplir  leur noble, élevée, difficile mission de parachever ou tout au moins de faire progresser  de manière significative le combat pour la libération, l’unification, la souveraineté de l’Afrique et des Africains – « ceux/celles  à la maison et ceux/celles à l’étranger », pour reprendre une formule chère à Marcus Garvey, pour l’avènement d’une ère durable de dignité recouvrée, de prospérité, d’équité, de justice, de paix pour tous/toutes, ce en restant ancrés à nous-mêmes et dans le respect de notre environnement.

Ce souci didactique me semble, du reste, partagé par Félix Atchadé, dont le moindre des mérites n’a pas été, entre autres : 1. de rappeler les conditions difficiles ainsi que le contenu, la signification, la portée du changement intervenu au Sénégal et en Afrique avec l’élection à la magistrature suprême du président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, en tant qu’expression d’une « véritable révolution citoyenne, marquant une rupture décisive avec le passé et ouvrant la voie à un avenir plus juste » ;

2. de clarifier le rôle joué dans ce processus de changement par le Panafricanisme comme doctrine ayant permis de cibler les principaux objectifs, de définir et d’acter les modalités du changement en question ;

3. Tout en s’orientant sur « les valeurs de solidarité, d’unité et d’auto-détermination africaines » porteuses de « la vision d’une Afrique unie et prospère, libérée des contraintes néocoloniales ». 

À mon avis, on pourrait également retenir :

4. l’alternance générationnelle opérée au niveau du leadership (et qui n’est pas réductible à une question d’âge stricto sensu) ; en sus

5. du souffle de fraîcheur dans le renouvellement de la culture organisationnelle ; et 6. de la maturité politique dont a fait montre notre peuple, son adhésion à des degrés divers, selon diverses modalités, à un projet politique qu’il comprend, qui lui ressemble ; avec 7. l’espoir que ce qui se passe chez nous a suscité et continue de susciter en Afrique et au-delà.

Cela dit, je souhaiterais revenir sur quelques inexactitudes voire des erreurs décelables dans le texte de Dr Atchadé, ainsi que sur un certain nombre d’assertions me paraissant discutables pour une raison ou une autre. Je commencerai par discuter  la pertinence de l’assertion de  Félix Atchadé concernant ce qu’il appelle « Le panafricanisme de Gauche » proposé comme  « théorie révolutionnaire » pour le processus de changement intervenu récemment au Sénégal, notamment pour la vision politique sous-jacente à ce processus et  au projet de société que Pastef, ses principaux leaders dont le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye, le Premier ministre Ousmane Sonko entendent construire, avec le soutien des autres forces et protagonistes du changement en question.

Premièrement – je l’ai dit sur d’autres plateformes – non seulement je ne me retrouve pas dans ces dénominations de « Gauche », « Droite », « Centre » etc. venues d’ailleurs, et qui ne me semblent pas être d’une grande pertinence dans notre contexte socio-culturel sénégalais-africain, même si des leaders respectables des combats de notre peuple pour la liberté, la justice, le progrès social s’en sont réclamés. Je ne me souviens pas non plus – mon information ou ma mémoire pouvant être déficientes – d’avoir jamais entendu les dirigeants ou militants de Pastef se définir comme « panafricanistes de Gauche ». 

Par contre, je me souviens avec amusement de la gêne manifestée une fois par un de mes amis tribun hors pair, communicateur avéré et qui est aussi l’un des adeptes et théoriciens avisés du « panafricanisme de Gauche », lorsqu’il a voulu s’essayer, lors d’une de ses interventions publiques, à la traduction en Walaf de ce concept à son auditoire ; finissant d’ailleurs par y renoncer, en réalisant le caractère ardu et surtout, les risques d’incongruité de son exercice de traduction, en rapport avec la gêne que sa traduction aurait pu causer au sein de son auditoire, pour des raisons propres au contexte socio-culturel sénégalais-africain de sa prise de parole publique…

Deuxièmement, à l’exception des protagonistes et leaders de la Révolution Tooroodo [graphie correcte] dans le Fouta sénégalais tel Abdel Kader Kane, les références citées par l’auteur comme repères historiques dans l’élaboration des théories du changement sont, pour l’essentiel, des auteurs occidentaux : Karl Marx, Anna Arendt, John Locke, Rousseau, Montesquieu dont certains contemporains du Siècle dit des Lumières, et dont la pensée est empreinte de nationalisme et/ou de racisme. Pour illustrer le contenu révolutionnaire, la portée opératoire de la pensée des auteurs occidentaux susmentionnés, Dr Atchadé cite des expériences de révolutions qui s’en sont inspirées, à l’instar de « la Révolution américaine, la Révolution française et la Révolution russe ».

