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L’accidentologie Des Poids-lourds En Question

Les nombreuses vies laissées sur la route défrayent la chronique et hantent la nuit des Sénégalais. Quelles en sont les causes ? Quelles mesures envisagées pour atténuer ce fléau faute de pouvoir l’éradiquer pour de bon. Avis d’un expert !

Dans le monde, les accidents de la route tuent environ 1,3 million de personnes chaque année, soit plus d’une personne toutes les deux minutes. Plus de 90 % de ces décès ont lieu dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Ce phénomène, qui représente la deuxième cause de mortalité pour la tranche d’âge 5-29 ans et la troisième pour celle des 30-44 ans, touche essentiellement des jeunes adultes à 73 % masculins.

Si aucune mesure efficace n’est prise immédiatement, les experts de l’OMS estiment, dans le Plan mondial de la Décennie d’action pour la sécurité routière 2021-2030, que les accidents de la circulation entraineront 2,4 millions de décès par an, devenant ainsi la cinquième grande cause de mortalité dans le monde.

Le Sénégal, à l’instar d’autres pays, est confronté au phénomène de l’insécurité routière. Pour preuve, plus de 700 décès sont enregistrés par an sur les routes avec des conséquences économiques et socioculturelles impactant les politiques de développement durable du pays. Selon les statistiques de l’OMS sur les accidents routiers en 2021, le Sénégal fait partie des pays dont le taux de mortalité sur les routes reste le plus élevé avec 21 décès pour 100.000 habitants contre une moyenne de 15 dans le monde et 19,4 en Afrique avec 11,6 au Rwanda. Pour ce même indicateur, l’Europe enregistre 6,7 décès pour 100.000 habitants avec 4,7 en France et 2,4 en Suisse. Entre 2021 et 2024, cet indicateur n’a cessé de se dégrader.

Au Sénégal, plus de 40 décès, à la suite d’accidents routiers, sont comptabilisés durant ces quatre derniers mois :

– 29 juillet 2024 : 12 morts à Kébémer, à la suite d’une collision entre un minibus et un camion ;

– 25 juillet 2024 : 06 morts à Ndouloumadji, à la suite d’une collision entre un minibus et un camion ;

– 17 juin 2024 : 08 morts lors des départs liés à la célébration de la fête de Tabaski sans compter les accidents sur les trajets de retour ;

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– 25 avril 2024 : 14 morts à Kounghuel, à la suite d’un renversement de bus en surcharge de passagers.

Pourtant, les statistiques existent, le diagnostic de ce phénomène a été fait et les principales causes sont connues mais la fréquence des accidents de la route semble défiée les autorités en charge du transport et de la sécurité routière.

Outre la tragédie humaine, les accidents de la route enferment les pays dans un cercle vicieux de pauvreté. Selon la Banque mondiale, le coût des accidents de la route représente 8 % du PIB annuel du Sénégal (7,8 % de celui de la Côte d’Ivoire)

La recrudescence des accidents impliquant des poids lourds (PL) au Sénégal devient de plus en plus inquiétante en raison des impacts socio-économiques qui se déclinent en termes de pertes de vie humaine, de dégâts matériels importants, etc.

Dès lors, cette situation interpelle tout un chacun dans la double perspective de l’analyse et de la recherche de solutions. Les causes de ces accidents sont certes multiples, mais, pour l’essentiel, sont à retenir au regard de leur récurrence :

• les facteurs humains à l’origine de la majorité des accidents PL (plus de 90% des cas enregistrés) : incompréhension ou non-respect du code de la route, somnolence, mauvaise répartition du chargement, dépassement des limites de charges autorisées, défaut de maitrise du véhicule, accumulation de fatigue, absence de feux de circulation, conduite en état d’ivresse, téléphone au volant, non port de la ceinture de sécurité, etc.

• les facteurs matériels, notamment les défaillances techniques qui conduisent inévitablement aux accidents graves (plus de 7% des accidents) : éclatements de pneumatiques généralement usés, défaut du système hydraulique de freinage, panne subite des organes, etc.

• les facteurs liés à infrastructure (+2%) tels que la conception, la construction et la qualité d’entretien de la voie: nids de poules sur la chaussée, absence d’équipements de sécurité (signalisation horizontale et verticale, dispositifs de retenue), problème de géométrie de la route (manque de visibilité, pentes transversales inversées, largeur de voirie insuffisante dans les virages, etc.), etc.

