Durant une douzaine d’années, de 2012 à 2024, notre pays a vécu une situation particulière, qu’il serait peut-être exagéré de comparer à celle de la France sous occupation allemande, mais qui lui était similaire en de nombreux points, tant l’arbitraire y régnait en maître.
De fait, la gouvernance du régime de Macky Sall bénéficiant de la bienveillante compréhension voire de la complicité active de la méga-coalition Benno Bokk Yakaar, allait être caractérisée par la tyrannie et la brutalité rappelant la période de glaciation senghorienne. Cela va des radiations ou licenciements abusifs d’opposants, de la négation des droits et libertés, allant jusqu’à la censure de posts anodins sur les réseaux sociaux, l’interdiction aux partis et regroupements de tenir leurs réunions dans leurs sièges ou dans des lieux privés, la proscription systématique des manifestations, des milliers d’arrestations arbitraires, l’éviction administrative ou judiciaire de personnalités ou listes concurrentes politiques, lors des joutes électorales, des exécutions extrajudiciaires, des violations itératives des dispositions du code électoral…etc.
Le summum de l’injustice sera atteint avec le « complot préfabriqué » de Sweet Beauty, la condamnation fallacieuse du président Sonko pour diffamation, le rendant ainsi inéligible, la dissolution du Pastef et le report déshonorant de la présidentielle du 25 février, …etc.
Comment concevoir alors que les ténors de l’ancienne majorité collabos d’une dictature si vile, qui vient à peine d’être renversée, dont la plupart sont présumés avoir commis des délits documentés dans des dossiers, qui devraient bientôt être jugés, s’érigent en donneurs de leçons de morale, accusant les nouveaux tenants du pouvoir de reniements divers et variés voire de parjure ? Ce ne sont assurément pas les personnes les mieux indiquées pour cette tâche, dont de brillants politiciens et membres de la société civile s’acquittent fort bien, en faisant parfois preuve d’une amnésie aussi sélective que troublante.
Qu’on nous comprenne bien ! Nous n’appelons pas à une épuration des collabos du précédent régime dans son projet dictatorial avorté, comme cela s’était passé, après la seconde guerre mondiale, en France, où il y avait une forte demande sociale pour punir ceux qui avaient trahi la Nation. Néanmoins, ce serait une erreur fatale, de passer, par pertes et profits, les méfaits et forfaitures commis durant les douze années écoulées. Il faut commencer par abroger cette loi d’amnistie, votée par ce défunt et sinistre parlement, qui selon Amnesty International, « constituerait un manquement de l’Etat sénégalais à son obligation de justice, de vérité et de réparation qui lui incombe, en vertu droit international pour les familles de plus de 60 personnes tuées lors des manifestations ». Et de préciser que quinze mille familles ont porté plainte devant les tribunaux et attendent toujours que justice soit faite. Dans d’autres pays, devant l’ampleur de la tâche, des commissions vérité et réconciliation ont même été mises sur pied.
Le scénario catastrophe de 2000 avec la transhumance massive de responsables socialistes vers les prairies bleues du PDS a coûté cher à notre Nation à cause de l’absence de ruptures dans la gestion de la cité, qui s’est répétée, en pire, avec la coalition grégaire de Benno Bokk Yakaar.
Si ce schéma semble écarté, par le nouveau régime, pour l’instant, il n’en demeure pas moins que l’absence de traitement mémoriel adéquat de la gouvernance tyrannique du défunt Benno Bokk Yakaar risque de nuire au processus annoncé de transformation systémique.
C’est à la lumière de ces rappels, qu’une cacophonie savamment orchestrée essaie d’étouffer, qu’on comprend le fait que des libérateurs de notre Nation, ces vaillants résistants à la dictature du Benno Bokk Yakaar soient voués aux gémonies, accusés de tous les péchés d’Israël, au lieu d’être célébrés et décorés par la communauté nationale.
Certes, la gestion du pouvoir est autrement plus délicate que le travail oppositionnel, surtout quand on a l’ambition de s’affranchir de la tutelle de l’Occident impérialiste, de faire rendre gorge aux délinquants à col blanc de l’ancien régime, qui possèdent encore d’une vaste clientèle politique et du butin frauduleusement acquis, quand ils étaient aux affaires. Pour y parvenir, ils peuvent compter sur le glorieux héritage de leurs aînés, acteurs du mouvement national démocratique sénégalais. Ils ont le devoir de s’approprier des conclusions des Assises nationales, qui ont mis le doigt sur les limites de la démocratie représentative, truffée de pièges compromettant les objectifs de libération nationale et sociale, dont le plus prégnant est l’hyper-présidentialisme.
Même s’il est vrai, comme disait Mao Tsé Toung, que « la révolution n’est pas un dîner de gala », il n’en est pas moins attendu, du régime du Pastef, d’apporter un peu plus de soin et d’élégance dans l’écriture des nouvelles et belles pages de l’Histoire politique de notre grand pays. Mener à terme les objectifs de transformation systémique implique d’user de moins en moins d’entourloupes politiciennes pour contrer les mercenaires du défunt Benno-APR et de miser plutôt sur une nouvelle Constitution porteuse de ruptures systémiques.
A elle seule, une majorité électorale du Pastef, sur la base du même vieux mode de scrutin controversé favorable aux pouvoirs établis, ne suffira pour parachever l’exaltante œuvre de transformation systémique promise aux Sénégalais.
C’est dire qu’une victoire électorale du camp patriotique aux prochaines législatives est nécessaire mais pas suffisante.