Troisièmement, ce que l’auteur appelle le « panafricanisme identitaire et culturel »  qui se concentre sur « la Renaissance culturelle » est présenté dans le même article comme une forme de panafricanisme moins pertinente, moins significative, plus limitée dans ses buts et ses exigences, et par conséquent, dotée d’une moindre capacité opérationnelle de transformation sociale et politique, pour ce qui concerne la prise en compte des besoins, des intérêts, des aspirations de l’Afrique et des Africains.

La tendance à accorder sans le recul critique nécessaire, certain crédit voire à privilégier des références et sources venues d’ailleurs notamment des sources occidentales empreintes à un degré ou un autre d’eurocentrisme, peut nous exposer au risque de tomber dans certains pièges voire nous mener à des errements au plan épistémologique et théorique auxquels l’auteur de l’article n’échappe pas toujours dans son propos et dans le traitement de faits cités ou évoqués à l’appui de ses thèses ou analyses. Pour ce qui concerne, par exemple, les références aux Révolutions française et américaine, je me bornerai à rappeler en substance, ce que j’en ai dit dans certains de mes travaux et publications, y compris lors d’un récent forum de dialogue avec la jeunesse organisé par l’Institut Mandela pour les Études de Développement (Mandela Institute for Development Studies/MINDS) de Johannesburg ; forum au cours duquel j’ai eu le privilège d’intervenir comme orateur principal (keynote speaker), et où fut largement débattue la récente alternance ou alternative politique survenue dans notre pays.

Qu’il s’agisse de l’expérience française de 1789, du modèle américain établi après la guerre d’Indépendance ou de la démocratie athénienne, il est indéniable que ce qui s’y est passé a été le résultat de luttes politiques et sociales dotées d’un contenu révolutionnaire et d’une portée historique incontestable. Néanmoins, chacune de ces expériences historiques présentées comme modèles de « démocratie à l’Occidentale » comporte des limites que nous gagnerions à mieux cerner en tant que panafricanistes.  Par exemple, pour ce qui est du principe de « l’égalité entre tous », il faut rappeler qu’en réalité, dans le contexte de la France ou de l’Amérique en question, il s’agit essentiellement sinon exclusivement d’une égalité civile, et non point économique, sociale ou raciale. Autre fait marquant : ceux dont la devise était Liberté-Égalité-Fraternité sont les mêmes qui avaient tenté de rétablir l’esclavage dans la Caraïbe y compris dans la République Noire Indépendante d’Haïti, dont l’existence fut solennellement proclamée a Gonaïves le 1er janvier 1804, suite à la brillante victoire de l’armée de libération nationale dirigée par le général Jean-Jacques Dessalines, avec le soutien de toutes les forces militaires patriotiques mobilisées lors de la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, et qui a abouti à la capitulation du général français Rochambeau.  

Toutefois, les premiers moments de l’existence de la jeune nation haïtienne sont loin d’avoir été un long fleuve au cours tranquille, pour avoir eu, notamment, à faire les frais de la Loi du plus fort, en l’occurrence celle d’une France esclavagiste impénitente, pourtant considérée par beaucoup – ce jusqu’à présent – comme “Patrie des Droits humains”. Pour ainsi dire, après l’indépendance d’Haïti, les colons français ont exigé des Réparations en invoquant le « préjudice » que leur faisait subir “la liberté nouvelle conquise par les esclaves”. En 1825, Charles X a donc envoyé une flotte de guerre de 14 navires. Pour éviter que son peuple ne retombât en esclavage, le président Boyer a dû alors se résoudre à « accepter » de payer un « tribut » de 150 millions de Francs-or imposé par la France : montant ramené ensuite à 90 millions (ce qui équivaudrait à environ 30 milliards € aujourd’hui) ; le peuple haïtien ayant dû s’endetter jusqu’en 1946 pour payer cette somme.