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• les autres facteurs, relatifs aux conditions météorologiques et phénomènes exogènes, totalisent : moins de 1% des accidents : animal errant sur la route, piétons distraits, etc. Il ressort de l’analyse de ces facteurs :

• un problème du niveau de formation des apprenants à la conduite des poids-lourds formés sur le tas sans certification reconnue. Cette situation découle principalement de la cherté des coûts de formation, de la rareté des structures de formation agréées et des moniteurs d’auto-écoles non expérimentés, etc.

• l’enseignement du code de la route dispensé le plus souvent à des concitoyens pas ou insuffisamment alphabétisés. Ce faisant, il est essentiellement centré sur l’apprentissage des panneaux de signalisation au détriment de la sensibilisation sur la responsabilité des conducteurs et les dangers inhérents au non-respect des règles de sécurité.

• le manque de rigueur à la délivrance des permis de conduire poids-lourds dont la refonte des process d’évaluation devient urgente. Il s’y ajoute que les conditions d’attribution des certificats de visite technique encouragent la circulation d’épaves roulantes exposant dangereusement l’intégrité physique des usagers et des riverains de la route. Plus de 30% des véhicules en circulation n’effectue pas le contrôle technique. Aussi, un certificat de contrôle technique, valide en un temps, ne l’est pas forcément pendant tout le reste de l’année.

• l’insuffisance des contrôles réglementaires : nous croisons fréquemment sur la route des poids-lourds en infraction (défaut de chargement, niveau de vétusté inquiétant, remorque déséquilibrée, etc.) ayant dépassé des postes de contrôle.

Pourtant, en cas de verbalisation à la suite d’une infraction (surcharge, mauvaise répartition des marchandises, feux défectueux, etc.), le conducteur a tendance à poursuivre son trajet avec le véhicule en état d’infraction après s’être acquitté de l’amande.

Pour limiter ce fléau dévastateur, la situation actuelle nécessite forcément, de la part des usagers de la route, l’acquisition et l’adoption d’un comportement civique. Dans cet esprit, ces mesures ci-dessous sont très fortement recommandées:

− régulation et suivi des autoécoles pour l’encadrement de la formation des apprenants à la conduite;

− durcissement des conditions d’attribution du certificat de visite technique et du permis pour les poids- lourds, en sanctionnant, avec toute la rigueur requise, tout un passe-droit ;

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− augmentation de la fréquence des contrôles de la régularité administrative (permis, assurance, certificat de contrôles technique, etc.), de l’état des véhicules (pneumatiques, freins, feux, etc.) et des écarts de comportement (tests d’alcoolémie, de prise de substance inappropriées pour la conduite, etc.) ;

− attention plus soutenue vis-à-vis de la politique de renouvellement du parc national de poids-lourds pour éradiquer la circulation des véhicules en état d’épave ;

− professionnalisation du secteur de la mécanique automobile de poids-lourds et appui à l’installation d’entreprises de vente de pièces détachées certifiées et de réparation mécanique avec des technologies de diagnostic avancées ;

− formalisation des contrats de travail des conducteurs de Poids-lourds avec la mise en place d’un système de protection sociale garantissant de bonnes conditions de travail et permettant d’éviter aux chauffeurs âgés d’emprunter les routes pour subvenir aux besoins primaires;

− l’implantation d’aires de services sur les axes routiers privilégiés par les conducteurs de Poids-lourds. Ces aménagements doivent offrir toutes les commodités aux acteurs de la route pour leur permettre de poursuivre leur trajet dans de bonnes conditions (salles de repos ou de détente, baies d’entretien et de réparation, point de restauration, etc.).

Ces mesures devraient être prises en urgence, afin de lutter de façon durable contre la recrudescence des accidents de circulation des poids – lourds fort coûteux pour le Sénégal.

Sur les moyen et long termes, il sera nécessaire de revoir la stratégie de transport des marchandises. Cette revue devra privilégier la réalisation de lignes ferroviaires de fret reliant les ports existants et les divers points de distribution du territoire national. Ces infrastructures ferroviaires, pour être efficaces requièrent l’implantation de plateformes logistiques au niveau des gares stratégiques. Sur le plan financier, des économies importantes pourront être comptabilisées car le trafic de marchandises par voie routière coûte trois fois plus cher que par voie ferroviaire.

Pathé NDOYE,

Ing. expert en exploitation d’infrastructure de transport







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