Site icon Senexalaat

Quels ModÈles Économques Pour La Presse ?

Pourquoi donc le refus du régime Diomaye/Sonko d’entériner l’engagement du président Macky Sall, pris à quelques jours de l’élection présidentielle d’effacer les arriérés d’impôts et de taxes des entreprises de presse et sa dénonciation du Fonds d’Appui à la presse enragent tant les patrons de presse ? 

Après avoir observé une « journée sans presse » le 13 aout, voici en effet qu’ils attaquent désormais quotidiennement le nouveau gouvernement.

Serait-ce parce que les patrons de presse considèrent que, « la presse n’étant pas une entreprise comme les autres », leurs entreprises doivent obligatoirement être exemptées du paiement des impôts et taxes et même du reversement des cotisations de leurs journalistes et techniciens et qu’ils ont le « droit » de recevoir une « aide » de l’Etat ?

Serait-ce parce que « l’aide » et l’effacement de dettes fiscales sont les deux mamelles du modèle économique dont ils ont toujours dépendu ?

Un « modèle » économique inique : Aide à la presse et amnistie fiscale.

En 2012 déjà, ils ont bénéficié de l’effacement de dettes fiscales représentant 12 milliards de la part du président Abdoulaye Wade.

Ils ont ensuite reçu dès 2013, de la part du président Macky Sall, un autre effacement de leur dette fiscale de 7 milliards 500, couplé à la réduction d’au moins 75% de la redevance de diffusion télévisuelle.

Ils bénéficieront encore d’une exonération de toutes taxes et impôts, pour la période allant du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021 dans le cadre d’un appui aux entreprises censé répondre au contexte économique post Covid-19.

Pour ce qui est de l’Aide à la presse qui deviendra Fonds d’Appui pour le Développement de la presse, ils la perçoivent depuis 1996 (loi 96-04 du 22 février 1996).

D’un montant de 40 millions par an sous Abdou Diouf, elle sera portée dès 2016 à 600 millions, puis à 700 millions FCFA par Abdoulaye Wade, puis Macky Sall le portera à 1.400 milliards d’abord ensuite à 1.900 milliards FCFA en 2023 avec le supplément d’un « fonds Covid ».

De fait, le modèle de développement de la presse sénégalaise n’est basé qu’accessoirement sur la vente des journaux, l’audience des radios et télévisions et sur la publicité.

Il est plutôt basé sur l’Aide à la presse ou Fonds d’Appui pour le Développement de la presse constamment augmenté, l’effacement régulier de la dette fiscale et l’exonération de taxes et impôts chaque fois que de besoin.

C’est un « modèle » économique inique. Parce qu’illégal, « corruptogène » et gaspilleur.

Le régime Diomaye/Sonko aurait trahi toutes ses professions de foi et tous ses engagements de rupture avec le « système » basé sur l’hyper présidentialisme, la corruption systémique et la gestion gabégique des finances publiques, s’il n’y avait pas mis fin.

Un modèle économique illégal

Ce modèle est illégal parce que l’effacement de dettes fiscales sur simple décision du président de la République constitue une infraction à la loi et à l’orthodoxie administrative.

 « Le président de la République n’a pas la compétence légale d’éponger une dette fiscale en dépit de son pouvoir discrétionnaire » et les modalités d’attribution du Fonds d’Appui au Développement de la Presse violent délibérément tous les critères d’attribution établis.

Un modèle économique « corruptogène »

Le président Abdoulaye Wade ne cachait pas que l’Aide à la presse et l’effacement des dettes fiscales des entreprises de presse étaient des moyens de pression politique.

Il déclarera même crûment avec son cynisme habituel, à propos de l’aide à la presse « qu’il ne comptait pas financer des organes de presse qui l’injuriaient à longueur de journée ».

Il en fera ainsi bénéficier les patrons de presse « amis » au détriment de ceux qu’il considérait comme des « opposants », en dehors de toute considération des critères établis.

Walfdjiri portera ainsi plainte en 2006 pour non-respect des critères d’attribution auprès du Conseil d’Etat qui lui donna raison.

C’est à la veille de l’élection présidentielle par laquelle il sollicitait un troisième mandat controversé que le président Abdoulaye Wade accordera l’amnistie fiscale de 12 milliards de francs CFA.

Le président Macky Sall restera ici comme dans d’autres secteurs de la gouvernance, dans les pas de son maitre tout en utilisant le système avec encore plus de cynisme.