Au même forum, j’avais aussi réitéré mes réserves concernant une autre expérience de « démocratie à l’Occidentale » : le modèle athénien au sein duquel la majorité de la population était exclue de jure comme de facto du jeu démocratique, à en juger par les proportions démographiques dans cet ancien État-cite grec, et qui étaient de l’ordre d’un citoyen pour deux esclaves, ainsi que souligné par Cheikh Anta Diop  qui rappelle que dès le VIème siècle av. J.C., Athènes s’était orienté « vers l’achat massif d’une main d’œuvre esclave, essentiellement importée  de l’actuelle Russie (voir Civilisation ou Barbarie, Présence, 1981, pp. 139-267 ).

Quant à la Révolution américaine, Elizabeth Maddock Dillon & Michael Drexler, coéditeurs de The Haitian Revolution and the Early United States: Histories, Textualities, Geographies, publié en 2016, notent l’existence d’un « lien intime entre les histoires d’Haïti et des premiers USA » aux plans politique, économique et de la géographie ; ce en dépit de l’effet d’épouvantail (les auteurs n’hésitent pas à parler de « spectre terrifiant ») que le succès de la Révolution haïtienne exerçait  notamment sur « les forces esclavagistes là-bas [et au-delà] . 

Généralement célébrée comme la première révolution anti-esclavagiste, anticoloniale réussie dans l’hémisphère occidental, Haïti fut aussi la deuxième république indépendante, après les États-Unis, dans les Amériques ; mais contrairement à Haïti, les USA resteraient une république esclavagiste jusqu’en 1865. Et pourtant, la Révolution haïtienne était une source d’inspiration pour les Africains-Américains insurgés contre leur condition inacceptable, voire même pour certains abolitionnistes américains. Au niveau gouvernemental et étatique, on note toutefois : plusieurs actes d’hostilité diplomatique et politique à l’endroit de l’État haïtien, et de pillage de ses ressources économiques : le tout couronné par l’invasion de Haïti par les marines américains en 1915 ; par la mainmise sur toutes les réserves nationales d’or. Sans compter la promulgation d’une nouvelle Constitution écrite par F D Roosevelt ; le bradage des terres aux capitalistes américains ; une occupation coloniale marquée du sceau d’un terrorisme militaire sans partage ; par une volonté d’écraser toute velléité de résistance patriotique ; en plus du soutien au fascisme duvaliériste (années 1950/80) ; de l’héritage par les USA de la “Dette de Réparation” initialement imposée par la France ; de la perpétuation d’une tradition marquée par un interventionnisme insolent rythmé par des massacres, des coups d’État, des enlèvements politiques y compris jusqu’aux plus hautes sphères de l’État (enlèvements et exils du Président légitime Jean-Bertrand Aristide en 1990 et 2004) ; ainsi que par des élections truquées et l’imposition de leaders fantoches tels que Michel Martelly (2011), voire Jovenel Moïse (2015), lequel finira d’ailleurs par être assassiné…

Contrairement aux deux « Révolutions à l’Occidentale » citées par Dr Atchadé, la Révolution haïtienne a été une véritable muntucratie dans l’Hémisphère occidental ; le concept de Muntucratie véhiculant, à notre avis, un contenu plus révolutionnaire que celui de Démocratie, bien que la place nous manque ici pour étayer cette assertion sur laquelle nous comptons revenir prochainement.  

Après ces quelques précisions et réserves, il est peut-être temps de présenter quelques points pour illustrer notre propre compréhension du concept de Panafricanisme que nous définirons, en accord avec la pensée, l’héritage politiques de Kwame Nkrumah et d’autres panafricanistes, comme « l’expression de la conscience, de la position politiques de l’ensemble des masses africaines dans le monde, dans leur combat pour la défense de leurs intérêts et de leurs aspirations ». En tant que tel, le Panafricanisme trouve son ancrage dans l’expérience historique de combat commune aux peuples africains sur le Continent et dans la Diaspora : combat contre l’oppression et pour la récupération de la souveraineté, de l’initiative historique sur leur propre destin. En ce sens, le Panafricanisme n’est pas seulement héritier « des luttes anticoloniales et mouvements panafricanistes du 20ème siècle », ainsi que noté par Dr Atchadé. 

