Depuis le 26 juillet 2023, date du coup d’Etat militaire commis au Niger, le président de la République, Mohamed Bazoum, élu démocratiquement deux ans auparavant au suffrage universel, a été privé de sa liberté. Ayant catégoriquement refusé de céder aux pressions exercées pour lui arracher sa démission, il est séquestré dans deux pièces de sa résidence, au cœur même du camp de la garde présidentielle, dont l’ancien commandant est l’exécutant du putsch avec ses complices qui se disaient proches amis du président.
Sous la surveillance stricte d’hommes en armes, il est retenu avec son épouse, Hadiza. Les conditions de leur détention sont très sévères. Toute sortie du bâtiment est rigoureusement interdite, sans communication avec l’extérieur, hormis la visite du médecin deux fois par semaine. Sous le prétexte d’une tentative d’évasion orchestrée, son téléphone lui a été confisqué, le 19 octobre 2023.
Mohamed et Hadiza Bazoum sont aujourd’hui les victimes d’une détention arbitraire, en violation des garanties fondamentales sur les libertés individuelles et le droit international, et qui entraîne des conséquences particulièrement douloureuses pour leur famille et, bien sûr, pour les Nigériens.
Que reproche-t-on au président Bazoum ? Aucun grief ne lui a été communiqué dans le respect des lois pénales et aucune explication n’a été fournie pour sa détention. Aucun motif d’inculpation ne lui a été notifié et il n’a jamais été présenté à un magistrat. La seule procédure judiciaire engagée formellement contre lui a été la saisine d’une « Cour d’Etat », créée par la junte en violation de la Constitution et en substitution aux juridictions suprêmes qu’étaient le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Cette procédure s’est conclue par une levée de l’immunité présidentielle, ce qui entraînerait le renvoi de M. Bazoum devant le tribunal militaire, dont quatre des cinq juges sont des militaires non formés en droit.
Vigoureux combat contre la corruption
Tous ces faits sont d’une extrême gravité et peuvent laisser craindre le pire, d’autant plus que le code de justice militaire prévoit la peine capitale. Au début du putsch, les condamnations de cette détention arbitraire se sont multipliées, à commencer par celles du secrétaire général des Nations unies, du haut-commissaire aux droits de l’homme ou encore de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Cette dernière a, dès décembre 2023, ordonné la libération du président Bazoum et de sa famille et le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger.
La vérité est que les putschistes entendent faire payer au président Bazoum le prix de sa lutte résolue pour les libertés et l’Etat de droit – et, plus encore, le prix de son vigoureux combat contre la corruption et le détournement de fonds publics. Conscient des risques auxquels il s’exposait, il n’a pas hésité à s’engager résolument en lançant des poursuites contre de hauts responsables de sa formation politique qui espéraient pouvoir continuer à vivre sous le couvert d’une traditionnelle impunité.
Les mois s’écoulent et Mohamed et Hadiza Bazoum sont toujours séquestrés dans une indifférence grandissante et incompréhensible de la communauté internationale. Leur courage, leur détermination, leur force de caractère sont exceptionnels. Ils ne céderont rien. Leurs enfants endurent la souffrance lancinante d’être privés de tout contact avec leurs parents.
La captivité de Mohamed et Hadiza Bazoum n’a que trop duré. Nous appelons les hauts responsables politiques d’Afrique et du monde qui sont attachés au respect des principes fondamentaux de l’Etat de droit à ne pas se laisser gagner, au fil du temps, par la résignation ou l’inertie. Il leur appartient maintenant de prendre leurs responsabilités et d’exprimer avec détermination leur exigence d’obtenir la libération d’un chef d’Etat démocratiquement élu, séquestré pour des motifs indignes dans des conditions inacceptables, et dont l’action a toujours été inspirée par la recherche du bien commun du peuple nigérien et par la victoire de la démocratie en Afrique.
Liste des signataires
• Professeur Wole SOLYINKA, Prix Nobel de littérature 1986
• Docteur Denis MUKWEGE, Prix Nobel de la Paix 2018
• Achille MBEMBE, Prix Holberg 2024 pour les arts et les lettres, les sciences humaines, le droit et la théologie.
• Mohamed BOUAMATOU, Président de la Fondation pour l’égalité des chances en Afrique
• Michel BOYON, Conseiller d’État honoraire, Avocat au Barreau de Paris
• Reed BRODY, Procureur spécialisé dans les crimes de guerre, Avocat au Barreau de New York
• Santiago A. CANTON, Secrétaire général de la Commission internationale de juristes (Genève)
• Moussa COULIBALY, Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Niger
• Mohamed Seydou DIAGNE, Avocat au Barreau du Sénégal
• Brahim EBETY, Ancien Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Mauritanie
• Mark ELLIS, Directeur exécutif de l’Association internationale du Barreau
• Professeur Robert GOLDMAN, Président de la Commission internationale de juristes (Genève)
• James GOLDSTON, Directeur exécutif d’Open Society Justice Initiative
• Michaëlle JEAN, Ancienne Secrétaire générale de la Francophonie
• Florence LOAN, Bâtonnière dauphine de l’Ordre des avocats de Côte d’Ivoire
• Bernard MIYET, Ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies
• Javier NART, Écrivain espagnol, ancien député européen
• Erik ORSENNA, Membre de l’Académie française, écrivain, conseiller d’État honoraire
• Stephen RAPP, Ancien ambassadeur des États-Unis pour la justice pénale internationale
• Gabor RONA, Professeur à Cardozo School of Law
• Kenneth ROTH, Professeur à l’Université de Princeton, écrivain, ancien directeur exécutif de Human Rights Watch
• Amrit SINGH, Directrice exécutive du Laboratoire de l’État de droit à l’université de Stanford
• Yasmin SOOKA, Avocate, Directrice exécutive de la Fondation pour les droits de l’homme en Afrique du Sud
• Salieu TAAL, Ancien président de l’Association du Barreau de la Gambie
• Wilder TAYLER, Directeur de l’Institution nationale des droits de l’homme d’Uruguay
• Henri THULLIEZ, Avocat au barreau de Paris
• Alioune TINE, Fondateur de Afrikajom Center