Voici bientôt six mois que le nouveau régime est en place. On n’a rien oublié de leurs discours sur les rapports tumultueux que leurs prédécesseurs entretenaient avec la presse. La « normalité » qu’ils avaient promise est déjà contestée et mise à rudes épreuves.
Le crédit des journalistes n’a jamais été aussi bas. Alors que leur utilité, incontestablement, n’a jamais été aussi grande. La salubrité même de la démocratie est en jeu.
Le Président de la République et son premier ministre avaient promis une rupture dans la manière d’exercer, d’une manière générale ces responsabilités, d’appliquer la gouvernance, mais aussi de manière particulière, de communiquer, d’assainir les relations traditionnellement tumultueuses avec la presse. Aujourd’hui que constate-t-on ? La rupture avec celle-ci a bien eu lieu.
C’est un constat : Dans le système politique sénégalais et même au-delà, disons dans la société moderne, les concepts, les rhétoriques, les postures s’usent très vite, trop vite. En l’occurrence, l’« assainissement » que l’actuel régime avait promis est remis en cause, notamment , de manière disproportionnée par une persécution fiscale, difficile à supporter par les organes de presse.
Pour autant, et c’est justement l’opinion la mieux partagée, le pouvoir en place et plus globalement la coalition, ne sont pas exempts de reproches, d’erreurs et de responsabilités car, ils peinent à communiquer, à convaincre au sens fort du terme. Oui communiquer, c’est -à-dire construire un lien avec le pays.
Le « silence » gouvernemental est relativement apaisant mais il perturbe une opinion publique qui, particulièrement dans un contexte de crise et de grandes incertitudes – le premier ministre qui parle de « pays en ruine », « difficultés de la presse » – a besoin de connaitre et de comprendre les changements en cours. Y compris pour se les approprier et accorder sa confiance à ceux qui les pilotent. La politique, c’est toujours un exercice d’explication, de mise en perspective – Déclaration de politique générale (DPG) – et nous attendons de nos nouveaux gouvernants qu’ils en façonnent une forme inédite, sinon où est la rupture ? En tout cas par rapport à la presse, il n’y a aucun changement, au contraire les difficultés avec le pouvoir se sont exacerbées. Toutefois, peut-on décemment juger l’action d’un gouvernement en place depuis quelques mois lorsqu’on lui laisse douze (12) années d’un bilan discutable ?
Il y a crise du pouvoir avec la presse. Une certaine presse. C’est incontestable ! En situation de crise, « on » veut un grand capitaine. Pour l’heure le tandem au pouvoir n’en porte pas les habits. Mais peut-être le sera-t-il un jour, peut-être se révélera-t-il un style performant…
Méfions-nous des jugements hâtifs, ils font partie de cette « idéologie » de la vitesse qui d’ailleurs permettra, avec la même certitude, de dire le contraire de ce qui a été prononcé. En ce qui concerne le tandem, son parcours appelle à la prudence. Aucun des deux qui le compose n’a jamais été ministre ; c’est cela, peut-être qui explique certains atermoiements, mais c’est eux aujourd’hui les dirigeants de ce pays.
C’est ce « statut de bleu » en matière d’exercice du pouvoir qui peut-être explique les vives critiques de la presse de « gauche », d’opposition, je veux dire, contre la politique du gouvernement actuel.
Contrairement à ce que certains éditorialistes expriment, parfois de manière incisive, ce déferlement ne traduit pas une maturité. Tous les journalistes ne se valent pas. Cela est valable dans toutes les catégories socio-professionnelles. Les cabris se promènent ensemble, mais ils n’ont pas le même prix.
L’analyse, à mon sens, est plus triviale : le pouvoir médiatique ne sait plus s’arrêter, ne connait plus ses limites, se croit légitime à tout juger, tout examiner, tout critiquer, tout revendiquer. Or franchir cette ligne pourrait lui être fatal – c’est le cas actuellement avec le fisc – car le public, même s’il est parfois voyeur ou en accord idéologique ou partisan, ne souscrit pas à cette outrance dans l’anathème qui décrédibilise l’information et discrédite la posture.
Oui à l’information, la critique, et au contre-pouvoir de la presse. Non au mythe de l’auto-institution de la presse en quatrième (4ième) pouvoir. Seuls les politiques ont la redoutable responsabilité de l’action ! D’ailleurs, il faut nuancer. Cette dérive, ici au Sénégal, comme ailleurs, ne concerne pas tous les médias comme je l’ai insinué plus haut, mais surtout une partie de la hiérarchie journalistique et éditorialiste.
A l’heure d’une crise de confiance sans précédent à l’égard des journalistes et des producteurs d’informations mesure-t-on réellement les dégâts sur les crédits journalistiques et politiques que cette porosité et ces collusions provoquent dans l’opinion publique ?
On ne le mesure pas parce que ce n’est pas visible – taux d’analphabétisme élevé – C’est comme la question très compliquée de l’opinion publique, à savoir les mutations lentes et invisibles avec les sondages dans les pays développés – France et USA par exemple.
Dans un passé relativement récent, le contre-pouvoir médiatique – dans les démocraties évidemment et non dans les régimes autoritaires – a tendance à ne plus savoir où sont ses limites. Il exagère ! Et c’est cela qui provoque l’ire du pouvoir en place.
D’ailleurs, on observe trop ce glissement dangereux : Faire croire que partout la liberté de la presse est menacée et que dictatures ou démocraties ce sont finalement les mèmes enjeux. Non ! les immenses difficultés de la presse dans les dictatures ne peuvent pas cautionner les dérives de celle-ci dans les démocraties.
D’autant que le pouvoir politique, avec la visibilité justifiée critique les médias – le premier Ministre qui, du haut de sa tribune profère des menaces à l’endroit de la presse – la rigidité de nos sociétés et les difficultés de la mondialisation, devient de plus en plus fragile.
La baisse de prestige de la politique ne doit pas faire oublier sa spécificité : La grandeur et les risques de l’action. Mais comme la collusion presse-politique, est dans son comble dans notre pays, trop forte, en tout cas, cela ne donne plus confiance aux citoyens. Surtout en ces temps de crise.
Aussi, en tant qu’acteur du système éducatif sénégalais depuis plusieurs décennies, je m’inquiète que survienne le pire danger pour l’éducation dont les notions de liberté, la capacité critique qu’elle enseigne pourraient en souffrir par la tentation à l’autocensure.
Dans une démocratie digne de ce nom, le syndrome de la pensée, de la parole et de la plume uniques doit être banni « ñep menuñu bok xalat ». Evitons à tout prix ceci : « Tout le monde dit la même chose, donc personne n’ose dire autre chose » ; alors que la diversité exceptionnelle des canaux aurait dû assurer une extrême diversité de l’information, des points de vue, des idées, des prises de position.
Et donc renforcer la légitimité des journalistes comme empêcheurs de tourner en rond. C’est hélas tout le contraire : Tout se ressemble, l’information souffre de son uniformité et du sentiment de connivence avec les politiques – Consanguinité – son champ se rétrécit par rapport au nombre de supports. Et les journalistes, parce que l’enquête coute cher, font le tour de l’ordinateur là ou autrefois ils faisaient le tour du monde.
Enfin, peut-on bien y croire ? Nombre de médias n’ont-ils pas « oublié » que leur vocation est d’éveiller et d’éduquer les consciences, de faire grandir la capacité critique, l’autonomie, la contribution citoyenne de chacun et non de se livrer à de la politique partisane.