Son origine remonte en effet à des époque(s) beaucoup plus reculée(s) : celle(s) correspondant aux expériences des traites Negrières esclavagistes imposées aux peuples africains pendant de longs siècles d’asservissement et d’exploitation par les Arabes (Traite transsaharienne et sur l’Océan Indien), puis par les puissances occidentales (cas de la Traite atlantique) ; mais également et surtout par l’histoire de la résistance permanente, multiforme des peuples africains et communautés et personnes d’ascendance africaine, contre la domination, l’asservissement, l’exploitation.  Il s’agit donc, en premier lieu, d’une prise de conscience d’une communauté de destin entre peuples africains et communautés d’ascendance africaine, qui s’enracine dans l’histoire de la résistance permanente aux agressions multiformes de la part de forces extérieures, tout en se nourrissant de toutes les expériences, tous les efforts d’élaboration de projets et initiatives d’émancipation, d’indépendance et d’unité politique.

En second lieu, et à ce sujet, je serais pour l’essentiel d’accord avec la perspective de Dr Atchadé, le Panafricanisme peut être défini comme idéologie et/ou doctrine pour la Renaissance Africaine ; les termes d’idéologie et de doctrine étant, a notre avis, complémentaires, a défaut d’être synonymes.  De ce point de vue, le Panafricanisme constitue un instrument de connaissance de soi, d’identification et d’affirmation collectives permettant aux Africains de comprendre et d’assumer de façon holistique et critique, leur trajectoire historique et leur condition dans le monde ; tout en servant de guide pour l’action transformatrice du réel, pour leur combat commun en vue de retrouver leur souveraineté et leur dignité. En tant que tel, le panafricanisme est à la fois un héritage de lutte et une vision ainsi qu’un ensemble de principes directeurs, de valeurs et d’objectifs stratégiques qui animent la Renaissance africaine.

Un bref aperçu sur l’histoire et la sociologie politique du Panafricanisme, marquées entre autres par  le rôle essentiel des femmes africaines, montre, selon Cedric Robinson [cf. Black Marxism, Zed Books Ltd, Londres, 1983], qu’il s’agit en réalité d’un seul et même combat ininterrompu : « L’histoire de la lutte émancipatrice des peuples africains du Continent américain et de la Diaspora peut être considérée comme un seul et même processus ininterrompu et multiforme, caractérisé notamment par une connexion idéologique indéniable, ainsi que par la complémentarité et l’interdépendance de ses diverses manifestations et modalités »: résistance anti-esclavagiste ; résistance et tentatives d’intégration africaine sous la houlette de dirigeants historiques tels que Samory Touré, Chaka ou (avant eux), Nzinga de Ngola (Ndongo) et Matamba. Il y a aussi les congrès panafricanistes ; les combats de décolonisation avec l’épisode des luttes de libération dans les ex-colonies portugaises et en Afrique australe etc., etc.

En effet, tous ces événements (et faits) « sont étroitement liés les uns aux autres en raison de la similitude de leurs caractéristiques sociales et de leur inspiration d’une expérience historique commune d’oppression et de la même idéologie sociale ». [C. Robinson]. Comme faits symptomatiques de cette réalité unitaire on peut citer par exemple : l’implantation ou les répercussions du mouvement garveyiste aux États-Unis, dans les Caraïbes, en Europe et en Afrique (Libéria, Ghana, Sénégal, Afrique du Sud, etc.) ; le caractère panafricain du secrétariat politique de Kwame Nkrumah, où se sont retrouvés des Africains du Continent comme Habib Niang (Sénégal) et surtout de la  Diaspora comme W.E.B. Dubois (USA), Georges Padmore  et C.L.R. James (Trinité & Tobago). Sans oublier : le rôle catalyseur incontestable des indépendances africaines dans le déclenchement du mouvement Black Power en Amérique et dans les Caraïbes ; et en retour, l’impact retentissant du mouvement Black Power des années soixante et des écrits de Frantz Fanon sur la conscience de la jeunesse africaine du Continent ; ni les dynamiques identitaires impliquées dans le processus d’identification de la même jeunesse africaine (Continent et Diaspora) à la lutte du peuple sud-africain et de ses héros, ainsi qu’avec le message et la pulsation du Reggae, avec la culture Rasta et le concept de Rastafari en général, considéré par Horace Campbell et Walter Rodney, comme l’une des expressions les plus fortes du Panafricanisme au XXème siècle. 