C’est en 2023 au moment où son ambition de briguer un troisième mandat n’était plus caché qu’il porta le montant du Fonds d’Appui au Développement de la Presse à 1.400 milliards ensuite à 1.900 milliards FCFA avec le supplément du « fond Covid ».

Et c’est à la veille de l’élection présidentielle dernière qu’il annonça l’effacement de la dette fiscale des entreprises de presse, d’un montant de 40 milliards de francs CFA.

En outre, tout comme son prédécesseur, il introduisit quantité de barrons voleurs et d’oligarques dans la corporation, distribuant à tour de bras fréquences de radios et de télévisions et permit le blanchissement de la fortune de quelques patrons, fortunes amassées à coup de transactions foncières et immobilières douteuses.

Un modèle économique gaspilleur

L’autre caractéristique du modèle de développement de la presse, qu’on pourrait appeler « modèle Wade/Macky Sall », est qu’il est « gaspilleur ».

De 1996 à nos jours, on aura dépensé au moins 30 milliards, compte non tenu de l’exonération fiscale pour la période allant du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2021.

Le professeur Mor Faye constatait déjà dans une étude de 2015 intitulée « les enjeux de l’information et de la communication au Sénégal »[1], portant sur l’Aide à la presse[2], qu’il s’agit là d’un « gouffre financier ».

Non pas tant en considération de la somme considérée que parce cet argent n’aura eu aucun « impact sur les entreprises de presse du point de vue de leur structuration pour en faire des entreprises viables au sens économique et financier du terme… »

D’autres modèles économiques de la presse plus vertueux et plus efficaces sont possibles

Pourtant des modèles économiques alternatifs, plus vertueux et plus efficaces sont possibles.

Leur mise en œuvre requiert un préalable pourtant : la réorganisation du secteur de la publicité sur lequel ils seront adossés.

Ceci requiert un cadre juridique et réglementaire rénové, prenant en compte notamment l’Internet et les médias sociaux et faisant obligation aux annonceurs de faire appel exclusivement aux médias sénégalais, presse écrite, radios, télévisions et presse en ligne.

Ainsi le marché publicitaire de marque pourrait dépasser allégrement sa valeur de 2018 estimée déjà à 26 milliards FCFA.[3] 

Ce marché doit être réservé à la seule presse privée, presse écrite, radios et télévisions commerciales ainsi que radios communautaires (pour un temps d’antenne limité).

La RTS, radios et télévisions, en tant que service public, sera quant à elle financée exclusivement par le public, à travers des subventions par exemple de la Lonase et de l’Agence de Régulation des Télécommunications (ARTP) en plus de la redevance de la Senelec en vigueur.

La RTS générera des revenus additionnels en produisant et en commercialisant des contenus originaux, sons et vidéos, sur une plateforme en ligne selon le modèle Netflix comme l’a suggéré le Professeur Albert Mendy dans une contribution récente.[4]

La presse écrite, Le Soleil tout comme les titres privés, devront enfin investir l’Internet soit en diffusant exclusivement une édition numérique soit en maintenant une édition papier.

Elle pourrait s’inspirer du modèle français de Mediapart qui fonctionne sur la base d’abonnement soit du modèle américain du New York Times propose l’achat par article en plus d’abonnements.

En outre, le Fonds d’Appui pour le Développement de la presse ne devra plus être partagé entre les patrons de presse mais servir véritablement au développement des entreprises de presse, en servant par exemple de garanties auprès des banques.  

Ces modèles économiques ne pourront toutefois fonctionner que si les patrons placent les journalistes et techniciens au cœur de leur projet en leur payant des salaires décents tels que prescrits par la convention collective, en versant régulièrement leurs cotisations sociales et en veillant au fonctionnement démocratique des rédactions, dans le respect notamment des droits des femmes journalistes.    

Il s’agit en fin de compte à la fois pour les patrons de presse et pour les pouvoirs publics de promouvoir la viabilité économique des entreprises de presse pour sauvegarder la liberté de la presse et raffermir le pluralisme de l’information.

[1]Bilan et perspectives de l’aide de l’Etat à la presse au Sénégal, Dr Mor Faye, 2015,  https://shs.cairn.info/revue-les-enjeux-de-l-information-et-de-la-communication-2015-1-page-19?lang=fr

[3] https://adweknow.com/marche-publicitaire-afrique-francophone-lexception-senegalaise/

[4] Comment faire de la RTS un service public de l’audiovisuel fort au Sénégal, Ma Revue de Presse du 24/08/2024 ;







Quitter la version mobile