Ainsi que nous y invite José do Nascimento, ne perdons pas de vue qu’en dépit de tout le bruit sur la « mondialisation », nous évoluons  dans le contexte d’une civilisation mondiale encore dominée par des intérêts nationaux contradictoires; au sein duquel les questions de sécurité militaire déterminent la possibilité de succès ou d’échec des stratégies nationales de développement économique; tandis que la maitrise de l’information stratégique, des connaissances scientifiques, de la technologie, joue un rôle clé dans la richesse des nations ainsi que dans la géopolitique mondiale et dans l’équilibre géostratégique des pouvoirs dans le monde. Dans pareil contexte, la Renaissance Africaine comme réponse organisée de nos peuples aux défis d’une mondialisation asymétrique, hégémonique, oppressive, constitue un projet alternatif, global de société et de civilisation se fixant pour but (s) la création de conditions pour la renaissance de l’Afrique en tant que centre d’initiative et de décision indépendant et compétitif dans le monde d’aujourdhui et de demain.  Il s’agit là d’un objectif stratégique à réaliser à long terme ; le terme de renaissance renvoyant également au processus à la fois de transformation, de refondation du tissu social, et d’auto-transformation des Africains, pour être à même d’accomplir cette mission, en se reconnectant à l’histoire comme agent producteur de sens, maîtres de leur destin, par le biais des « voies ascendantes de leur culture nationale », selon la formule de Amilcar Cabral.

Une autre question très importante est celle de la nécessité urgente d’une reconnexion avec la/les Diaspora(s) africaine(s) en tant que 6ème région, pour les opportunités d’investissements économiques mais aussi en termes de « gain de matière grise », d’expertise, de savoir-faire (brain gain) que cette reconnexion est susceptible de procurer pour un repositionnement stratégique du continent africain sur la carte du monde et dans l’Agenda géopolitique global, ainsi que pour l’avancée, la maturation du Mouvement panafricaniste en tant que tel. Pareille option stratégique implique un engagement ferme, une unité de pensée et d’action entre l’Afrique et sa/ses Diaspora(s) dans le cadre du Mouvement pour la Justice Réparatrice Globale. Il s’agit, entre autres, de se battre pour une réforme de l’OMC, de la CPI, du Système des Nations Unies (le Conseil de Sécurité notamment), et de construction de consensus forts, opérationnels sur la question des Réparations et du Rapatriement où s’accomplissent, de jour en jour, des progrès de plus en plus significatifs et notables.

On note pour les déplorer, la timidité, la relative réticence de certains Africains sur le continent à épouser ce mouvement, voire leur attitude suspicieuse à son égard. Pourtant, faut-il le rappeler, la légitimité de l’exigence de Réparations pour l’Afrique et les Africains est consacrée  du point de vue de la légalité internationale, sur la base de la Loi Taubira de 2001 reconnaissant l’Esclavage et la Traite Négrière comme crime contre l’Humanité) ; le droit à réparation tel que défini par la Cour Permanente Internationale de Justice (1928) ayant du reste été bien reconnu en droit international, avec notamment la jurisprudence de précédents historiques connus de tous, sauf peut-être de certains esprits amnésiques ou à la mémoire historique sélective quand ils ne sont pas de mauvaise foi,  y compris certains Africains.

Par-delà les Réparations induites (au plan politique, économique, sociétal), il convient de mettre aussi l’accent sur le contenu culturel et moral des Réparations en termes de réhabilitation des lieux de mémoire, et de restitution de biens culturels spoliés. Sans oublier la question fondamentale de l’autoréparation dont certains axes recoupent ceux de la renaissance culturelle telle que définie plus haut (Guérison psychologique, Régénération morale, Élévation spirituelle) ; et qui se pose en termes d’Auto-libération, de désaliénation mentale: c’est-à-dire  de capacité a « décoder les formes, les comportements hérités de l’esclavage et de la colonisation, pour reprogrammer nos propres démarches – y compris notre vision du monde, nos images de Soi et d’Autrui, qui relèvent de notre autorité intérieure ».

C’est bien connu : les questions de souveraineté, de sécurité (militaire, politique, monétaire, alimentaire, sociale, humaine), celles relatives à l’Unification politique et au renouvellement qualitatif du leadership font partie des principaux enjeux et défis du Panafricanisme comme idéologie-doctrine pour le projet, le processus de renaissance, lequel se pose, entre autres, en termes de développement matériel des sociétés africaines et de renaissance culturelle. La renaissance culturelle implique aussi une véritable décolonisation linguistique, ainsi que la valorisation des cultures africaines par une refondation des systèmes d’information, d’éducation, de croyances, et de production des connaissances et des savoirs en Afrique : ce qui bien évidemment ne pourrait être réalisé sans autonomie de la conscience politique, ni renouvellement de l’intelligence politique, de l’inventivité et de la créativité intellectuelles et culturelles en Afrique.  

Il est question, dans la présente contribution, de participer à l’effort de mise en ordre et de divulgation d’un corpus d’idées, de concepts et de conceptions de plus en plus affirmés ou réaffirmés  dans divers débats, sur un certain nombre de plateformes et fora, de même que dans des documents tels que l’Acte Constitutif de l’Union Africaine ; mais souvent sans la cohérence et la prégnance susceptibles de conférer à une doctrine et/ou idéologie politique comme celle du Panafricanisme, la force d’ancrage nécessaire dans le terreau des luttes politiques et sociales porteuses des aspirations de l’Afrique et des Africains d’aujourd’hui et de demain. D’où la distinction opérée par Elenga Mbuyinga aka Mukoko Priso, entre d’une part, le « Panafricanisme révolutionnaire », celui des peuples, porteur d’espoir et de changement pour la situation et l’avenir des peuples africains et, de l’autre, ce qu’il appelle la « Politique de Démagogie panafricaine », caractéristique à bien des égards, de la vision et des pratiques de l’OUA et même de l’Union Africaine.

Je ne saurais conclure mon propos, sans mentionner une question anodine en apparence mais qui a son importance et sur laquelle je compte aussi revenir prochainement: la question de la graphie fautive de la devise-programme du nouveau leadership sénégalais, devise mal orthographiée par Dr Atchadé et qui devrait s’écrire, selon les normes orthographiques en vigueur : Jub, Jubal/Jubël, Jubbanti/Jubbënti, avec une gémination du graphème /b/ dans le dernier terme de ce tryptique, et dont la prononciation en Walaf standard – à ne confondre ni avec le Walaf pratiqué en Gambie ni avec celui parlé par un seereerophone d’origine, nécessitera une plus grande énergie articulatoire, ainsi qu’illustré dans ce quatrain célèbre extrait de Boroomam de Moussa Ka, dédié au Cheikh Ahmadou Bamba, et dont la beauté, la puissance expressive sont rehaussées par l’emploi judicieux de déterminants d’intensité  gann, toyy, domm, sàpp:

« Diis ba ni gann

Wayaf ba ni toyy cik wet

Lewet ba ni domm

Saf sàpp ak boroomam »…   

J’avais commencé à travailler sur la présente contribution avant la brillante, puissante conférence publique sur le Panafricanisme, prononcée par notre frère Joomaay Ndongo Faye à l’amphithéâtre Mbaye Guèye de l’Université Cheih Anta Diop (UCAD). Comme tant d’autres, j’y ai beaucoup appris. Néanmoins, j’ai choisi de m’en tenir à la première mouture de ce papier, pour le maintenir dans des proportions raisonnables.







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